Le musée des Beaux-Arts de Rennes a tout mis en œuvre pour que l’exposition Kulata Tjuta ouvre ses portes. Et c’était chose faite. Hélas, la culture s’est refermée. De manière inédite, les œuvres de 35 artistes Aborigènes de Anangu Pitjantjatjara Yankunytjatjara (APY) avaient traversé l’océan et pris place sur les murs de la salle d’expositions temporaires. Elles attendaient patiemment de rencontrer le public rennais, mais malheureusement la situation n’a pas joué en leur faveur… Les tableaux ont été décrochés, les caisses fermées et prêtes à repartir. Néanmoins, Unidivers a décidé de donner de la visibilité à cette exposition exceptionnelle qui n’a pas reçu le public qu’elle méritait ! Elle s’inscrivait dans le contexte d’un programme d’échange entre la région Bretagne et l’Australie Méridionale, portée par le Conseil régional de Bretagne et plusieurs musées du territoire.

Si le contexte sanitaire l’avait permis, 250 kg de lances auraient investi le patio du musée des Beaux-Arts de Rennes évoquant un vortex assimilé à celui des explosions nucléaires réalisées par les Anglais en Australie du Sud, entre 1952 et 1957. Une installation spectaculaire qui n’a malheureusement pas pu voir le jour avec l’augmentation immodérée du tret aérien et l’impossibilité de faire venir les artistes pour le montage.

expo kulata tjuta rennes

28 peintures de grands formats, 32 photographies, 10 sculptures… et une vidéo forment Kulata Tjuta. Signifiant « beaucoup de lances » en Pitjantjatjara, le titre résonne comme une référence à l’installation, mais le public trouvera néanmoins plusieurs échos dans l’exposition. Kulata Tjuta symbolise la réappropriation de la tradition de fabrication des armes avec un maintien fort pour l’aspect symbolique, mais aussi la détermination des artistes Anangu de défendre leur culture, leurs terres ancestrales et leur langue face à l’influence occidentale et à la pression au changement.

« La lance symbolise notre culture… c’est elle qui nous fait vivre. Nous enseignons à nos jeunes les savoir des lances pour perpétuer le savoir-faire et la culture. Les lances peuvent protéger le pays, comme elles l’ont toujours fait au temps nos grands-pères et de nos ancêtres », Mumu Mike Williams, ancien de la communauté Anangu et artiste, mimili.

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Le projet culturel Kuḻaṯa Tjuṯa est une série d’installations artistiques, enracinées dans des traditions, connaissances et compétences ancestrales, qui a pour but de pérenniser la vitalité du pays et de sa culture. « L’intérêt de Kulata Tjuta est de présenter pour la première fois une exposition d’art aborigène dans un musée d’art public sans rechercher une justification à l’œuvre, comme celle des écorces peintes. Il s’agit seulement de la jouissance de l’art et de la création de l’art contemporain », souligne François Coulon, conservateur des collections archéologiques et extra-européennes.

Les Anciens de Robert Fielding accueillent le public dans un florilège de regards. « Parfois bienveillants et plein de chaleur, parfois inquisiteurs et critiques », la lumière de leurs yeux viennent interroger le public. Dans cette étincelle se reflète la question de la transmission, une logique commune à toutes les civilisations du monde, dans une société occidentale qui a pourtant perdu quasi tout son sens. Et pourtant dans le regard des artistes Anangu, on y voit son importance. La transmission devient alors la porte d’entrée de l’exposition avant que la notion de « Kulata Tjuta » ne prenne tout son sens…

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Robert Fielding, Elders – Les Anciens, 32 photographies à l’encre d’imprimerie, 60 x 60 cm, 2020 ; Courtesy Mimili Maku Arts

De premier abord, l’œil occidental aperçoit des formes abstraites. On ne se trouve pas en territoire inconnu, l’accumulation de points crée une abstraction, des peintures familières. Pour autant, il s’agit d’une logique différente de la nôtre, d’une convention insolite de paysages terrestres, « des vues satellitaires, aériennes mémorisées qui permettent justement de survivre dans ce territoire hostile ». Elles signalisent par exemple les points d’eau. Une fois ceci pris en compte, le regard change et observe d’une autre manière. Bien que représentative d’une information concrète, « la question de l’originalité et de la démarche créative de l’artiste est très sensible. » Dans une alliance de tradition et de modernité, les œuvres révèlent une peinture très gestuelle dans la composition avec une perception de l’espace incroyable. « Des éléments de vocabulaire peuvent être transmis, comme les personnes assises représentées par des U ou la représentation des trous d’eau avec des couleurs chatoyantes qui désignent sans doute la nature même du lieu et donnent des indications sur les chemins, mais il faut se laisser porter par la magie plastique de l’œuvre » et ces points de vue originaux à savourer.

À l’entrée, sur la gauche, deux peintures représentent le même paysage, Antara. « Betty Pumani traite les deux grands rouleaux de façon quasi matricienne, une analogie à la féminité alors que Tuppy Goodwin se situe plus dans une représentation cartographique, mais avec sa sensibilité. » Les interprétations sont diverses et propres à chaque artiste, comme l’œuvre Ngura de Peter Mungkari qui semble plus figurative que l’ensemble des œuvres. Chacun avec sa propre sensibilité.

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Betty Pumani, Antara, 2017 ; Tuppy Goodwin, Antara, 2019

La majorité des peintures de la première salle ont par ailleurs été peintes par des femmes, une précision qui permet de rebondir sur la démarche initiée avec l’exposition Créatrices, l’émancipation par l’art. Une des théories de la commissaire de l’exposition était d’ailleurs de dire que les femmes en général exploraient les couleurs claires, notamment le blanc. Un point intéressant quand on apprend que les artistes femmes aborigènes travaillent essentiellement cette couleur. « Les femmes âgées transmettent aux jeunes femmes leurs compétences et leur leadership, car un jour elles seront les leaders. Les femmes enseignent la culture, notre culture, elles apprennent aux jeunes filles à peindre, les chants et Tjukurpa (culture et histoire de la Création). Ce savoir est partagé dans des livres et des expositions comme celle-ci », écrit Tuppy Goodwin, artiste du projet Kulata Tjuta.

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L’œuvre collective des artistes Anangu auraient du accompagné les tableaux exposés au musée des beaux-arts de Rennes, mais le contexte actuel ne l’a malheureusement pas permis…

« L’œuvre d’art à une dimension politique »

Les œuvres collaboratives ne manquent pas dans l’exposition. Elles semblent de premier abord homogènes et réalisées par une seule personne. Néanmoins en regardant plus près, deux techniques se dessinent « Le premier a réalisé les grandes zones périphériques, le petit point est plus isolé tandis que le second a réalisé la partie centrale, le point y est plus rassemblé. » Dans ces collaborations est également abordée « la logique de faire coïncider les territoires les uns avec les autres. Les peuples aborigènes ont réussi à faire une cartographie de la totalité du lieu, celle-ci a ensuite servi de revendications territoriales. En ce sens, l’œuvre d’art prend une dimension politique – souligne François Coulon. Dans les années 70 à Papounya, la première peinture importante a été peinte sur les murs d’une école. Lorsque l’on fait de la peinture dans l’espace public, on prend à bras le corps la question du politique. Une logique similaire à celle du muralisme mexicain par exemple. »

« Quand Anangu parle de Kulata Tjuta, il parle des raisons de se battre et de ce qu’il faut protéger par dessus tout. C’est ce qui compte le plus pour Anangu. Kulata Tjuta permet de protéger Tjukurpa, Manta, Walytja – Loi, Pays, Famille. Ce qui est le plus important », Mick Wikilyiri, artiste du projet Kultata Tjuta

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Betty Muffler et Marinka Burton, œuvre de 170 x 200 cm.

Le public n’a malheureusement pas pu découvrir à sa juste valeur cette exposition inédite… Cependant, il est tout de même de notre devoir donner une visibilité à ce travail, un aperçu de cette création artistique exceptionnelle.

Jusqu’au 3 janvier 2021. Exposition Kulata Tjuta. Musée des beaux-arts de Rennes

Le projet Kulata Tjuta

Le projet culturel Kuḻaṯa Tjuṯa est une série d’installations artistiques, enracinées dans des traditions, connaissances et compétences ancestrales, qui a pour but de pérenniser la vitalité du pays et de sa culture.

Ce projet évolutif vise à perpétuer les compétences en matière de fabrication et de sculpture des Kuḻaṯa (lances) à travers les générations. Sa création officielle remonte à 2010 au Tjala Arts Centre, dans la communauté d’Amata. Cette année-là, nombre d’artistes Pitjantjatjara ont conçu le projet sous la direction de Willy Kaika Burton (vers 1941, Pitjantjatjara). En 2013, des chefs de file Aṉangu de toute la région ont commencé à se joindre au projet et les Anciens ont décidé d’en confier la direction à un Conseil d’administration dans lequel un artiste reconnu représenterait chaque centre d’art. Le conseil compte désormais plus de 200 hommes Aṉangu représentant trois générations, originaires des APY Lands (pays Aṉangu des Pitjantjatjara et Yankunytjatjara).

À ce jour, cinq réalisations artistiques majeures ont été produites en partenariat avec des institutions ou musées australiens, dont la National Gallery of Australia, l’Université Monash et l’AGSA (Art Gallery of South Australia) : Adélaïde Biennal ou encore le festival TARNANTHI en 2015 et 2017. Les propositions prennent la forme d’installations multidisciplinaires à grande échelle et intègrent des spectacles cinématographiques, sonores et vivants.

Musée des beaux-arts de Rennes
20 quai Emile Zola
35000 Rennes

HORAIRES (FERMÉ PENDANT LE CONFINEMENT)

Du mardi au vendredi : 10h > 17h

Samedi et dimanche : 10h > 18h

Fermé le lundi et les jours fériés

TARIFS

Collections permanentes : Gratuit / Expositions temporaires : Payant

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