Le Conseil européen qui s’est tenu les 25 et 26 juin dernier concentrait tous les espoirs de la Grèce et de l’Italie, laissées seules face aux vagues de migrants qui quittent désespérés les côtes de la Libye. Après une réunion extrêmement tendue, les États de l’Union européenne n’en sortiront qu’avec un modeste compromis. Pour Jean-Claud Juncker comme pour Matteo Renzi, l’Europe n’aura donc relevé ni le défi de ses valeurs ni de son esprit.

Les quotas obligatoires auront fait long feu. Devant la règle de l’unanimité, Jean-Claude Juncker et Matteo Renzi auront été contraints de plier. Face à l’urgence humanitaire, les chefs d’État et de gouvernement européens ne se seront accordés que sur un accueil des réfugiés sur la base du volontariat. Encore que cette répartition soit conditionnée à l’ouverture de Centres de tri sur les sols grecs et italiens afin de recenser les nouveaux arrivés et de faire la distinction entre les boat peopleéligibles au statut de réfugié et les migrants économiques illégaux, non admis sur le sol européen. Si ces centres ou hotspots devraient bénéficier de financement et autres moyens de la part de l’Union, ils resteront sur les territoires grecs et italiens et devraient être coordonnés par les autorités nationales respectives.

Les conclusions de ce Conseil Européen devaient permettre de gérer l’urgence et, du moins l’espérait le président du Conseil Italien, de réveiller au sein de l’Union un semblant de solidarité. En définitive, si une aide est effectivement apportée aux pays qui affrontent de front la crise, elle le sera à minima. Quant à une éventuelle réflexion sur l’efficacité de la politique migratoire de l’Union, il n’en a pas été question. « Chacun ses problèmes » répondra la présidente lituanienne au coup de sang du chef de gouvernement italien. Le dossier, d’une sensibilité politique inédite, aura cristallisé toutes les tensions d’une Europe qui semble désormais se voir moins comme une Union que comme un grand marché entre Nations.

                  Quelle solidarité ?

D’année en année, le nombre de réfugiés qui se pressent sur les côtes méditerranéennes ne cesse d’augmenter. Depuis le 1er janvier dernier, ce sont plus de 100 000 migrants qui ont débarqué sur les côtes européennes. Les témoignages abondent de ces rescapés qui fuient le terrorisme, les guerres et les dictatures, en Iraq, en Syrie, ou en Érythrée ou qui cherchent simplement à échapper à la misère, à rejoindre une famille, à travailler pour la faire vivre depuis l’étranger. Rien ne semble pouvoir les empêcher d’entreprendre un tel voyage, pas même les

lampedusa
@ Figaro

morts qui les ont précédés. Bien souvent, l’Italie, la Grèce ou la Bulgarie ne sont que des étapes de passage pour rejoindre l’Allemagne, la Suède ou les Pays-Bas, plus cléments envers ces arrivants. Encore faut-il parvenir jusqu’aux côtes. Si la majorité de l’immigration clandestine se fait par voie aérienne, les évènements de Lampedusa ou du Canal de Sicile[1] sont des témoins macabres de la crise humanitaire que les pays du sud se voient contraints d’affronter.

La fermeture par la France de sa frontière à Ventimille a achevé de médiatiser une situation déjà explosive. En Italie, où l’on s’est énormément mobilisé pour venir en aide aux immigrés, la décision française a été fortement condamnée. Tout comme fut condamnée l’absence apparente de compassion et d’humanité des autorités nationales européennes. Depuis des mois, en Sicile et en Calabre jusqu’à aujourd’hui à Ventimille et en gare de Milan, on s’active pour les accueillir, les nourrir et si besoin les soigner ; une solidarité par le bas, qui a beaucoup contrasté avec celle des chefs d’État. Seulement voilà, l’Italie ne pouvait plus faire face seule à l’afflux des rescapés et respecter les clauses du Règlement de Dublin. Celui-ci lui imposait de procéder à l’identification des 60 000 migrants arrivés depuis janvier dernier, soit à la prise des toutes empreintes digitales et de toutes les signalisations. Impossible pour les services de Police italiens, dépassés par l’ampleur de la crise.

                  Une entente précaire

Angelino Alfano, ministre italien de l’Intérieur, pensait avoir obtenu lors d’une première réunion au Luxembourg la redistribution des nouveaux arrivés selon des quotas obligatoires entre les pays de l’Union. Mais ce 26 juin, le Conseil a tranché. La répartition des immigrés se fera sur la base du volontariat et concernera uniquement les éligibles au statut de réfugiés, après que tous aient été identifiés dans des Centres de tri nécessairement postés dans les pays d’arrivée, avec en ligne toujours la Grèce et l’Italie. La redistribution ne devrait donc concerner que 40 000 personnes pour les pays volontaires. Du moins, il ne s’agirait que de l’obligation de prendre en compte les demandes d’asile, car rien ne peut obliger un pays à accepter d’accueillir ou non un ressortissant étranger. Quant aux migrants économiques illégaux, ils devront être rapatriés.

migrants lybiensL’Italie aurait espéré davantage de ses voisins européens, mais ni la colère de Matteo Renzi ni sa menace d’exécution d’un plan B n’y auront rien changé. On pourrait pourtant douter de l’efficacité de ce compromis. Des centres de tri similaires à ceux proposés ont déjà été testés en 2011 dans les Pouilles, lorsqu’à la suite du printemps arabe, de nombreux Tunisiens avaient fui leur pays. Beaucoup s’en étaient alors échappé. Et puis resterait à la charge de l’Italie le rapatriement des migrants illégaux. Le Président du Conseil italien, mercredi dernier, s’est voulu rassurant, anticipant toute polémique autour de ces « rapatriements ». Reste que rares sont les accords qu’a conclus l’Italie avec les pays concernés pour pouvoir procéder à de telles opérations. Les autorités ne pourraient que relâcher les migrants avec un décret d’expulsion leur intimant de quitter au plus vite le territoire ; une aubaine pour la majorité d’entre eux qui ne demande pas moins. À moins que l’Europe ne prenne elle-même en charge ces expatriations.

En comparaison du nombre de réfugiés qu’accueillent aujourd’hui le Liban et la Turquie[2], les 40 000 demandes d’asile, qui resteraient encore à départager, paraissent dérisoires. Mais c’est à une décision précaire qu’aura conduit le refus des nations européennes de prendre leur part de responsabilité. La politique de répression envers les immigrés restera, semble-t-il, la même, si, malgré son coût, elle n’est pas encore renforcée. On pourra accuser la crise économique, mais ne faut-il pas y voir aussi l’emprise sur les gouvernements des partis populistes et d’un certain climat d’intolérance ? La réticence, presque la peur, des pays européens face à l’idée d’accueillir une partie de ces hommes et de ces femmes ne signerait-elle pas la mainmise définitive du FN ou de Pegida sur les valeurs et les idées du vieux continent ? La solidarité européenne en sort pour le moins touchée, durement et durablement.

  

[1] Plus de 1200 personnes sont mortes en essayant de traverser la Méditerranée depuis janvier 2015, entre 700 et 900 ont péri en avril dernier dans le naufrage d’une embarcation au large de la Sicile.

[2] Qui accueillent respectivement sur leurs territoires 1.1 et 1.7 million de réfugiés, majoritairement d’origine syrienne.

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Thomas Moysan
Thomas Moysan est rédacteur en chef des Décloitrés, revue biannuelle de Sciences Po.

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