Pas un « lièvre de mars », mais un lièvre d’automne-hiver… Animal de nos campagnes en voie de disparition, le lièvre ? Toujours est-il que la chanson-titre a disparu de la mémoire du Haut-Arverne Jean-Louis Murat… Mais le dix-huitième album de l’artisan-stakhanoviste de la « chanson française » se relève fort bien de cette disparition.

 

 Expression poétique d’un monde et d’une vision intérieure toute personnelle, c’est un exclusivisme un peu autiste qui, paradoxalement, émeut dans les chansons de Murat. Ses odes s’élèvent d’un terrier qui n’est pas souterrain, mais creusé dans l’ère du temps par une voix qui les façonne dans la matière. Cet aspect artisanal prend toute son ampleur lors de ses concerts bien peu aseptisés…

Avec une voix d’humus et d’humeur, il chante depuis un lieu disparu, englouti par le temps. Depuis une caverne creusée dans un monde. La brume y est palpable et odoriférante, réchauffée par un pâle soleil matinal. Les roches éthérées scintillent de leurs reflets presque aqueux.

Tout cet univers est traduit par une voix virile et suave (Murat n’a pas peur des mots démodés). Ni réactionnaire ni progressiste, l’Arverne des hautes montagnes aux bruyères grinçantes traduit la guerre, la Grande, et son impact sur la solide sensibilité paysanne.

 Il cisaille (cisèle, ne ferait pas partie de son rugueux lexique) des mélodies avec toute la tendre sensibilité intérieure d’un bûcheron ou d’un tailleur de pierre solitaire dont l’haleine solide se fond à la brume matinale gorgée d’une énergie sensuellement éveillée par la flamme solaire…

L’homme captif a besoin d’aide
Demeurer pur
Oh quel voyage !
L’air libre dévore le Christ
(Haut Arverne)

La nostalgie portée par sa voix à la fois profondément suave et ironiquement rocailleuse ne tolère aucun remugle vindicatif. Il aime (et déteste) sans torture métaphysique. Souvent plaintif, comme seules les vraies âmes amoureuses peuvent l’être.

L’Auvergne traditionnelle court à sa perte. Dans les conseils municipaux, ce sont les commerçants, les agents du tourisme qui ont pris les postes. Ils ne voient pas d’autres développements que le développement touristique. Alors que l’on sait que c’est ça qui a tout tué : va demander à Tahiti ou à Saint-Tropez ce qu’ils en pensent du développement touristique ! En Auvergne, à cause de cela, il reste peu de paysans et l’agriculture va disparaître. (entretien paru dans Serge n°7)

 On le voit, ses récentes déclarations n’arrangeront rien à son statut de « décalé, jamais content »…

 Vous faites malgré tout des choix politiques, comme tout le monde…

Idéologiquement, j’aime beaucoup Léon Bloy, Bernanos. Ils ont une façon de penser dans laquelle je me retrouve. Ce sont des précommunistes, des prochrétiens. Si je doute de quelque chose, il suffit de quelques pages de Bernanos, ça me remet à cheval ! Mais ce n’est pas tellement de la politique, c’est plutôt une façon d’envisager la vie et l’individu. (entretien paru dans Le Point.fr)

Bref, Murat est un beau rebelle authentique en costume de chanteur de variet’. Un grand lièvre libre, encore, pour l’instant ! Dépêchez-vous de l’écouter s’animer…

Jean-Louis Murat, « Grand Lièvre », 26 septembre 2011, V2 Music / Polydor.
 1 / Qu’est-ce que ça veut dire
 2 / Sans pitié pour le cheval
 3 / Rémi est mort ainsi
 4 / Alexandrie
 5 / Haut Arverne
 6 / Je voudrais me perdre de vue
 7 / Vendre les prés
 8 / Le champion espagnol
 9 / Les rouges souliers
 10 / La lettre de la pampa

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Thierry Jolif
La culture est une guerre contre le nivellement universel que représente la mort (P. Florensky) Journaliste, essayiste, musicien, a entre autres collaboré avec Alan Stivell à l'ouvrage "Sur la route des plus belles légendes celtes" (Arthaud, 2013) thierry.jolif [@] unidivers .fr

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