Marilynne Robinson, auteure américaine récompensée par Barack Obama de la National Humanities Medal en 2012 pour « la grâce et l’intelligence à l’œuvre dans son écriture. », clôt ici avec Jack , sa tétralogie romanesque initiée en 2005 avec Gilead ( Actes Sud, 2007).
Née en 1943 dans l’Idaho, c’est pourtant dans l’Iowa où elle vit que Marilynne Robinson installe son œuvre majeure marquée par son éducation calviniste et ses études de philosophie. Gilead commence avec le récit du révérend John Ames, le père de Jack. Ensuite, Chez nous (Actes Sud, 2009) poursuit l’analyse des liens familiaux des Ames avec les retrouvailles de Glory et de Jack auprès du père mourant. Jack est déjà cette figure tourmentée, ce fils prodigue instable et alcoolique. Puis avec Lila (Actes Sud, 2015), nous découvrons une autre facette du révérend Ames, celui qui prend sous son aile une jeune fille perdue, éprouvée par un lourd passé.
Jack (Actes Sud, 2022) c’est la rencontre en 1945 à Saint-Louis (Missouri) de John Boughton Ames dit Jack, marginal blanc tout juste sorti de prison et de Della Miles, professeure d’anglais noire, fille d’un évêque méthodiste de Memphis. Le récit commence avec leur première dispute à la sortie d’un restaurant. Sans le sou, racketté par des malfrats, Jack a humilié la jeune femme au moment de l’addition.
Un mois plus tard, ils se retrouvent dans un cimetière où Jack passe parfois la nuit sur un banc. La jeune professeure s’y est malencontreusement retrouvée enfermée. Ils passeront la nuit à discuter de poésie, de questions théologiques autour de l’âme, du péché, du pardon et de la prédestination. Ils se découvrent, se confient autour de leur éducation religieuse et d’une même passion pour la poésie. C’est le début d’une histoire d’amour, d’une relation interdite qui pourrait valoir la prison à Della.
Je suis contente de vous connaître, dit-elle. Les gens se comportent comme s’il s’agissait d’une chose honteuse. Notre amitié, le fait que nous bavardons de temps en temps. Mais je ne peux pas vivre de cette façon. Je ne peux pas avoir honte simplement parce que les gens estiment que je devrais.
Extrait de Jack de Marilynne Robinson
Le roman se centre sur l’introspection, les tergiversations de Jack. Attiré par Della, il fait tout pour la croiser. Mais il sait aussi qu’il est un danger pour elle. D’une part parce que les relations mixtes sont interdites, mais aussi parce qu’il porte le mal. Que peut-elle espérer d’un homme comme lui, considéré comme un voyou par son propre père, pris pour un mendiant par ceux qui le croisent avec son chapeau usé et ses habits défraîchis. Au moindre souci, il se console avec l’alcool, vivant de l’aumône de son frère malgré quelques petits boulots qu’il parvient à obtenir.
Vous avez l’air de quelqu’un qui a besoin qu’on lui pardonne quelque chose.
Extrait de Jack de Marilynne Robinson
Cet homme a effectivement quelques poids sur sa conscience. Pourtant, malgré les pressions de sa famille, la mise en garde du proviseur de son lycée, Della voit en Jack un homme bon et intelligent, un amoureux de la poésie. Elle y voit une âme.
Une âme n’a aucune qualité terrestre, aucun passé lié aux choses de ce monde, aucune culpabilité, aucune blessure, aucun échec.
Extrait de Jack de Marilynne Robinson
Marilynne Robinson fait de Jack un personnage remarquable, profond et captivant. Un homme, renié par son père, jugé comme un fils maudit, banni de la société, persuadé d’être le Prince des ténèbres, peut-il accepter l’amour d’une jeune femme si respectable ? Doit-il maintenant refuser ce que le Ciel lui tend ? L’aimer c’est aller vers elle quelque soient les dangers ou la laisser tranquille pour la protéger ? Malgré sa volonté d’innocuité, pourra-t-il résister à l’alcool, la tentation du mal ? Entre lectures à la bibliothèque, entretiens avec le révérend Hutchins, heures volées auprès de Della, Jack essaie de trouver des réponses à ses dilemmes.
En toile de fond, l’auteur campe une Amérique raciste prompte à raser les quartiers noirs de Saint-Louis et à stigmatiser les marginaux. Jack est une lecture exigeante, notamment au début lors des longues conversations théologiques entre Jack et Della. Mais elle est une réflexion universelle sur la possibilité de s’affranchir d’un lourd passé , d’une éducation rigoriste. Sur le pouvoir de l’amour malgré tous les obstacles de la société et de l’entourage familial.
Chaque roman de la tétralogie peut se lire indépendamment les uns des autres mais je ne peux que vous conseiller de lire l’intégralité de l’œuvre de cette grande auteure américaine. Marilynne Robinson, femme de lettres américaine est née le 26 novembre 1943 à Sandpoint dans l’Idaho. Elle est l’auteure de Gilead (Actes Sud, 2007 ; prix Pulitzer 2005 et National Book Critics Circle Award), Chez Nous (Actes Sud, 2009 ; Orange Prize) et Lila (Actes Sud, 2015 ; National Book Critics Circle Award). Son premier roman, La Maison de Noé (Babel no 1354) a reçu le prix PEN/Hemingway et a figuré sur la liste des cent plus grands romans publiée par The Observer. Elle vit dans l’Iowa, terre de sa série Gilead, dont Jack est le quatrième opus.
Jack de Marilynne Robinson, paru le 4 mai 2022 chez Actes Sud, traduit de l’américain par Simon Baril, 304 pages, Prix : 22,80€, ISBN : 9782330167233
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