Jean-Paul Goux vient de publier aux éditions Actes Sud un court roman superbement intitulé L’ombre s’allonge. Le lecteur y retrouvera la matière à dire chère à cet écrivain de 68 ans : l’influence gracquienne du lieu, l’absence, la solitude ou encore le travail sur la voix narrative. En prenant pour prétexte l’accident d’un homme, Arnaud, Jean-Paul Goux tisse un texte clair et obscur, et tout simplement juste.
Confrontés à l’accident, les personnages certes se remémorent, mais aussi se posent la question de leur culpabilité et fatalement, de leur propre finitude. La phrase de Jean-Paul Goux distribue les rôles. C’est à Clémence, c’est à Vincent de parler, mais aussi, par l’entremise des correspondances et des souvenirs, à Arnaud lui-même. C’est donc à l’écriture d’assumer la formation géométrique du triangle. S’il était une technique à laquelle comparer la polyphonie de l’écriture de Goux, ce serait le contrepoint. Les trois personnages constituent trois lignes distinctes dont la superposition vise finalement à l’harmonie.
« S’installer dans la permanence d’une forme », écrit l’un des narrateurs à la page 94. Le roman de Goux ne comporte aucun chapitre : les longues phrases créent une sorte d’unité qui fonde le texte en tombeau poétique. Un portrait en creux de cet Arnaud se dessine dans sa complexité : son caractère intransigeant, son exil en dehors de Paris, sa manière de zézayer, ses longues réflexions sur l’architecture, le combat dont il est le corps entre locataire et propriétaire (dans un arrière-plan parisien gentrifié). La structure interne du roman s’éclaire dans le parallèle avec l’architecture des villes : il est étonnant qu’un ensemble aussi vaste, détaillé, désordonné, puisse composer une forme d’unité. À l’image aussi de la vie…
Ce qui m’enchantait dans la contemplation des maquettes, comme aussi bien doit être enchanteur de contempler depuis une montgolfière le croissant de la petite ville en se tenant juste au-dessus de la ville de Chenevelle, c’était de voir rendu sensible par le moyen de la réduction d’échelle, comme ici ce serait par celui d’une légère altitude, d’éprouver ce qui dans le désir d’habiter tient au désir de la permanence, au désir d’installer à demeure dans l’espace une poche qui ignore le temps destructeur. Car habiter quelque part, ce n’est pas seulement occuper un logis, habiter c’est être mis en sûreté, séjourner dans ce qui vous ménage, vous permet de prendre la mesure de l’étendue de ce que vous êtes, vient le revêtir d’une forme, c’est ménager ce qui dure, ce qui s’élargit en vous dans la durée par les perspectives qu’ouvre devant soi la stabilité du temps, c’est ainsi vaincre le temps destructeur, s’installer dans la permanence d’une forme. (p. 94).