Dans son roman Judas, l’écrivain Amos Oz se fait magicien : il orchestre avec un sens aigu du romanesque un trio de personnages autour de la figure du traître. Judas, événement de la rentrée littéraire 2016 publié aux éditions Gallimard, tisse une histoire pour cerner Israël : Jérusalem, la colonisation, les relations entre judaïsme et christianisme, le rapport au langage. Et au milieu, coule une guerre…

 

Judas Amos OzJudas ne trahit pas l’œuvre, déjà prolifique, d’Amos Oz. Le romancier et penseur israélien, né en 1939, ne trompe pas son lecteur. D’ailleurs, il l’installe confortablement dans la fiction, dès les premières lignes. « L’histoire se déroule en hiver, entre fin 1959 et début 1960. On y parle d’une erreur, de désir, d’un amour malheureux et d’une question théologique inexpliquée ». Exit le feu et le mystère du récit ? Non, car Judas déroule ses thèmes et ses motifs avec une maîtrise romanesque puissante. Oz, surnom de l’auteur, signifie du reste « force » en hébreu.

Schmuel Asch, le personnage principal de Judas, est un jeune homme de 25 ans en déroute. Récemment plaqué par son amie Yardena, il doit abandonner son mémoire de maîtrise, « Jésus dans la tradition juive », pour cause de problèmes financiers. C’est là qu’il accepte un travail : s’occuper d’un infirme grandiloquent et intellectuel, Gershow Wald. La grande maison se transforme rapidement en huis clos, et la présence d’Atalia Abravanel intervient pour former un triangle entre les caractères. L’extérieur s’invite néanmoins dans leur ménage. Cette Jérusalem froide et pluvieuse de 1959, les fantômes de la guerre de 1948, Ben Gourion, la figure politique du père d’Atalia, le sionisme, le renouveau socialiste, le mur qui sépare la ville millénaire…

Judas Amos OzCe qui tient en haleine le lecteur ? Certainement le souffle de l’auteur. La prose s’avère claire, et le propos juste. Amos Oz brode une sorte de roman d’apprentissage, par lequel Schmuel apprend à se découvrir, et de fait à découvrir son pays. Néanmoins, Judas ne s’arrête pas en si bon chemin : le roman est un tissu de courts chapitres où les grandes envolées des personnages, Gershow Wald en premier, emportent le lecteur. Le dialogisme, heureusement, contrecarre ce qui pourrait presque passer pour un roman à thèse. Car Amos Oz déploie dans son roman un grand savoir en terme historique et théologique. « La connaissance est la seule morale du roman », disait Kundera. En ce sens, en configurant, en amont, ce qui gît dans l’état israélien actuel, Judas est un livre moral, et son auteur un moraliste.

Judas Amos Oz
Le Baiser de Judas, de Giotto di Bondone.

Le triangle formé par Schmuel, Gershow et Atalia trouve une ligne parallèle : celle de Judas Iscariote. Est-il le traître que l’on croit ? Ou par son suicide (ou sa mort, selon les versions), Judas se rachète-t-il une conduite ? À partir de cette figure, Amos Oz étend le motif de la trahison à la sphère amoureuse et politique. Schmuel croit au renouveau socialiste : cependant, la révélation des crimes de Staline durant le XXe congrès du Parti communiste en 1956 trahit elle aussi ses illusions. Toute révolution achoppe-t-elle sur une trahison fatale ? La question se redouble au niveau de l’écriture et du langage : toute parole est-elle, pour employer une expression consacrée, un traître mot ? Dans le roman Judas, la quête de la vérité passe essentiellement par la mise en perspective de la faute. Un grand moment de cette rentrée littéraire 2016 !

Quant à Judas, le sens de sa vie, sa raison d’être, volait en éclats sous ses yeux horrifiés. Comprenant qu’il avait provoqué de ses propres mains la perte de l’être qu’il aimait et admirait, il s’éloigna et alla se pendre. « Ainsi est mort le premier Chrétien, conclut Schmuel dans son bloc-notes. Le dernier. L’unique ». (p. 176).

Judas est un roman d’Amos Oz publié aux éditions Gallimard

Judas Amos Oz, éditions Gallimard, collection du monde entier, septembre 2016, 348 pages, 21 euros

 

Livres Hebdo publie, dans son numéro 1098 du vendredi 23 septembre 2016, le palmarès qui, chaque année, présente dans la rentrée littéraire les romans préférés des libraires.

300 professionnels interrogés ont désigné en tête de leurs choix :

Écoutez nos défaites de Laurent Gaudé (Actes Sud) en littérature française et Les bottes suédoises d’Henning Mankell (Seuil) en littérature étrangère.

Ils ont aussi particulièrement apprécié, en fiction française : Un paquebot dans les arbres de Valentine Goby (Actes Sud), classé 2e, Petit pays de Gaël Faye (Grasset), 3e, La succession de Jean-Paul Dubois (L’Olivier), 4e, et Le grand jeu de Céline Minard (Rivages), qui arrive en 5e position.

Chez les étrangers, outre le roman d’Henning Mankell, ils ont distingué Station Eleven d’Emily St. John Mandel (Rivages), 2e, Sur cette terre comme au ciel de Davide Enia (Albin Michel), 3e, The girls premier roman de la jeune Emma Cline (Quai Voltaire), 4e, ou encore Judas d’Amos Oz (Gallimard) qui se place sur la 5e marche des fictions étrangères préférées des libraires.

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