Pascal Boniface, universitaire spécialiste des relations internationales, fait partie de ces quelques politologues et historiens en France à s’intéresser aux questions soulevées par les organisations sportives mondiales. Il nous offre avec son livre, JO politiques : sport et relations internationales, paru en 2016, un beau parcours de ce que sont devenus les Jeux au fil des décennies, depuis leur renaissance en 1896 jusqu’aux Jeux de Londres de 2012 qui furent une réussite absolue d’organisation dans un monde enfin éloigné de la guerre froide, mais exposé à d’autres et nouvelles tensions interétatiques et au terrorisme international.

Du « Congrès international athlétique » organisé à la Sorbonne en 1894 est née l’idée du baron Pierre de Coubertin de faire renaître les Jeux olympiques. Les premières Olympiades de l’ère moderne eurent lieu à Athènes en 1896, puis à Paris en 1900. Les arrière-pensées politiques n’étaient déjà pas absentes : Coubertin voulait damer le pion à l’Angleterre et à sa formidable organisation sportive tout autant qu’économique, et à la conquérante Allemagne prussienne.

Des premiers Jeux d’Athènes, il y a 120 ans, peu prisés au demeurant, y compris par la France (14 pays présents seulement, 241 athlètes, 9 disciplines), à ceux de Londres en 2012, extraordinairement populaires (204 pays, 10568 athlètes, 302 disciplines), bien des péripéties et conflits géopolitiques et géostratégiques ont ébranlé l’organisation des 28 Olympiades d’été successives. Et si l’apolitisme fut l’un des principes de base des JO, les conflits (mondiaux à deux reprises), les gouvernements autoritaires ou dictatoriaux, les régimes racistes et d’apartheid de certaines nations, ont fait surgir des mouvements spectaculaires de rejet jusqu’à la fin du XXè siècle, qu’ils viennent du Comité olympique international et, le plus souvent, des nations elles-mêmes. L’esprit de compétition de l’olympisme sera assez vite envahi en effet par les sentiments nationalistes et idéologiques portés par les États.

On sait qu’en 1936, Berlin fit des Jeux une vitrine grandiose et un outil de propagande du régime nazi, aux yeux du monde entier. Le noir américain Jesse Owens, dans un moment historique, y humiliera le Führer en remportant plusieurs médailles d’or, dont celle du saut en longueur devant un adversaire allemand, Luz Long, qui le félicitera d’ailleurs avec chaleur… et le paiera ensuite auprès des autorités de son pays.

Quand Helsinki accueillera les JO en 1952, avec beaucoup d’égard pour l’URSS, son grand et puissant voisin, le nombre impressionnant d’athlètes russes présents deviendront « acteurs de la mythologie socialiste » et stalinienne. Tandis que les sportifs américains porteront « l’esprit d’initiative et le goût de l’effort, idéaux de la nation américaine. La compétition idéologique se projette de fait sur les stades » (Pascal Boniface). « Nous sommes ici pour représenter le meilleur pays du monde. Nous ne sommes pas venus ici pour perdre la tête haute mais pour gagner » disait déjà, dans l’entre-deux-guerres, le Général Mc Arthur, Président du Comité national olympique des USA.

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Les lendemains des deux conflits mondiaux écarteront l’Allemagne et ses alliés. En 1920, Anvers sera préféré à Budapest, la Hongrie ayant été aux côtés de l’Allemagne dans la Première guerre mondiale. En 1924, Paris sera choisi au détriment de Berlin, malgré l’avis du Président du CIO, le baron de Coubertin, qui voulait faire des Jeux un lieu de la réconciliation franco-allemande. En 1948 à Londres, l’Allemagne ne sera pas non plus invité par le CIO.

Geste spectaculaire et réussi du CIO : en 1956, à Melbourne, les deux Allemagnes seront présentes, pour la première fois, sous la même bannière. Mais les tensions internationales se retrouveront lors de la finale du water-polo opposant l’URSS et la Hongrie et l’URSS: il y aura même du sang dans la piscine !

Apartheid et racisme aggraveront régulièrement le climat des Jeux. En 1968 à Mexico, à l’issue du 200 mètres masculin, dans un geste spectaculaire, poing levé ganté de noir, tête baissée, Tommy Smith et John Carlos, médaillés d’or et de bronze, montreront au monde entier leur colère et leur rébellion contre l’injustice raciale des USA. Les jeux de 1976 à Montréal seront marqués par le boycott des pays africains, protestant contre l’apartheid en Afrique du Sud.

Les Jeux de Moscou en 1980 seront boycottés par les USA et les pays arabes en réaction à l’intervention russe en Afghanistan. Les Russes répliqueront en n’allant pas aux Jeux de Los Angeles quatre ans plus tard. La politique internationale s’invitera aussi tragiquement à Munich, en 1972, qui verra ses Jeux ensanglantés par une prise d’otages dramatique dont furent victimes les athlètes israéliens aux mains de ravisseurs de l’Organisation de libération de la Palestine.

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Les Jeux de Moscou, 1980.

L’olympisme, heureusement, ne vivra pas que des drames et des tensions. Il offrira de superbes et fréquents moments d’union et de paix entre les peuples, conformément à sa vocation. Rome choisie en 1960, loin du second conflit mondial, réintégrera opportunément les femmes dans les compétitions, disparues depuis les Jeux d’Amsterdam, et introduira les premiers Jeux paralympiques, conformément aux termes du chapitre 1 de la Charte olympique. Quant à la ville de Tokyo, en 1964, elle montrera, grâce aux Jeux, qu’elle est devenue elle aussi capitale d’un pays moderne et pacifique. Les années 50 et 60 verront l’arrivée de pays africains issus de la décolonisation. Le CIO servira ainsi de tremplin à ces mouvements de libération nationale. De la chute du mur de Berlin émergeront également des nations sorties de l’orbite soviétique qui viendront grossir les rangs des compétiteurs. Sidney mettra en valeur, pour les Jeux du millénaire, le peuple premier de la terre australienne, les Aborigènes, dont une représentante, Cathy Freeman, deviendra même la médaille d’or du 400 mètres. Et Barcelone en 1992 verra enfin les Jeux de la détente internationale. « Le CIO est désormais une ONG influente de 206 membres » (Pascal Boniface).

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Cathy Freeman, championne médaille d’or du 400 mètres

Une ONG influente, mais aussi très sensible aux sirènes d’une économie fortement pourvoyeuse de fonds et parfois… aux inévitables pots-de-vin. « Atlanta avait le don de savoir offrir » écrira avec humour Andrew Jennings (dans « La face cachée des JO »). La capitale historique des Jeux devra attendre quatre ans face à la puissance des entreprises, Coca-Cola en tête, financier majeur, il est vrai, et des lobbies américains.

Pascal Boniface achève son ouvrage – paru en 2016 – en évoquant la candidature de Paris en 2024, juste 100 ans après les derniers Jeux dans la capitale, une candidature enfin gagnante rassemblant de fortes personnalités du mouvement sportif et des individualités elles-mêmes athlètes qui ont brillé aux Jeux, comme Tony Estanguet, triple médaillé d’or et élu membre du CIO. Le comité français a ainsi su tirer les leçons de son échec face à la candidature de Londres, choisie pour les Jeux de 2012, et défendue, on s’en souvient, par un fort habile Tony Blair passé alors maître ès-diplomatie en matière d’olympisme. Le politique fut, là encore, maître du jeu…et des Jeux !

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© Ryunosuke Kikuno (Unsplash.fr)

                                                                                    

JO politiques : sport et relations internationales de Pascal Boniface, éditions Eyrolles, 2 juin 2016, 202 p., coll. Essais, ISBN 978-2-212-56416-7, prix : 16 euros.

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