Au Garage du musée de la danse de Rennes, le public s’est pressé les 7 et 8 octobre 2014 pour voir « Jérôme Bel » de Jérôme Bel. Acte de naissance du spectacle de théâtre selon ce dernier. Dans un dénuement quasi total – zéro ornement : zéro décor, zéro costume – ce spectacle, après  le tout premier Nom donné par l’Auteur, a résonné la première fois il y a vingt ans comme le cri primal de cet enfant terrible de la danse.

 

« Jérôme Bel » de Jérôme Bel fut créé spontanément (aucune commande n’en est l’origine) et ne cesse de tourner depuis sa création. Repris quasi à l’identique, trois changements toutefois :  les montants des comptes bancaires des danseurs sont donnés en euros et non plus en francs et ils affichent leur numéro de téléphone portable et non plus de fixe, la musique n’est plus de Stravinski mais de Johann Sebastian Bach et, beaucoup moins anecdotique, ce n’est plus le danseur qui claque le flanc de sa partenaire mais le contraire.

Il y a vingt ans, ce spectacle -proche de la performance par son dépouillement et les procédés qu’il mettait en oeuvre- avait été un coup de tonnerre retentissant dans le paysage de la danse contemporaine en France. Au début des années 90, les danseurs, comme le regrette la chorégraphe Latifa Laâbissi, n’étaient pas censés réfléchir. La danse contemporaine en France était alors « nouvelle » .

Ici, Jérôme Bel supprime le maximum, tout ce qui n’est pas indispensable : « repartir de zéro » . Reste la lumière, les corps et la musique comme il le dit lui-même. Et l’écriture pourrait-on ajouter.

Jérôme Bel, fortement influencé par Roland Barthes et Michel Foucault, s’est donné pour mission avec des danseurs qui réfléchissent d’explorer les procédés qu’offre l’écriture. Aussi racontent-ils dans le calme, avec des actions simples, les préliminaires de la danse. Ensemble, ils réactivent le spectateur.

Aujourd’hui, la rupture (quelque peu scandaleuse) qu’a constituée à l’époque ce spectacle a été consommée. La nudité et la déstandardisation des corps sur scène sont communes dans la danse contemporaine et uriner sur scène ne provoque plus la révulsion ou l’indignation : plus de cri, plus personne ne sort de la salle et n’agresse le chorégraphe.

Une des clés de ce spectacle est qu’enlever quelque chose produit du sens en opposition à la surenchère hystérique. Retirons alors la rupture et le choc, voire le scandale qu’ont déchaîné sa création.

Vingt ans après, que reste-t-il de « Jérôme Bel » ? Le trouble et l’émotion suscités par l’absence de la marchandisation du corps ambiante ainsi que par le rapport simple, sans artifice et drôle que les danseurs entretiennent avec le corps montré pour lui-même. Une sensualité ludique soulignée par une lumière minimale et douce.

Et l’on repense à Parades and Changes d’Anna Halprin, pièce chorégraphique où, pour la première fois dans l’histoire de la danse contemporaine, les danseurs apparaissent entièrement nus dans un théâtre éclairé d’une simple lanterne. Cette pièce faisait figure d’hommage et d’invitation au respect du corps des danseurs. Désacraliser le corps. Ces rappels, s’ils n’étaient pas indispensables encore aujourd’hui  n’en seraient pas moins délectables.

 Jérôme Bel » de Jérôme Bel, avec Eric Affergan, Michèle Bargues, Claire Haenni, Yseult Roch, Frédéric Seguette

durée 50min

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