Jean Pierre Cadoret est né en 1946 à Pont-l’Abbé, où il a grandi dans l’école élémentaire de sa mère. Loin du milieu artistique, c’est bercé par un grand livre d’art qui se trouvait chez ses parents qu’il a trouvé, très jeune, sa vocation artistique. Un élargissement de l’espace familier et un saut dans un autre monde. Esprit foncièrement indépendant et exigeant, il nous invite à la liberté d’un horizon sans borne, à la respiration devant la simple couleur, le pur espace. Cette peinture « sans mur » est une conquête, dont il nous livre le récit au cours d’une visite de son lieu de vie et de travail, à Rennes. Une grande respiration en ces temps de restrictions spatiales…

Chez Jean Pierre Cadoret, on est un peu comme dans l’un de ses tableaux. L’artiste nous reçoit un après-midi d’hiver dans son appartement, dans l’un de ces immeubles qui ont poussé à deux pas des Ateliers du Vent, à Rennes. Du dedans, c’est comme une petite maison, avec des baies vitrées qui donnent vers un coin de jardin.

Les toiles de ses cinq prolifiques dernières années sont accrochées sur les murs ou stockées par terre. Le visiteur marche au milieu de bandes de couleur, fortes et douces, séparées par des lignes horizontales fermes, sans rien de mécanique. Les démarcations viennent d’une main sûre qui n’a pas besoin de niveau à bulle pour trouver l’horizon. Vibrantes, elles sont comme le lointain rendu proche, où terre et mer se rejoignent.

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Comme dans ses tableaux, dans sa maison, il y a une séparation nette et fluide des étages. En bas, il vit et, quand il prend son petit escalier de bois, il va « au travail » dans les deux pièces en haut dont l’une sert de bureau, l’autre d’atelier. Dans la première pièce, il lit, il écrit aussi parfois de petits textes ciselés qu’il ne montre guère. Dans la seconde, il peint sur des toiles de jute ou de coton, adossées à un grand chevalet, à l’acrylique. C’est ordonné, tranquille ; il y a de beaux outils à foison, judicieusement agencés. La voix de Billie Holiday filtre depuis le rez-de-chaussée. Il y a souvent de la musique entre les étages. « Je ne suis pas ennemi du silence, la musique m’accompagne simplement quand je travaille ». Elle est comme un silence ; si elle est là quand il peint, elle ne change en rien l’humeur et le travail, qui est tout entier entre le pinceau, l’oeil, la toile.

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Un espace où plonger

Il n’est pas volontiers d’accord avec les évidences ; elles l’agacent et il veille à s’en détacher. Ce n’est pas son travail de raconter ou de peindre ce qu’on a sous les yeux. Il n’acquiesce pas pour faire plaisir. Il faut parler, questionner juste… S’accorder sur son verbe précis et exigeant.

Comment décrirait-il ses tableaux, par exemple à l’attention de quelqu’un qui ne pourrait pas les voir ? Question compliquée, par exemple, possiblement insensée. Décrire, quelle idée. Jean Pierre Cadoret va directement au ressenti. « Ce sont des espaces, dans lesquels il faut plonger. On s’enfonce : ces espaces nous envahissent et viennent vers nous. C’est un aller-retour entre là où on est et là où on va ». Il se rebiffe si on suggère qu’il peint des « bandes horizontales de couleurs » ; il fronce les sourcils : « ce ne sont pas des bandes de couleur. Elles peuvent bien disparaître, ce n’est pas important que ce soit des bandes. Ça, c’est anecdotique, ça s’en ira, je finirai par ne plus en avoir un jour ». Que restera t-il alors ? « De la couleur…» Trop tôt pour le dire, le moment n’est pas là encore. C’est comme si ces fameuses bandes étaient encore dans le passage d’autre chose et qu’elles le gênaient, bien qu’il les peigne depuis bientôt sept ans au quotidien.

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Ce ne sont ni des bandes de couleur, ni non plus « des sables, des mers, des cieux, des horizons », comme on ne peut pourtant pas manquer d’en voir en contemplant son œuvre. Il fronce à nouveau les sourcils à l’idée que ce puisse être des « représentations » de quoi que ce soit. Bien sûr, « les gens peuvent y songer, mais ce qui compte, c’est que ça provoque des sentiments, des émotions, qui viennent directement de la peinture ». « Il n’y a pas d’anecdote », répète-t-il. « Ce n’est pas la mer en Bretagne ou le ciel aux Canaries ». Il y tient : la peinture « existe » pour le regard au même titre qu’un paysage, pas moins. C’est elle qu’on regarde et non une terre, un ciel, des mers, à travers elle. Même si ces visions sont la matière de l’imaginaire et le nourrissent, elles ne sont pas l’objet d’une représentation.

Ces tableaux, lorsque nous sommes devant eux, c’est la proximité et la distance, la respiration et l’horizon. Que faudrait-il que ce soit d’autre, après tout ?

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D’un espace fermé à un espace ouvert

Il n’a pas toujours peint comme cela. D’abord, il a étudié aux Beaux-Arts de Rennes de 1968 à 1975, puis fait une carrière de professeur d’arts plastiques au lycée, et à l’école des Beaux-Arts (EESAB), où il enseigne le modèle vivant en cours du soir pendant presque trente ans.

Avant d’en arriver à cette peinture de « l’ouvert », sa peinture part d’une tout autre recherche. Dans son atelier, il s’attèle à peindre d’abord uniquement des espaces clos : des pièces où il figure des cloisons qui arrêtent le regard, des murs obliques et des façades abruptes. En haut perce parfois un petit espace, au-delà, loin, derrière. Peintures encloses, murs partout, en tous sens. Il fallait représenter un espace structuré, un « intérieur », formé par ce qui le délimite. Rien dans cette espace, juste les limites qui le constituent, murs, murets, bordures. Cela dure des années. Et puis « j’en ai eu assez. Ce que je faisais m’enfermait. C’était une impasse. Une métaphore qui ne me convenait plus ». La peinture de l’espace clos correspond à un moment de la vie du peintre, dont ce pudique ne dira pas plus, toujours ennemi de l’anecdote. Ce moment du « clos » lui-même se clôt par une fin évidente : impossible de continuer ainsi. Il faut autre chose, respirer, ouvrir. Si la peinture de Jean Pierre Cadoret ne « représente rien », elle incarne cependant une intention, un moment de l’existence. Elle est « métaphore ». D’une métaphore de l’espace fermé, elle va devenir métaphore de l’ouvert.

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Influences et éblouissements

Comment sortir de cette voie « bouchée » de l’espace clos ? Il y a une toile radicale qui a tout changé : « j’ai enlevé les murs ». Tout simplement. Tout était là, comme attendant depuis toujours ce geste. Ce qu’il peint depuis, c’est « ce qu’il y avait derrière les murs », sourit-il. À l’inverse de la recherche précédente, il a cessé de rechercher les limites structurant tel ou tel espace. « Plus d’enfermement, et la couleur qui se libère, autour de la ligne ».

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Comment est-ce venu ? Un changement aiguisé par une constante curiosité, celle d’un voyageur, inlassable visiteur d’expositions, toujours en quête de nouvelles pages pour son grand livre d’images intérieur, comme lorsqu’il feuilletait enfant le livre Toute la Peinture de Citadelle et Mazenod, le seul livre d’art de la maison, qu’il possède encore et nous montre avec affection. « Ce changement, c’est né il y a quelques années », voilà cinq-sept ans, « mon goût s’est affirmé pour une certaine peinture : Rothko, Klein, Staël, Munch, Serge Poliakoff qui m’a littéralement ébloui il y a quelques années lors d’une grande exposition au Palais de Tokyo, ainsi que les expressionnistes abstraits américains, ces peintres qui déclaraient leur flamme à Monet sur leurs toiles ». Il y a Geneviève Asse aussi qu’il admire profondément (voir notre article sur l’artiste).

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Absorbé dans la peinture

Personne ne voit les tableaux en train de se faire. Il lui faut être seul. Sinon, « je peindrais  pour la personne, pour son regard, et non plus dans ce dialogue où la peinture se fait ».

Quand Jean Pierre Cadoret peint, « le temps passe deux fois plus vite ». « Ça provoque quelque chose qui m’est renvoyé. Je réponds, et ça fait autre chose. C’est comme si j’étais plusieurs. Je suis parfois très étonné ; il y a quelque chose d’imprévisible, une réaction permanente, un dialogue avec soi-même : est-ce que je garde ce que j’ai fait ? Ça prend du temps et c’est très contemplatif. Je suis à la fois acteur et premier spectateur ».

Il ne « pense » pas quand il peint, mais « je réfléchis ce que je fais ». Hors de question de penser à autre chose qu’à la peinture pure: pas de soucis du jour dans la tête, juste la peinture, en tête-à-tête. « Ça évolue sous le pinceau. Ma peinture est faite de repentirs constants. Par exemple, je prends un gris moyen, il va s’éclaircir, se foncer, des glacis de couleur superposés vont le transformer, jusqu’à ce que ce soit juste ».

« Je ne cherche pas », déclare-t-il. Mais quand c’est fini, Jean Pierre Cadoret le sait : « il y a un équilibre, fragile, mais qui satisfait comme cela, qui permet de passer à autre chose ».

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Exister

« Mes tableaux, je ne les veux ni joyeux, ni tristes. C’est neutre ». Ils disent juste « l’espace ». Peut-être « représentent »-ils, si on peut dire, avec l’espace qui s’ouvre à nous dans son infinité de couleurs, la possibilité de l’existence, simplement.

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Devant ces toiles, l’observateur peut se recueillir devant les couleurs offertes, sans penser à tel ou tel lieu, telle ou telle expérience. Juste exister, tout simplement. On espère que pourra se tenir prochainement une exposition d’envergure, dans laquelle les visiteurs pourront vivre cette extraordinaire expérience de méditation, de souffle et de beauté. Que ce soit à Rennes ou ailleurs, dans une institution publique ou dans une galerie privée qui sauraient débusquer cette oeuvre d’un artiste qui ne recherche pas beaucoup l’exposition, la faute à ses priorités.

Site de Jean-Pierre Cadoret

La biographie de Jean-Pierre Cadoret

Jean Pierre CADORET
4 rue de la Huguenoterie
35000 RENNES
​France
cadoret.j[@]gmail.com

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Christine van Geen
Christine van Geen a enseigné la philosophie au lycée et à l'Université avant de fonder il y a cinq ans le "Lavoir - Ateliers Réunis", tiers-lieu à Rennes. Elle passe la main en janvier 2021 pour écrire dans le domaine de l'écologie politique et de la cuisine, tout en montant une activité de conseil en montage de tiers-lieux en milieu rural, les "Ateliers Réunis".

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