En 2009, 39 % des Japonais seulement affirmaient être adepte d’une religion (1). Pourtant, 90 % d’entre eux avaient participé à une cérémonie religieuse ou visité un temple sur la même période d’étude. Un contraste saisissant qui recouvre un vécu religieux tout à fait particulier au Japon…

 

Une pratique pragmatique de la religion 

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Au cours de la vie d’un Japonais, les religions s’entrecroisent sans le moindre complexe. Célébrer une naissance dans un sanctuaire Shintô*, se marier à l’Église catholique pour finir par se faire inhumer selon la tradition bouddhiste, cela n’a rien d’exceptionnel, et tant pis si l’un de ces dieux se prétend unique : il devra partager.

Fête Lê Vu Lan« Les gens prennent seulement les bons côtés, ou les côtés qu’ils aiment dans les religions. C’est très libre… Est-ce que c’est mal ? » C’est en ponctuant sa phrase d’un petit rire que Mme Ishida (2), enseignante à l’université de Dōshisha (Kyoto), explique ce fonctionnement particulier. Cette légèreté qui caractérise le rapport à la religion au Japon est sans doute ce qui contribue pour une bonne part à sa pratique persistante dans la population.

En lieu et place des impératifs, des exhortations à la foi, de la peur du péché, on trouve une sorte de religiosité pragmatique. Il suffit de regarder les demandes accrochées sur « l’arbre à souhait » pour constater à quel point le rapport au sacré est avant tout celui d’une demande qui cherche à pourvoir à un besoin ou une envie immédiate. Sont griffonnés pêle-mêle des vœux pour réussir à son examenrencontrer l’être aimé, manger du crabe à midi, mais aussi des remerciements pour le bonheur trouvé… Faire un acte religieux, ce n’est pas quelque chose qui engage, qui pèse. C’est s’adresser à des divinités qui sont multiples, imparfaites, qui ont un caractère proche de celui de l’être l’humain. Cela n’a donc rien d’exclusif et peut se résumer à un geste anodin mais pourtant essentiel à la cohésion sociale.

  • Sanctuaire Shinto : appelés le plus souvent jinja (神社) en japonais, ce sont des lieux de culte du shintoïsme, où l’on vénère un kami – en japonais le terme kami (神) désigne les divinités ou esprits vénérés dans la religion shintoïste. Les kamis sont la plupart du temps des éléments de la nature, des animaux ou des forces créatrices de l’univers, mais peuvent aussi être des esprits de personnes décédées. Beaucoup de kamis sont considérés comme les anciens ancêtres des clans.)

Une religion-loisir

BouddhismeLa majorité des Japonais sont des pratiquants… non croyants. Ils vont au temple, prient, achètent diverses amulettes, participent à des festivals religieux, tout cela en assumant parfaitement une absence de foi religieuse. La contrainte inexistante et le côté ludique des sorties au temple et des évènements religieux jouent à plein dans cette ferveur de surface. Les temples japonais ont su s’imposer comme lieux de promenade ou de tourisme incontournables. Le cadre, en extérieur, entouré de verdure, calme, semble appeler à la flânerie. Nombreux sont les visiteurs qui n’y viennent que par intérêt historique, culturel, ou simplement pour effectuer leur promenade quotidienne. Mais, si au détour d’un temple particulièrement réputé, ou particulièrement désert, on peut formuler un petit vœu, ou acheter un porte-bonheur… ça ne peut pas faire de mal.

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Face à l’austérité des messes chrétiennes, l’animation des festivals shintôs (les matsuris) détonne. Certains se font à l’échelle du quartier, d’autres ont une renommée nationale ou internationale.

Au Gion matsuri de Kyoto, l’odeur de la viande grillée et les vendeurs de glace précèdent l’arrivée du cortège accompagnant les dieux. Les chants et les danses envahissent la ville tandis que l’on se remplit le ventre, que l’on boit, que l’on encourage ceux qui traînent les chariots les plus lourds dans la chaleur humide de l’été. C’est l’occasion, aussi, de sortir son plus beau kimono d’été pour prendre de jolies photos.

Si ce rapport à la religion peut surprendre d’un point de vue d’Occidental, il faut pourtant se garder de le considérer comme superficiel : et si la forme pouvait primer sur le fond ?

Une religion ancrée dans le ritualisme

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Jean Pierre Berthon, chercheur en sciences humaines, souligne l’importance ancienne du ritualisme dans la religion japonaise. Ce qui prime, c’est bien davantage la pratique que la doctrine. En ce sens, la religiosité est toujours bien présente au Japon, et ce indépendamment du fait qu’il y ait ou non une quelconque croyance religieuse. Ainsi, beaucoup de non-croyants possèdent un autel bouddhiste chez eux, ce qui représente une façon de rendre hommage aux morts, aux ancêtres. La religion est vue comme une tradition, et non comme une croyance dans la majorité des cas : mais cela n’enlève aucune valeur à la pratique religieuse aux yeux des Japonais.

Avalokiteśvara, buddha de la miséricorde universelle, représentation usuelle au Japon

« Les Japonais ne pensent pas à la religion comme religion, mais plus comme tradition : se laver les mains à l’entrée du temple, c’est un peu comme enlever ses chaussures à l’entrée de la maison de ses amis. » (2)

« Je pense qu’au Japon, le plus important c’est la tradition, et pas la foi. Il s’agit de partager une culture commune. » (3)

« Les jeunes qui participent à un festival religieux n’en comprennent pas tous le sens, cela relève plus de la tradition. Mais ça a du sens de protéger le quartier, de créer un lien communautaire. » (4)

En somme, la religion n’est pas un rapport individuel à une entité supérieure, mais l’occasion de fonder fermement un lien communautaire autour de rites partagés, de préférence dans la joie et la bonne humeur. C’est ainsi que les petits festivals de quartier se perpétuent inlassablement, jusqu’à en oublier le nom du dieu auquel il était destiné.

« Bien sûr, les jeunes ne comprennent pas tout des cérémonies, mais ils y participent, année après année, et c’est ça qui est important, perpétuer la tradition. Avec le temps, ils apprennent. » (4)

Références et interlocuteurs :

1 The NHK Monthly Report on Broadcast Research
2 Mme Ishida, professeure à l’université
3 Mr Komori, homme d’affaire retraité
4 Mme Nishijima, professeure à l’université
5 Jean-Pierre Berthon, « Les formes de la pratique religieuse au Japon : persistance et changement », Civilisations [En ligne], 39 | 1991, mis en ligne le 06 juillet 2009, consulté le 26 février 2016

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Festival Gion Matsuri : Du 1er au 29 juillet à Kyoto :

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Familièrement appelé Gion-san, le festival Gion Matsuri est peut-être le festival le plus connu du Japon. Il a lieu tous les ans autour du sanctuaire Yasaka-jinja et met en scène le grandiose spectacle d’une trentaine de chars, appelés yamaboko, paradant dans les rues de Kyoto le 17 juillet. On dit que ce festival a eu lieu pour la première fois il y a 1 100 ans. Les chars défilaient alors dans la ville pour apaiser la divinité des fléaux et des maladies.

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Ces chars à deux étages mesurent environ 6 mètres de haut et sont surmontés d’un long mât en forme de lance. Ils sont ornés des plus beaux tissus brodés ou teints, ainsi que de sculptures, témoignage d’un riche artisanat d’art. Pour cela, on les décrit parfois comme des « musées d’art ambulants ». Au cours du défilé, des enfants maquillés et habillés à l’ancienne, ainsi que des musiciens jouant de la flûte, des tambours et des carillons sont installés au niveau supérieur du char. Quelques places payantes sont disponibles pour assister confortablement au défilé, mais il faut s’y prendre très en avance en réservant auprès de l’Association touristique de la ville de Kyoto.

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D’autre part, entre le 14 et le 16 juillet se déroule chaque nuit le festival Yoiyama. Les chars sont exposés dans la ville, abondamment illuminés, et une musique festive connue sous le nom de Gion-bayashi s’élève dans quasiment toutes les rues. Ces soirs-là, les gens se promènent et visitent chaque yamaboko où ils peuvent acheter des omamori (porte-bonheurs) faits de feuilles de bambou nain sasa pour éloigner les mauvais esprits. Durant ce festival Yoiyama, les habitants ouvrent leur portes au public pour montrer leurs plus beaux objets d’art. Cette coutume est également appelée Byobu Matsuru ou le festival du paravent. Il s’agit là d’une chance unique de pénétrer et d’admirer les maisons traditionnelles de Kyoto. Toutefois, merci de vous souvenir que ce n’est pas une visite à un musée d’art et de bien vouloir respecter les convenances lorsque vous visitez les maisons de ces simples citoyens.

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