Keith Haring (Self Portrait - Auto-portrait)Keith Haring a tenu son journal intime de 1977, il avait 18 ans, jusqu’à sa disparition en 1990. Le texte  est illustré de nombreuses peintures, sculptures, croquis et photographies retraçant l’oeuvre et la vie d’un artiste hors norme, dont tout le monde garde en mémoire les couleurs vives de ses figurines gansées de traits noirs. Fils du Pop-Art et fortement inspiré par Andy Warhol, Haring tenait un journal irrégulier, l’oubliant des mois, voir des années entières, pour y revenir de manière quasi compulsive lorsqu’il commença à beaucoup voyager et à écrire dans les avions, les trains, les chambres d’hôtels, où il prenait le temps d’une introspection salvatrice. Contrairement à Warhol qui, chaque matin, dictait son journal à sa secrétaire pour en faire une chronique mondaine et assassine, Keith Haring écrivait lui-même l’histoire d’un vie trop courte emportée par les complications d’un Sida.

07 novembre 1978 

Tout ce qui est écrit dans ce carnet est sujet au changement. Quand je relis une de mes idées deux ou trois jours plus tard, il me vient parfois (la plupart du temps) une version plus définie, modifiée ou plus simple de l’idée originale, ou une nouvelle interprétation, ou une idée totalement nouvelle qui se développe à la suite de la première. Ce carnet contient des pensées qui sont spontanées. Chaque jour je pense différemment, je réévalue les vieilles idées, j’exprime mes idées en termes différents. Cela m’étonnerait que je croie encore aux théories ou aux philosophies que j’ai notées ici l’an prochain à la même époque. J’attends. J’attends que l’encre sèche.

Keith Haring

02 octobre 1987

J’aimerai pouvoir tenir mon journal à New York, mais je suis si occupé à NewYork et il se passe tellement de choses que je n’ai jamais le temps d’y penser, et encore moins d’écrire. (…) Après avoir relu cette page je dois ajouter que la pureté apparaît aussi dans les moments où l’on travaille  avec des enfants. Quand je fais des dessins avec ou pour des enfants, il y a une sincérité qui parait honnête et pure. Il est vrai que même certains enfants gardent leurs autographes parce qu’on leur dit qu’ils « auront peu-être de la valeur plus tard ». Mais la plupart les garde parce qu’ils les aiment.

Keith Haring

Parfois sujet à l’abandon au milieu de rêves éparses, le texte est aussi une interprétation contemporaine du mythe de Damocles. La création de Keith Haring se nourrit du sentiment de toute puissance face à la maladie, en permanence remis en cause par le risque d’une mort pouvant frapper à chaque instant. Une vie entre terreur et sérénité, soumise à l’examen continu de l’art comme axe essentiel d’équilibre moral et physique. Au fil du temps, son travail prend position pour diverses causes, à commencer par celle de sa propre lutte contre le virus devenu fléau. Ses toiles vantent alors une liberté sexuelle protégée, refusant l’idée d’une « peste rose » imputable aux seuls gays. Face au cataclysme, Haring s’implique avec l’énergie des vainqueurs. Son journal permet la découverte d’un artiste sage, investi, à l’encontre du New York superficiel si bien décrit dans les Diaries de Warhol. Keith Haring est décédé le 16 février 1990 sans avoir lâché une once de ses valeurs, ce en quoi lui et son travail étaient et restent dignes d’une grande estime. Il avait 31 ans.

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Journal de Keith Haring - Editions Flammarion

 Journal de Keith Haring – Editions Flammarion

Avant-propos (remarquable) de Robert Farris Thompson

424 pages avec illustrations N&B de l’auteur – 26 €

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Jérôme Enez-Vriad
Jérôme Enez-Vriad est blogueur, chroniqueur et romancier. Son dernier roman paru est Shuffle aux Editions Dialogues.

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