Si récemment nous discourions sur l’intérêt du livre numérique, la lecture n’est pas l’apanage du livre. Tandis que la presse est en profonde mutation et même en transfert complet sur internet (comme Newsweek encore dernièrement), il est utile de se demander si Internet ne tue pas la lecture et la réflexion qui en découle. Un comble pour un Webzine culturel ?…

La lecture sur écran est différente de celle sur papier et conduira certainement à une segmentation de l’édition littéraire. Mais la lecture de la presse ou d’articles sur internet est aussi très différente de celle sur support papier. Peu sensible au début d’Internet, l’arrivée des tablettes, smartphones et autres supports de consultations a changé la donne. Les réseaux sociaux ont façonné peu à peu le mode de lecture et de réponse.

Un média polymorphe

Autrefois, les sites web n’étaient accessibles qu’aux seuls ordinateurs via des navigateurs. Au pire, un site n’avait pas le même aspect selon le navigateur, mais le confort de lecture était similaire. Avec l’arrivée de mobiles connectés, de tablettes, d’applications, la lecture de site peut prendre plusieurs formes. Le confort s’en ressent si le site n’est pas conçu pour tous ces modes. Ainsi, les forums ne sont guère pratiques à parcourir et tendent à être remplacés par des discussions sur les réseaux sociaux. Les articles longs deviennent littéralement interminables sur un petit écran de mobile. Selon le support employé par le lectorat d’un site, l’expérience de lecture diffère, voire diverge. À cela s’ajoute la progressive disparition de l’ordinateur au profit des smartphones et tablettes. Dès lors, la lecture internet empreinte une autre voie que celle de l’origine.

L’influence des réseaux sociaux

Oui, les réseaux sociaux façonnent de nouveaux comportements face à la lecture et l’écriture. Alors que le net était constitué de newsgroups, de chats IRC, de forums, ces outils se sont vus remplacés par des chats web, des groupes et pages Facebook et des discussions à travers twitter. 140 caractères pour faire passer une idée ou un lien, un bouton « j’aime » pour donner son avis : voilà des facilités qui peuvent s’avérer nuisibles en termes de communication. Qui n’a pas eu un twittclash à cause du manque de développement d’une idée dans ces fameux 140 caractères ? Qui se contente de mettre un « J’aime » ou « Like » sur la phrase de commentaire d’un internaute plutôt que de développer sa propre idée. Paradoxalement, cette profusion d’outils de communication semble restreindre la transmission des idées et appréciations.

La structuration de la pensée en question

Certains, comme Cédric Biagini, auteur d’ouvrages consacrés à la place de la technologie dans nos vies, voient dans cette ‘évorégression’ une perte de la structuration de la pensée. Si la lecture d’un article est linéaire, la lecture web ne l’est pas par la généralisation des liens qui font butiner de page en page par des liens hypertextes sans jamais atteindre la fin d’un article. Mais n’est-ce pas seulement là un manque de formation autour de l’outil hypertexte qui ne devrait pas être manié d’un simple clic ? On apprend à lire à l’école, mais on n’apprend pas à lire en hypertexte et à comprendre ce qu’il y a derrière. Des enseignants se réjouissent d’avoir des tablettes numériques au goût de pomme dans leurs classes, mais ont-ils pris le temps de montrer le bon usage à leurs élèves ? Connaissent-ils d’ailleurs bien le fonctionnement de la machine ? Bien souvent non.

Le goût de la lecture et de l’écriture se retrouve forcément dans ces parcours, mais subit l’influence des médias dominants. Ainsi, malgré la richesse de la langue française, les lecteurs préfèrent souvent éviter les phrases longues, les vocabulaires trop complexes et les mots précis, mais d’usage rare.  C’est autant l’indice d’un effort de communication vers un langage commun que d’une volonté d’accessibilité. La pensée est structurée aussi par des habitudes-réflexes. Si l’habitude de s’informer est prise par la lecture des nouvelles people et de quelques pages Facebook en langage SMS, que devient alors l’effort de réfléchir, de réfléchir à travers une langue ?

Le contenu doit-il s’adapter ou l’internaute doit-il s’adapter ?

Les statistiques des sites permettent d’analyser le temps passé sur une page, les rebonds sur des liens, la sortie du site, etc. Ces froids pourcentages peuvent interroger l’auteur sur sa manière d’écrire et de structurer ses articles. C’est une question sous-jacente à chaque écriture d’article. Elle est aussi visible dans l’évolution de la presse papier. Le rédactionnel laisse trop souvent la place à l’iconographie. Pourtant, à bien y regarder, les titres qui conservent un lectorat fidèle sont ceux qui conservent un rédactionnel solide. Pour avoir lu beaucoup de blogs de critique littéraires, j’en ai vu changer pour structurer leurs articles d’une manière uniforme sur le modèle d’un autre. Si le contenu restait intéressant au début, plusieurs ont souvent dérivé vers une manière stéréotypée d’écrire. Résultat : perte d’originalité et, finalement, d’intérêt. La forme l’a emporté sur le fond.

Aussi, la question soulevée par cet article, sans doute trop long, n’a pas de réponse tranchée. En tant que consommateurs de contenu et en tant qu’humains, nous sommes naturellement tentés par la facilité d’un article rapide à lire et qui nous fera peu réfléchir. Mais ce nivellement par le bas ne nous est-il pas dommageable ? Plus que le net et la lecture, c’est l’information et l’éducation qui pâtissent déjà de cet état de fait. Il est donc urgent d’apprendre à utiliser correctement ces outils dès le plus jeune âge.

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Didier Acker
didier.ackermann {@] unidivers .fr

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