L’électricité alimente nos vies sans même que nous y fassions attention. Mais que se passerait-il si demain, elle s’arrêtait ? L’homme a vécu quatre milliards d’années, bien avant l’invention de l’électricité, une vie doit donc être possible sans cette fée moderne. C’est cette utopie rétro qui est au cœur du roman de Jean Hegland Dans la forêt.
Ce premier roman de Jean Hegland Dans la forêt met en en scène Nell et Eva qui vivent avec leurs parents dans une maison isolée aux abords de la forêt à quinze kilomètres de la ville principale, Redwood. Elles n’ont jamais été scolarisées. Nell apprend seule dans les livres et sur Internet et va être admise à Harvard, Eva danse et réalisera le rêve avorté de sa mère, intégrer le San Francisco Ballet. La vie était belle et simple avec une mère passionnée d’arts, bonne cuisinière, un père professeur et débrouillard. Les deux sœurs très complices trouvent souvent refuge dans cette forêt environnante, à la fois dangereuse et providentielle, et font de la souche d’un séquoia millénaire leur aire de jeux.
Lorsque leur mère meurt d’un cancer, les pannes d’électricité ne sont encore qu’épisodiques. Mais quand ce roman commence, Nell et Eva sont seules pour fêter Noël sans guirlandes, sans odeurs des gâteaux de leur mère, sans le soutien de leur père. Eva offre un vieux cahier retrouvé derrière un meuble à sa sœur qui ne vit que pour la lecture et l’étude. Elle pourra ainsi écrire son journal. Et Nell raccommode les vieux chaussons de danse pour Eva qui pourra ainsi continuer à s’évader dans son studio de danse, sans musique, au rythme d’un seul métronome.


Les épreuves se succèdent, les lieux de l’enfance deviennent des champs de bataille. Seul l’amour, souvent contrarié, aide les deux sœurs à tenir debout.
Car quand la forêt a commencé à réapparaître, nous nous sommes senties à peine soulagées pour le remarquer. Elle n’était plus le lieu bienveillant de notre enfance ni même le lieu neutre qu’elle avait été la veille. La forêt qui se révélait à mesure que la nuit se retirait était un lieu dur, indifférent, un lieu où un homme pouvait verser le sang de sa vie dans le sol, et les arbres, les pierres, la terre même ensanglantée demeuraient identiques. Seuls les vautours, les sangliers et les vers s’intéressaient à ce qui était arrivé.
Et pourtant, elles savent que la nature est leur seule chance de survie, loin des hommes qui pillent et s’entretuent. Dans un rythme implacable, Jean Hegland enchaîne les événements, alternant les coups durs et les moments d’espoir, créant de l’émotion entre les peurs et les souffrances. Déficit du gouvernement, crise du pétrole, accident nucléaire, cet ancien roman d’anticipation résonne aujourd’hui plus intensément en Amérique. La survie de l’espèce humaine ne passe-t-elle pas par un rapprochement avec la nature ?
Jean Hegland Dans la forêt, traduit de l’anglais (États-Unis) par Josette Chicheportiche, éditions Gallmeister, 302 p., février 2017, 23,50 €
Jean Hegland est née en 1956 dans l’État de Washington. Après avoir accumulé les petits boulots, elle devient professeure en Caroline du Nord. À vingt-cinq ans, elle se plonge dans l’écriture, influencée par ses auteurs favoris, William Shakespeare, Alice Munro et Marilynne Robinson. Son premier roman Dans la forêt paraît en 1996 et rencontre un succès éblouissant. Elle vit aujourd’hui au cœur des forêts de Californie du Nord et partage son temps entre l’apiculture et l’écriture.

