Un café est un huis-clos parfait pour observer les êtres, entendre leurs confidences. Jean-Philippe Blondel nous invite à sa table pour voir et écouter. C’est tendre et doux. Profondément humain.

Elle s’appelle Chloé. Elle est installée à la table numéro 8, salle du fond à gauche près de la baie vitrée. On ne la voit guère, mais elle voit tout. Elle est la veilleuse, sphinge immobile qui regarde le monde. Après le confinement, elle a choisi une autre forme d’enfermement : seule, mais au contact des autres. Un ami lui a dit :

« Tu es une spectatrice qui se prête au jeu du monde de temps à autre, mais qui se tient souvent à l’écart. Je suis sûr que tu ferais une excellente peintre ou dessinatrice – tu as le don d’observation ».

C’est donc ce qu’elle fait : elle observe, gribouille avec ses pinceaux, ses crayons, esquisse les deux salles de café, le café Tom’s un nom étrange pour un établissement qui a changé il y a peu de propriétaires et où toute la décoration a été refaite. À l’exception de ces inconfortables sièges en skaï. Et puis il y a des clientes, des clients qui entrent, sortent et surtout discutent, se livrent dans ce lieu clos, ce cocon qui appelle les confidences.

Rythmé par les heures de la journée, de 9 heures à l’heure de fermeture, c’est un petit théâtre qui se met en place. La scène est recouverte d’un parquet tout neuf. La salle est petite, compartimentée, pour favoriser l’intimité. Les acteurs sont aussi spectateurs. Et réciproquement. L’acoustique laisse à désirer mais en tendant bien l’oreille, on peut distinguer les propos souriants, mais agressifs d’une mère à son fils, des propos éloignés de la table familiale où tout est édulcoré. Ici les vrais sentiments sont plus simples à dire. Direct comme un uppercut, ce sont des années de faux-semblant qui se brisent au-dessus d’une théière. À côté, deux hommes semblent se retrouver pour la première fois depuis des décennies. On dirait deux amants même si un seul parle, parle indéfiniment. De lui surtout.

Rien à voir avec les Brèves de comptoir. D’ailleurs de comptoir il n’en est pas question. Pas de petites phrases commentant l’actualité du monde, pas de dialogue absurde ou percutant. L’actualité, c’est celle des individus, assis, car on prend le temps, le temps de parler, de réfléchir : amour ou amitié, voyage, mariage, naissance. La vie en fait.

jean philippe blondel

Jean-Philippe Blondel nous a habitué à traquer ces petits moments de vie comme dans le fameux 06H41 où le temps d’un voyage en train, se rencontraient deux anciens amants. Les personnages sont cette fois-ci plus nombreux, sans liens apparents entre eux, mais tous ont un passé qui les rattachent à cette ville suffisamment petite pour que l’on puisse retrouver au hasard d’une terrasse un ancien copain, une amie d’école. À l’image de Philippe Besson qui, dans son dernier roman Paris Briançon, fait se télescoper des individus inconnus dans des compartiments d’un même train, Jean-Philippe Blondel met en scène avec un don d’observation acéré des personnages qui nous ressemblent tant et qui n’ont pas vocation à se connaître, à s’apprécier, à dialoguer. Un lieu les réunit, provoque des rencontres et va modifier peut-être le cours de quelques existences.

Comme d’habitude dans les romans de l’auteur, tout sonne vrai, les dialogues comme les situations et l’actualité, ici la Covid reste en fond sonore, discrète, mais présente. Le confinement a changé les relations entre les individus lors du retour à une existence proche de la normale. Le café vient de rouvrir, la vie reprend et il faut réapprendre à vivre ensemble. Avec le patron, le serveur, l’ancienne propriétaire du bar, ou un écrivain à succès, on remonte le temps, on relit le passé et tous s’interrogent, la tête au-dessus d’un verre ou d’une tasse, sur le sens passé et à venir de leur vie. On prend plaisir à les écouter.

Café sans filtre est doux et amer, chaud et réconfortant. Comme un café crème. Sans sucre.

Café sans filtre de Jean-Philippe Blondel. Éditions Iconoclaste. 288 pages. 20€. Parution 7 avril 2022.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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