Jean-Benoit Lallemant, pour son exposition « Séance publique »,  présente un ensemble de trois œuvres qui questionnent la représentation et la mise à jour de l’action politique. À partir de la thématique de la saison 2015-2016 du Volume – « La Folie » – développée en trois axes que sont l’accumulation, la répétition et les détournements, l’artiste poursuit ses recherches sur le contrôle et la maîtrise de l’image.

 

Un homme pour les représenter tous

jean-benoit lallemantAu centre de l’espace d’exposition, seule, l’œuvre Kim Jong-il. Reformcrime se présente frontalement. Une sculpture en 3D expansée et peinte à l’aérographe, représentant Kim Jong-il flou est installée sur une base et un socle démesurés dont le plaquage imite le marbre. Selon l’artiste, l’œuvre s’autoproclame « première sculpture floue de l’histoire de l’art », première d’une série de sculptures de hauts dirigeants ayant pour sujet la dilution de la souveraineté.

Reformcrime symbolise le pire cauchemar des dirigeants de la « République populaire démocratique de Corée », fondée sur le contrôle de l’image, l’autocélébration et le culte de la personnalité. Rendre ce personnage flou n’est pas seulement une dérision sur le pouvoir, mais aussi une manière pour l’artiste de réinterpréter la façon dont le pouvoir présente la dynastie, en les confondant. Car, peu importe que cette sculpture représente Kim Jong-il, elle évoque tout autant son père ou son fils, tant ils brouillent les frontières de la représentation, jouant sur les ressemblances de ladite filiation. En témoigne le statut de « Président éternel » – plus haute autorité politique et idéologique du régime à ce jour – acquis par Kim Il Sung quatre ans après sa mort en 1994. Qui de plus approprié, pour analyser la représentation du pouvoir et l’image publique, que Kim Jong-il ?

jean-benoit lallemantAvec cette sculpture, Jean-Benoit Lallemant révèle l’impuissance du pouvoir politique face aux nouvelles technologies qui permettent aujourd’hui de capturer et de relayer des images qui n’auraient jamais été diffusées auparavant et viennent brouiller l’image que le personnage politique tente se de façonner.

Inonder, perturber, obstruer

Au fond du hall d’entrée, nommé « la rue », une barricade constituée de 10 000 pavés en papier photographique recouverts des vues que propose Google Street View de la place de la Bastille, a pour sujet la lutte à l’heure des révolutions connectées. Réalisée avec Richard Louvet, cette œuvre monumentale germe dans la tête des deux artistes depuis le Printemps arabe (2010).

Intitulée DDoS (Distributed denial of service attack – Attaque par déni de service), cette barricade est appelée à faire partie d’une série se focalisant sur des places publiques chargées d’un passé révolutionnaire. Comme rempart des insurrections populaires, DDoS rejoue à partir de papiers déployés dans l’espace, la technique du hacking éponyme, consistant à saturer un site pour le rendre indisponible aux usagers. Mais, sommes-nous véritablement parvenus à une nouvelle ère pour les révolutions populaires ? Indéniable catalyseur des mobilisations, Internet aurait cependant entraîné une dépolitisation des populations et un rétrécissement de l’espace public. Éphémère, spontanée et désorganisée, la barricade formée de morceaux urbains reste un symbole de la révolution de rue.

jean-benoit lallemantÀ l’entrée, collée sur la façade vitrée, Jean-Benoit Lallemant présente « Séance publique », une découpe numérique en adhésif noir représentant une demi-sphère. Composée de 10 000 points, elle prépare la portée individuelle de l’expression. Dans cette architecture de parlement virtuel, chaque point représente un individu. Cette œuvre en cours, réalisée en collaboration avec Mistral Oz, développeur, tend à devenir un véritable outil de visualisation des données électorales.

Jean-Benoit Lallemant ne considère pas les œuvres d’une exposition comme s’additionnant :

Ce qui m’intéresse c’est que le propos de l’une soit le socle de la suivante et qu’ainsi les propos multiplient les points de vue afin de sédimenter une trame d’analyse. Je refuse tant que possible de proposer des œuvres qui questionnent. Je conçois les œuvres comme des articles scientifiques dont le but est d’apporter une réponse précise à un sujet précis.

Contre l’utilité, l’art revendique son autonomie. L’art « engagé » est ainsi souvent soupçonné de trahir la cause de l’art. Pour cette exposition, Jean-Benoit Lallemant donne forme aux nouvelles questions posées par la société afin d’offrir la possibilité au spectateur d’envisager des alternatives.

Son engagement se traduit par le fait que l’œuvre examine aussi ses moyens artistiques, que chacun des médiums et techniques qu’il convoque est choisi spécifiquement en lien avec le sujet qu’il traite. Une œuvre n’est pas politique quand elle a un thème politique, mais quand elle « adopte une attitude politique : le plaisir à transformer les choses, politiques aussi bien que privées » (Manfred Wekwerth, dans « Bertolt Brecht », Europe, no 856-857, Paris, août-septembre 2000). En s’appropriant de manière critique les technologies et les instruments de représentations, Jean-Benoit Lallemant met à mal la représentation elle-même et démontre une nouvelle fois la profondeur et l’intégrité de sa démarche artistique.

 « Séance publique » Jean-Benoit Lallemant, jusqu’au 4 février au Volume – Espace culturel, Vern-sur-Seiche

Né en 1981 en France, Jean-Benoit Lallemant vit et travaille à Rennes. Diplômé de l’Université de Rennes II, UFR d’arts plastiques, il a exposé à la Gaîté Lyrique, au Cube à Paris, à la friche la Belle de mai à Marseille et au Quartier centre d’art à Quimper. La recherche de Jean-Benoit Lallemant porte notamment sur le développement croissant des technologies de communication et sur la dématérialisation du monde qui en découle. L’artiste détourne avec méthode des cartes, des plans, des phénomènes scientifiques ou des données géopolitiques.

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Doriane Spiteri
Commissaire d'exposition et critique d'art, Doriane Spiteri développe des recherches sur les liens entre arts, éducation et démocratie liés à une nouvelle conception du spectateur à partir des années 1960.

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