L’imprimante 3D. Le nom lui-même fait penser à la dimension spectaculaire du cinéma en relief. On confond la lanterne magique avec la camera obscura. Pourtant, l’impression tridimensionnelle n’est pas un procédé technique récent. Ses implications restent néanmoins actuelles. Entre industrialisation et démocratisation, cette technologie suscite le débat et provoque la rupture. Your next stop, the Twilight Zone…

imprimante 3DEt la science réalise une nouvelle fois la fiction… Arthur C. Clarke, l’auteur de 2001 : L’Odyssée de l’espace imaginait déjà dans les années 60 une « machine à répliquer ». Il l’appelait The Replicator, nous l’appelons désormais l’imprimante 3D. Quel est son principe ? Une imprimante 3D fonctionne selon le procédé de la fabrication additive. Cette technologie permet d’imprimer un objet en volume couche par couche. L’impression nécessite des opérations préalables. Tout d’abord, la modélisation 3D, soit à l’aide d’un logiciel de conception assistée par ordinateur (CAO), soit grâce à un scanner tridimensionnel qui récolte des informations sur des objets extérieurs. Ensuite, l’objet modélisé transite vers un second logiciel qui le prévisualise, gère sa découpe en tranches et pilote l’impression. Tout comme une imprimante 2D, l’imprimante tridimensionnelle est reliée à un ordinateur. Au lieu de l’encre, c’est le plus souvent du plastique qui sert à la fabrication, mais aussi du métal, du plâtre de Paris ou encore de la cire. Le plastique, enroulé sur une bobine, se déroule jusqu’à une tête d’impression (ou plusieurs, dans le cas de machines plus perfectionnées) : elle extrude le plastique sous une forme liquide pour le déposer sur le plateau d’impression. L’impression repose sur le système de coordonnées en 3 dimensions : en plus d’un axe vertical Y et d’un axe horizontal X, on y ajoute la cote Z. Cette technologie s’appelle le FDM (Fused Deposition Modeling : le modelage par dépôt de matière en fusion). Il en existe d’autres, par exemple la stéréolithographie.

imprimante 3DConcrètement, on imprime quoi ? Les utilisations varient depuis le milieu des années 80. L’impression 3D servait essentiellement au prototypage rapide. Désormais, on imprime des objets fonctionnels. Disons qu’il existe l’utilisation industrielle et artisanale. Dans le premier domaine, on sait que les architectes utilisent l’impression tridimensionnelle pour réaliser des maquettes. Mieux, la technologie permet déjà d’imprimer des maisons : avec la technologie Countour Crafting, un professeur de l’université de Californie du Sud a conçu une machine géante où la grue fait office de tête d’impression monumentale. Les implications de la fabrication additive touchent les secteurs de la médecine, de l’aéronautique ou encore de l’automobile. Dans le domaine de la prothèse médicale, par exemple, l’impression 3D entraîne des faibles coûts de production. Un rapport de 2015 du Conseil général de l’armement et du CCI de Paris dénote l’attraction industrielle de la fabrication additive :

L’impression 3D représente un enjeu industriel, économique, sociétal majeur pour notre pays. Cette étude a pour objet de le caractériser. Elle démontre que la France doit sans attendre mettre en place une véritable stratégie pour en saisir les opportunités à l’image de ce que font déjà la plupart des grands pays industriels de la planète.

 

imprimante 3DC’est à ce stade que le débat ne porte plus essentiellement sur la technologie, mais bien l’idéologie. Plusieurs penseurs parlent de « troisième révolution industrielle » en pointant du doigt notamment l’impression 3D. Que ce soient Jeremy Rifkin dans l’ouvrage du même nom, ou Chris Anderson dans Makers, la nouvelle révolution industrielle, tous mettent en relief le caractère disruptif, présent ou à venir, représenté par cette technologie. Le premier comme le deuxième partage l’idée qu’une imprimante 3D, dès lors qu’elle permet à tout un chacun de l’utiliser, va révolutionner l’économie par le bas. Patrick Arnoux, dans Le Nouvel Économiste, tempère cet enthousiasme :

D’un côté, les annonciateurs en fanfare d’une énième révolution industrielle clament haut et fort que l’imprimante 3D va bouleverser toute l’industrie. De l’autre, des sceptiques n’y voient qu’un gadget de luxe juste bon à émerveiller quelques geeks militants du do-it-yourself… Le scénario-vérité – aux allures normandes – est sans doute le compromis improbable entre ces deux thèses, limitant l’enthousiasme des premiers, démentant le scepticisme des autres. Non, ce n’est pas toute l’industrie qui est impactée, mais déjà d’importants secteurs comme l’industrie de pointe ou le biomédical.

Deux camps se profilent dans une sorte d’affrontement invisible. Ceux qui voient la fabrication additive comme un levier industriel, les autres qui l’envisagent comme une autre voie sociale et politique. Le discours du président Obama sur l’État de l’Union en 2013 illustre le premier cas : « L’année dernière, nous avons créé notre premier institut pour l’innovation de la fabrication à Youngstown dans l’Ohio. Aujourd’hui ces entrepôts délabrés sont devenus des laboratoires de pointe où les employés maîtrisent l’impression 3D qui a le potentiel de révolutionner la manière dont nous fabriquons pratiquement tout ». Face à la désindustrialisation, la mondialisation, les délocalisations, la technologie de la fabrication additive ouvre des perspectives économiques, notamment pour les pays occidentaux.

imprimante 3DUn autre phénomène contrarie cette tendance. Pourquoi parle-t-on depuis quelques années des imprimantes 3D alors qu’elles existent depuis les années 80 ? Pour faire simple, elles se démocratisent. C’est parce qu’elle n’est plus l’apanage de l’industrie, mais aussi des particuliers que l’arrivée de cette technologie est importante. Une date demeure primordiale pour comprendre ce phénomène : 2005 et la création du RepRap par Adrian Bowyer, un ingénieur et mathématicien britannique. Le projet RepRap, pour Replication Rapid prototyper, vise à créer une imprimante tridimensionnelle sur le principe de l’auto-réplication et de la culture libre. Qui dit culture libre veut dire, sans brevet et en open source. La machine ou certains de ses constituants peuvent donc être redistribués ou modifiés librement grâce à l’accès au code source. L’auto-réplication est un principe un peu plus complexe : ce serait le fait, dans le cas présent, pour une machine, de fabriquer de manière autonome une copie d’elle-même. Dans le projet RepRap, il s’agit plutôt qu’une machine mère puisse construire les pièces d’une machine enfant. Parce qu’il est porteur socialement et politiquement d’une culture dite libre, ce projet touche une large communauté qui, à travers le monde, l’utilise et y participe.

imprimante 3DD’ailleurs, un arbre généalogique a été créé pour recenser toutes les machines construites à partir de la première, le RepRap 1.0 « Darwin ». On ne trahit pas la communauté open hardware : avec la version « Replicator 2 », la société MakerBot, dont les créateurs ont fait partie du projet RepRap, a fait polémique en lançant un modèle au format propriétaire. Comme nous le disions plus haut, le débat porte autant sur le plan technique qu’idéologique. Adrian Bowyer appelle « marxisme darwinien » les principes visés dans le projet RepRap. Il écrit dans un texte publié sur le site du projet :

Donc, la machine à prototypage rapide réplicante va permettre l’appropriation révolutionnaire des moyens de production par le prolétariat. Mais elle va le faire sans les dangereux et défaillants aspects de la révolution, et même sans les aspects dangereux et défaillants de l’industrie.

imprimante 3DBien sûr, il serait caricatural d’opposer d’un côté les communistes à la sauce do it yourself de l’open source, de l’autre les cols blancs de l’éternelle récupération capitaliste. Mais cette opposition, tangible, reste primordiale. La fabrication additive est une technologie qui n’a certes pas atteint sa pleine maturité. Plusieurs limites existent encore, notamment la taille des objets imprimés. Plusieurs questions restent à poser, en particulier celle de la propriété intellectuelle. Parmi les grandes transformations qui s’opèrent avec cette technologie, nul doute que le partage des sources de fabrication, mais aussi des formats de fichier numérique (disponible par exemple sur un site comme Thingiverse) est l’une des plus importantes. Face à l’obsolescence programmée et la consommation à outrance, la possibilité d’imprimer des pièces pour réparer des objets l’est tout autant. La science rattrape la fiction, alors songeons un peu, comme Arthur Clarke en son temps, à ce qui pourrait advenir dans le futur. Et si les foyers possédaient leur imprimante tridimensionnelle entre leur lave-vaisselle et leur ordinateur ? Et si nous pouvions tous accéder à cette technologie, qui existe déjà, capable d’imprimer de la nourriture ? Et si nous pouvions modéliser puis imprimer nos clés plutôt que de se rendre chez le serrurier ? À méditer…

Imprimante 3D, projet RepRap

Pour consulter le rapport du Conseil général de l’armement et du CCI de Paris

Pour consulter l’article de Patrick Arnoux

Pour lire le texte intégral d’Adrian Bowyer sur le projet RepRap
Traduction française disponible sur la page Wikipédia du RepRap

Pour consulter l’arbre généalogique du RepRap

[youtube https://www.youtube.com/watch?v=MQHLmEfhtn4]

[youtube https://www.youtube.com/watch?v=yZt8_WZ_JVg]

[youtube https://www.youtube.com/watch?v=BjYpWxNe1BE]

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