Comment ressusciter un adolescent disparu lors d’une altercation avec des gendarmes dans des circonstances particulières ? Jérôme Chantreau, un texte singulier, nous fait pénétrer l’esprit onirique de Bélhazar, un jeune homme unique.

13 février 2013, 13 rue de l’Éternité à Dinan, Bretagne. Une heure du matin. Un jeune homme de 18 ans se « suicide » lors d’une altercation avec trois gendarmes. Le jeune homme était appelé Bélhazar. Ensuite : l’avocat, chargé par la famille de comprendre cette tragédie, se suicide lui-même. Un jeune présent lors de l’algarade est interné en hôpital psychiatrique. Un des trois gendarmes intervenants lors de l’opération nocturne se pend. Le nouvel avocat est tué le 13 novembre 2015 lors des attentats du Bataclan. Voilà pour les faits.

jerome chantreau belhazar

Jérôme Chantreau, écrivain et enseignant, a connu dans son établissement Bélhazar et il a enseigné à Dana, autre élève, décédée de maladie. Deux adolescents morts, deux injustices auxquelles l’auteur ne peut se résigner. Alors, avec l’accord des parents, l’écrivain va partir sur les traces de Bélhazar pour chercher la vérité, les incohérences dans le discours d’une justice et gendarmerie alliées et porteuses d’une version peu crédible des faits. A priori.

Jérôme Chantreau quitte son Pays basque pour une enquête bretonne. « Cela ne pourra pas être un roman, je n’ai rien à inventer. Tout est vrai, je n’ai qu’à recueillir et à comprendre. Mais ce ne sera pas non plus l’exacte vérité ». On se met alors à penser aux livres remarquables de Bruno Masi 8 kilomètres ou à l’exceptionnel Laetitia de Jablonka, récits qui, s’ils relatent et explorent un fait divers pour en comprendre la signification, ont pour objectif majeur de restituer la mémoire de la victime.

C’est bien de cela qu’il s’agit ici et rapidement l’enquête journalistique va disparaitre au profit de la recherche de ce singulier adolescent qu’est Bélhazar au long d’une quête métaphysique étonnante. « Invention ou vérité cela n’a aucune importance. Ce qui compte c’est la façon dont on se raconte. Ce que je cherche c’est le carrousel d’images qui tournait dans la tête de Bélhazar. »

Jérôme Chantreau est lui aussi, à sa manière, différent et c’est à une véritable introspection qu’il se livre en rencontrant Armelle, une mère en guerre, et Yann un père apaisé. Il mêle dans un récit onirique le Destin, le Hasard qui touchent chacun des intervenants à ce drame, y compris sa vie personnelle comme chamboulée par l’écriture mortifère de son texte. Pas d’enquête sur les témoignages, les procédures, la reconstitution des faits, mais simplement la volonté de rentrer dans la tête d’un adolescent différent. « C’était leur unique enfant et c’était un enfant unique ».

L’originalité du texte réside dans cette tentative d’approcher ce jeune homme passionné d’armes, de récits de la guerre 14, à la recherche de souvenirs et de liens familiaux anciens. Les retrouvailles sur les lieux privilégiés de Bélhazar sont essentiels. Accompagné d’une volubile lapine blanche, Marguerite, on entre dans un univers à la Lewis Caroll. Comme Alice, on traverse le miroir pour pénétrer dans les légendes celtiques, avec Renard Malveillant ou Tireur convivial dans le labyrinthe de la Porte des Étoiles.

Peu importent les circonstances du drame, les faits. Bélhazar porte sur lui une arme, il a rédigé quelques semaines avant une forme de testament, mais ce qui compte c’est la psyché de l’adolescent, ce qui se cachait derrière un long manteau de cuir et un regard qui semblait porter au-delà de l’horizon. Avec lui, on perd pied. Nous ne sommes plus dans la réalité, mais dans le monde inventif, imaginaire d’un jeune homme qui parle avec une lapine, qui lui répond et lui sert d’interprète. Étrange jeune homme pour un étrange ouvrage qui mêle la réalité à une fiction personnalisée, mais qui finalement permet à un adolescent disparu de se maintenir dans l’esprit de ses parents, acteurs essentiels de ce texte, et dans celui du lecteur.

Bélhazar de Jérôme Chantreau. Éditions Phébus. 314 pages. 19€. Parution 19 Août 2021.

Biographie de l’auteur :

Jérôme Chantreau a passé son enfance entre Paris et la forêt mayennaise. Après ses études littéraires, il crée un centre équestre et suit une formation en sylviculture. Il enseigne aujourd’hui le français et vit au Pays basque. Jérôme Chantreau est l’auteur de Avant que naisse la forêt (Les Escales, 2016) et Les Enfants de ma mère (Les Escales, 2018). Avec Bélhazar, il signe son premier roman aux Éditions Phébus.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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