Après un silence discographique de treize années, le troubadour américain B’ee nous offre en compagnie de In Gowan Ring un nouveau joyau sonique de folk ouvragé intitulé The Serpent and the dove. Comble de joie mordorée, ce retour s’annonce sous l’étiquette des Disques du 7e ciel. Une maison de disque bretonne, précieuse et exigeante…

 

In Gowan RingIn Gowan Ring émerge dans les années 1990, des brumes du courant néo-folk, ou dark-folk initié par Current 93 ou Death In June. Le premier album du projet, le moite et chamarré Love charms paraît sur le label commun de ces groupes, World Serpent. Ce sera le seul. Les suivants The Twin Trees, The Glinting Spade, Hazel Steps Through a Weathered Home seront tous produits de 1997 à 2002 sous le label BlueSanct. Moins polémiques que Death In June, Fire Ice ou Sol Invictus, mais tout aussi ésotérique et poétique que Current 93, ce groupe obscur ne tarde pas, néanmoins, à révéler le talent polymorphe de son leader aussi timide et discret que charismatique… B’ee (c’est le nom que s’est choisi Bobin Jon Michael Eirth) va d’ailleurs rapidement chercher à se démarquer des limitations provocs, mystiques ou apocalyptiques de ces devanciers en lançant des projets annexes, plus authentiquement folk médiéval ou country, sous son nom (B’eirth)  ou celui de Birch Book.

beirt'hLa musique de In Gowan Ring aura bénéficié de ces escapades. Paradoxalement. Car Birch Book, plus incarné, est aussi moins collaboratif et plus « égocentrique ». De ce fait, plus en phase avec une incarnation personnaliste la musique de The Serpent and the dove, sans rien perdre des exquis entrelacements des motifs harmoniques en quart de ton mineur et du psychédélisme onirique mélodiques propres aux compositions de B’ee, gagne en ouverture. Moins autistique, moins en spirales captives des brumes maladives de l’être, la musique de cet album joyau déborde ses propres cadres. Musique folk symboliste annonce le site du groupe… Certes, l’artiste capte, aspire des signes signifiants universels, mais il les restitue dans une ambiance et une atmosphère de son cru. Sons crus et traitements métapersonnels, sans doute est-ce là l’une des clefs de l’univers musical onirique de B’ee/In Gowan Ring… Nostalgie souriante, lunaire, délicate et créative des spirales harmoniques aux sonorités anciennes et inédites, patchwork effiloché aux couleurs surnaturellement éclatantes.  Du serpent à la colombe, l’album s’ouvre et se ferme sur un son de bol tibétain. Entre les deux, les chaleureuses teintes tièdes et suaves d’un fauvisme musical qui tangue, sans jamais sombrer, entre balade folk hippie folle d’occultisme, vagues douces de cordes hypnotiques. La voix a gagné en assurance par les expériences plus franchement folk et country de Birch Book, mais les arrangements de cordes et de piano n’ont rien perdu de leur puissante candeur psychédélicieuse… (les réminiscences d’Érik Satie de A Song, a story a stone sont enchanteresses dans cette composition brillamment nostalgique jusqu’en sa conclusion percutante et électrique). Le médiévalisme moderne et faussement désuet (mêlant dans une grâce aux scintillements obscurs flûtes moyenâgeuses et harmonica), aux teintes franches et automnales du single Sial at play fait irrémédiablement songer au Perceval le Gallois d’Eric Rohmer… Et nulle autre référence que l’univers singulier du réalisateur français ne saurait mieux rendre la splendide désuétude magique de la musique d’In Gowan Ring

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Unidivers : B’ee, si nous faisons retour en arrière vous souvenez-vous pourquoi en tant que musicien vous avez décidé d’emprunter un chemin dans le style « old fashion »/ « revival » ?

beirt'hB’ee : j’imagine que je ne faisais que suivre un cours esthétique que je trouve attrayant ou que pour ainsi dire « je jouais avec mes obsessions »… aucune véritable décision en soi, mais la source de la musique a toujours été plutôt une affaire personnelle, donc assez éloignée des tendances actuelles (qu’elles soient locales ou mondiales) peut-être que cela a quelque chose à voir avec cet aspect « old fashion » comme vous dites…

U : Que signifie pour vous la musique médiévale et l’art des troubadours ? comment liez-vous ces formes artistiques à la musique folk américaine et au psychédélisme ? Peut-être l’ésotérisme et l’onirisme sont-ils des liens en amont ?

B’ee : Les artefacts des troubadours, trouvères et minnesingers continuent d’être une source d’inspiration par voie topique et mélodiquement. Certains aspects au moins de cet art, dans ses préoccupations humaines et métaphysiques, l’intelligence de la forme et de la linguistique me semblent participer à une ligne archétypique qui s’étire d’Orphée aux rêveries de Syd Barrett en passant par les bardes celtiques. Élargir l’esprit au-delà de l’ordinaire est un aspect indispensable de cette création.

U : Vos musiques et vos paroles sont également évocatrices de la nature et de certains états spéciaux de l’esprit, des rêves, des illuminations, des visions ? On y trouve toujours un sentiment profond de sensations enlacées, des deux faces des choses, soleil et lune ? Quel est votre point de vue à ce sujet ?

B’ee : Oui, ce sont les endroits les plus intéressants! Nous sommes toujours chancelants entre les mondes de l’intérieur et l’extérieur, soi et l’autre, restriction et expansion… c’est est une danse que nous exécutons.

U : Dans le nom du nouvel album, on pourrait également trouver cette idée de double « le serpent et la colombe »… Il y a une forte connotation biblique ?

B’eb'eee : Pas vraiment spécifiquement en tant que tel même si bien sûr elle sera là pour certaines personnes… Je ne suis pas un spécialiste de la Bible et si j’en ai pris connaissance sous plusieurs aspects ; et ce, depuis l’enfance, la Bible canonique n’est pas une inspiration directe pour cette collection de musique. Cela étant dit, certaines sources de l’époque biblique et des matériaux connexes (les textes de Nag Hammadi et al) ont été d’un grand intérêt pour moi par le passé et j’espère bien passer plus de temps à me pencher sur eux à l’avenir.

U : In Gowan Ring a été silencieux pendant de nombreuses années, mais vous étiez encore très actif à travers vos propres projets… Pourquoi ? Quelle différence faites-vous entre In Gowan Ring, Birch Book et B’ee ?

B’ee : Fondamentalement, In Gowan Ring est une sorte de catalyseur ou de relations à laquelle je prends part — et c’est une relation impérieuse pour moi… le fait est que, comme dans de nombreuses relations impérieuses, il y a comme une sorte de cristal qui forme une réaction chimique ou quelque chose de cet ordre, toutes ces formes délicates se posent, et c’est merveilleux, c’est beau, c’est impressionnant, mais la portée de tout l’édifice se développe rapidement au-delà de tout ordre matériel raisonnable et je perds alors la capacité de « traduire » ces développements, pour ainsi dire, en fonction de la stabilité de ma vie. Birch Book, dans l’ensemble, est une affaire beaucoup plus terrestre, « quelques chansons que j’ai écrites le long du chemin » je pourrais dire. Je ne pourrais pas dire qu’elles sont peut-être plus « domestiques », mais elles sont sans doute moins exigeantes pour moi à matérialiser. Il m’a fallu toutes ces années, juste pour attraper un certain souffle entre les vagues de la vie, et de pouvoir créer un environnement matériel plus sécurisé pour revenir au courant sidéral qui anime In Gowan Ring, j’espère avoir les moyens d’explorer tout cela plus avant sans attendre encore 10 ans de plus !

https://soundcloud.com/les-disques-du-7eme-ciel/julia-willow-1

 In Gowan Ring, The Serpent and the Dove, les disques du 7ème ciel, sortie 23 septembre 2015

Crédit photo : Sarah Pakosch

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Thierry Jolif
La culture est une guerre contre le nivellement universel que représente la mort (P. Florensky) Journaliste, essayiste, musicien, a entre autres collaboré avec Alan Stivell à l'ouvrage "Sur la route des plus belles légendes celtes" (Arthaud, 2013) thierry.jolif [@] unidivers .fr

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