cinéma, film unidivers, critique, information, magazine, journal, spiritualité, moviesAvec Inherent Vice, inspiré d’un célèbre roman de Thomas Pynchon, Paul Thomas Anderson, réalisateur esthète et ambitieux, nous livre une nouvelle réalisation dont les vices de forme sont moins inhérents que très apparents.

 

Trois ans après The Master, grand film malade qui confirmait la trajectoire artistique d’un Paul Thomas Anderson toujours plus ambitieux, voici qu’arrive Inherent Vice, nouvelle production qui, à la vue du parcours exemplaire du cinéaste américain, procurait une attente importante de la part de spectateurs avides de qualité cinématographique.

Paul Thomas Anderson est un esthète, la chose est entendue. En effet, tous ses films, exception faite peut-être de Double Mise, première livraison oblige, ont su marquer le regard d’un auditoire toujours passionné par les expérimentations de ce formaliste convaincu donnant à la réalisation américaine contemporaine des lettres de noblesse évidentes. Il est vrai que le cinéaste a toujours su faire avancer des projets où l’ambition de l’écriture trouve évidemment son parangon dans l’exercice de la mise en scène. Néanmoins, tel un Icare, à force de voler trop haut, les ailes finissent toujours par brûler. Comme un signal d’avertissement, The Master avait déjà initié des interrogations. Que faire après There Will Be Blood, Ours d’or 2008 du meilleur réalisateur au festival de Berlin, monstre aux huit nominations aux Oscars et nommé dans tout ce que les institutions cinématographiques peuvent offrir ? Y’a-t-il moyen d’aller plus haut, de taper plus fort ? Sûrement ! Les grands cinéastes ont toujours su rebondir. Néanmoins, aux vues de The Master et maintenant d’Inherent Vice, une autre considération viendra supplanter ces réflexions et celle-ci ira bien au-delà de considération artistique première. C’est donc une tout autre question qui se pose : derrière l’ambition, attitude certes toujours louable, ne se cache-t-il pas une certaine forme de prétention voire même de condescendance où Anderson essaierait coûte que coûte de montrer tout le génie qui irrigue sa démarche ? Donnée supplémentaire, ce cinéma ne deviendrait-il pas malhonnête en étant concentré dans cette recherche égotique ? Si le piège était présent, mais restait – presque – inoffensif dans The Master, la qualité de l’interprétation et l’écriture étant largement au-dessus de la moyenne, celui-ci, avec Inherent Vice, se referme telle une trappe que l’on va sceller définitivement et devient purement mortifère.

Le film souffre de maux terribles auxquels Paul Thomas Anderson ne nous avait, pourtant, jamais habitués. Si celui-ci est reconnu pour être un as de la réalisation – les séquences magiques étant quand même légion dans son cinéma (l’hallucinant plan-séquence introductif ou la superbement chorégraphiée scène de disco de Boogie Nights, la liaison musicale chargée d’émotions autour du Wise Up d’Aimee Mann de Magnolia, le beau baiser final de Punch-Drunk Love, le tour de force inaugural abstrait de There Will Be Blood pour ne citer qu’elles) – il est évident qu’il a oublié son cahier des charges formel dans cet Inherent Vice. En effet, au-delà de la composition très ordinaire des plans – un minimum pour tout réalisateur -, il faut bien se rendre compte qu’absolument aucune séquence n’est construite correctement et ne peut, par conséquent, jamais être mise sur un piédestal définitif. Pourtant, cet acharnement a cerner directement un objectif culte instantané est bel et bien une marque de fabrique, peut-être détestable, mais, reconnaissons-le, souvent jubilatoire, chère à l’artiste. Ici, il faut creuser bien longtemps pour déceler une once de virtuosité palpable pouvant provoquer l’excitation du spectateur. Pire encore, si le génie absolu n’est pas au rendez-vous, même la toute simple donnée qualitative vient à manquer. La faute majeure en revient à l’étirement extrême de situations qui ne le méritent même pas et à la flemmardise, le terme n’est pas trop fort, du dispositif. A titre d’exemple symbolique, la palme revient incontestablement au retour de l’ex-petite amie de Joaquin Phoenix. Le moment est pourtant crucial puisque censé apporter des résolutions (du moins, le croit-on). Néanmoins, le plan-séquence n’est qu’une image fixe et le cadrage de trois quarts reste très conventionnel. Jouant un rôle-type car générant un climax, cette séquence provoque, devant tant d’inutilité, une gêne. Alors, certes, au-delà de séquences maîtresses qui n’existent donc pas, des instants sont à glaner, notamment dans l’exercice de la comédie (mais un raccord de cinq secondes et/ou un exercice de comédien – merci Josh Brolin – sont-ils suffisants ?), et sans doute que la scène d’émotion où le couple s’embrasse sous un ciel pluvieux et à laquelle Neil Young prête une sublime chanson pourrait provoquer un petit effet. Hélas ! Sans la participation du Loner, personne n’aurait remarqué quoique que ce soit. Derrière ces exemples frappants, une conclusion vient à s’imposer : Paul Thomas Anderson a perdu son mojo.

Le spectateur ne peut pas construire de liens forts avec Inherent Vice tout simplement parce qu’il n’en a, vulgairement, rien à faire. Et au fur et à mesure, l’ennui qui pourrait s’avérer poli fait place à l’énervement. Pourquoi une telle réaction de rejet ? Tout simplement parce que les forces de Paul Thomas Anderson n’apparaissent plus. La mise en scène, aux abonnées absentes, ne trouve jamais un alter ego dans le script. Ou plutôt si. Dans la médiocrité. L’enquête dirigée par un Joaquin Phoenix en totale roue libre – faut-il rappeler que l’acteur n’est jamais meilleur que lorsqu’il est dirigé fermement (l’immense James Gray, lui, l’a bien compris) – ne propose jamais de clé de compréhension signifiante. Si la volonté de perdre son spectateur dans les méandres du scénario est louable, il faut, néanmoins, que l’écriture sache retomber sur ses pieds. Ou qu’elle explore un milieu, un espace, une atmosphère. Ce n’est, bien entendu, pas le cas. D’un strict point de vue scénaristique, les rebondissements interviennent toujours gratuitement comme si Paul Thomas Anderson empilait les couches les unes sur les autres et c’est un effet catalogue bien trop volumineux et n’engageant, par la force des choses, aucun effort de mémoire qui se met en place (on passera sur la maladresse des références, Chinatown de Roman Polanski et Zabriskie Point de Michelangelo Antonioni en tête, qui, eux, savaient délivrer un véritable message). Parallèlement, le réalisateur n’arrive même pas à iconiser Los Angeles, cité du polar par excellence, chose d’autant plus dommageable que le genre est indissociable de la géographie. À ce titre, il faut toute la vulgarité d’un carton écrit et d’une voix off pour que le spectateur spatialise l’intrigue. Conséquence terrible de ce double jeu, l’auditoire ne peut plus construire de carte mentale et se retrouve perdu, sans guide et sans panneau. Mais où se trouve donc la finalité du scénario ? Nul ne le sait, pas même Anderson de toute évidence. Le projet ne peut alors faire que du surplace. Aucun point de départ. Aucune ligne d’arrivée. Juste des personnages et des séquences qui arrivent, partent et reviennent.

Inherent Vice voudrait capter quelque chose, mais il ne sait pas quoi. Alors il tente. En jouant une certaine carte de la « coolitude made in 70’s », le film n’arrive pourtant pas à prendre par la main son spectateur tant il apparaît totalement obsolète. Entreprise casse-gueule, il faut bien se rendre compte que cette décennie n’a jamais été cool. Là encore, des rappels sont nécessaires et le spectateur, tout comme le cinéaste, ne peuvent pas ignorer le Bonnie And Clyde d’Arthur Penn où l’imagerie de la violence est en lien étroit avec l’assassinat de JFK (la matrice 26 secondes : L’Amérique éclaboussée. L’assassinat de JFK et le cinéma américain de Jean-Baptiste Thoret le démontre très bien) ou le Easy Rider de Dennis Hopper (« We blew it » étant l’épitaphe dramatique d’une Amérique qui vient quand même d’asseoir Richard Nixon dans le fauteuil du Bureau ovale). Dès lors, avec sa belle décapotable, sa weed récréative et ses sandales (sans doute la pire idée de costume vue depuis des lustres dans le cinéma américain, Franck Dubosc ne les aurait pas renié dans Camping, c’est dire !), le film ne peut rien dire sur cette époque. Il est hors sujet. Tout simplement. Serait-il alors une espèce de parenthèse enchantée dans cette période de trouble ? À d’autres. Les plus grands cinéastes n’ont pas osé pareille digression dans la représentation de l’Amérique. Les thématiques sont bien trop intéressantes pour être traitées de manière légère. Certes, les cinéastes des années 1970 avaient pour eux la puissance d’un contexte politico-social d’une dimension incommensurable. Alors, que dire du passé quand on tourne en 2014 ? Des allers-retours ; des métaphores ; des hommages. En un mot, des tas de choses. Paul Thomas Anderson ne le sait que trop bien puisqu’il avait réussi avec There Will Be Blood, à ce jour son plus grand projet, à faire résonner la conquête de l’Ouest avec ce que les États-Unis sont dorénavant. Pourquoi, alors, ne pas continuer dans cette voie avec Inherent Vice ? La question reste en suspens et ce ne sont pas quelques mots énoncés au détour de dialogues toujours trop longs qui vont rattraper le coup. De fait, les thématiques ne peuvent pas être explorées en profondeur. Au sentiment de surplace succède celui de la surface et la conjugaison des deux ne peut définitivement pas faire entrer le film dans la cour des grands objets contemporains. Anderson, pourtant, le souhaite. Mais à trop faire l’intéressant et à crier à la collégiale au génie, on finit souvent avec un bonnet d’âne sur la tête.

À la vue du pedigree de son instigateur, Inherent Vice apparaît clairement comme une immense déception. Paul Thomas Anderson nous avait habitués à mieux. À lui de prendre du recul par rapport à son cinéma et de ramener le plaisir cinématographique qu’il a su procurer.

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 Inherent Vice Paul Thomas Anderson Date de sortie 4 mars 2015 (2h29min)  Avec Joaquin Phoenix, Josh Brolin, Owen Wilson plus Genre Comédie, Policier , Drame

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1 COMMENTAIRE

  1. Little Nemo in Slumberland publié dans le New York Herald
    Winsor McCay
    Début des année 1900…..EN 1905 pour être précis

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