Kane et Abel, Jeffrey Archer, (Trad. Marianne Thirioux), First, nov. 2010, 24€

Ils sont nés le même jour exactement, au début de ce siècle, en 1906. L’un Wladek, est un enfant sans père, trouvé dans les forêts polonaises et recueilli par de pauvres paysans illettrés, l’autre est le fils d’un banquier américain. Son prénom est William, mais l’essentiel est son nom de famille: les Kane, en effet, font partie de ce qu’il faut appeler l’aristocratie de la Nouvelle-Angleterre, même si les États-Unis ne connaissent pas, en principe, de noblesse héréditaire.
Au diable les états d’âme !

Une aspirant écrivain peut donc se lancer en littérature malgré une grammaire approximative, avec une intrigue en apparence simpliste et des dialogues à mourir de rire ! Jeffrey Archer possédait néanmoins des qualités qui transforment un roman de gare en une fresque épique et haletante.

Kane & Abel, ce sont Caïn et Abel, les deux frères ennemis de la Bible. Dans ce roman, le lien est symbolique : l’un sort des campagnes miséreuses de Pologne, l’autre de la haute bourgeoisie de Boston. La Grande Histoire va se charger de rapprocher les deux hommes, dont les intérêts vont converger : construction d’un empire économique, extension de leur pouvoir personnel, ascension sociale et financière fulgurante. Il fut un temps où le rêve américain était une réalité: les immigrés d’Europe arrivaient par bateau, puants et couverts de vermines, sans un sou en poche, ne connaissant pas un traitre mot d’anglais et parvenaient à se faire une place sous le soleil du Nouveau Monde.

Cette transformation brutale…

Et surtout, on revit cette époque fascinante qui raconte la transformation brutale d’un monde ronronnant en une fourmilière dont les individus courent après l’argent, la réussite, le succès, le confort… et une certaine idée du bonheur. L’histoire de Kane est celle des grands banquiers américains, les Lehman Brothers et autres Goldman Sachs :  les Trente Glorieuses leur ont permis d’asseoir leur incroyable pouvoir et d’asservir une population avide de réussir.

Abel a manqué d’en faire les frais, lui qui a vu la crise de 1929 pousser son meilleur ami au suicide, et dont les conséquences ont bien failli mettre à mal ses espoirs de réussite. Ce fils de paysans polonais est parvenu à construire un empire hôtelier digne de celui des Hilton et des Sheraton.

De gros défauts…

Certes, les dialogues imaginés par Jeffrey Archer sont parfois dignes d’une série B : « Je t’aime, dit Richard. Depuis la minute où j’ai posé les yeux sur toi. Veux-tu m’épouser? […]” – “Je veux t’épouser moi aussi, Richard, mais d’abord tu dois connaître la vérité. » (Barbara Cartland, sors du corps de ce roman !…) Quant à la grammaire, elle est trop souvent erronée. A tel point que le début du roman peut susciter un certain agacement. Mais Jeffrey Archer a le sens du rythme et de l’intrigue ; on ne pose pas ce livre avant d’en connaître l’issue.

En l’absence de comparaison possible avec la version anglaise, impossible de savoir si certaines phrases terriblement mal formulées sont le fait de l’auteur lui-même ou de la traduction

À conseiller si…

… vous êtes adepte des fresques historiques, des histoires romanesques sur fond de saga familiale.
… vous avez envie de croiser les ancêtres des banquiers du XXIe siècle : il semblerait que la profession ait perdu les valeurs qu’elle s’efforçait de respecter jusqu’aux années d’après-guerre.

Extrait :

4 mois après la crise de 1929, les banquiers s’en sortaient très bien… voire trop, aux yeux de certains :

« Tu peux être sûr qu’il survivra à la débâcle; les banques sortent toujours gagnantes, quoi qu’il arrive. »

Hélène

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