Hyperloop, où en est vraiment le « train du futur » ?

5424
eurotube

Promis à des vitesses supérieures à 1 000 km/h, capable de concurrencer l’avion tout en émettant très peu de CO2, l’hyperloop a longtemps été présenté comme la prochaine révolution des transports. En 2023 pourtant, l’un de ses porte-drapeaux, Hyperloop One (ex-Virgin Hyperloop), a fermé ses portes, laissant derrière lui un paysage de tubes inachevés, de brevets et de vidéos promotionnelles. De quoi conclure que le rêve est mort ?

Pas tout à fait. En 2025, l’hyperloop existe toujours – mais dans un état ambigu entre technologie de recherche plus que solution prête à l’emploi. En Europe, des centres d’essai ont ouvert, la Commission européenne parle désormais de passer du prototype à la démonstration, tandis que des start-up testent des capsules miniatures à Lausanne ou à Veendam, aux Pays-Bas. Alors, que reste-t-il de la promesse initiale ? Et surtout, cette promesse a-t-elle encore un sens social et écologique ?

Un concept né d’un slide… et d’un imaginaire

Popularisé par un document d’Elon Musk en 2013, l’hyperloop est une variante d’une idée ancienne, un train à sustentation magnétique circulant dans un tube presque vide d’air. Moins de frottements, plus de vitesse. Sur le papier, des performances proches de l’avion, avec moins de bruit, moins d’énergie, et des infrastructures plus compactes.

Rien de neuf, pourtant. Dès le XIXᵉ siècle, des ingénieurs imaginaient déjà des « vactrains ». Ce qui change à partir de 2013, c’est la mise en récit. Un entrepreneur star, des visuels ultra-futuristes, une rhétorique technophile où quelques tubes d’acier suffiraient à résoudre congestion, pollution, lenteur administrative et manque de vision publique.

Hyperloop One : naissance, apogée médiatique… et fermeture

Pour prendre la mesure de l’état réel du secteur, il suffit de suivre la trajectoire d’Hyperloop One. Après des levées de fonds massives, quelques tests à 200 km/h dans le désert du Nevada et un essai habité en 2020, l’entreprise réduit ses ambitions, abandonne le transport de passagers, recentre son activité sur le fret… puis ferme complètement fin 2023.

Ses brevets et équipements sont repris par DP World, géant portuaire de Dubaï. Aucun tronçon commercial, aucune ligne pilote, aucune démonstration en conditions réelles. Un symbole fort, le projet hyperloop le plus médiatisé n’a jamais réussi à dépasser le stade de l’expérimentation fermée.

L’Europe reprend la main

Paradoxalement, la fermeture d’Hyperloop One coïncide avec une consolidation de la recherche en Europe.

Le centre néerlandais (EHC)

En avril 2024, le European Hyperloop Center ouvre à Veendam, aux Pays-Bas : 420 mètres de tunnels, un aiguillage opérationnel – première mondiale –, et des tests publics menés par Hardt Hyperloop en 2025. La capsule atteint 85 km/h et valide un changement de voie, étape essentielle si l’hyperloop veut devenir un réseau, et non un simple aller-retour.

Le site de Toulouse (HyperloopTT)

À Toulouse, HyperloopTT opère un tube de 320 mètres utilisé pour tester matériau, structures, systèmes de vide, logiciels de contrôle et moteurs linéaires. Le site sert surtout de plateforme de R&D.

Les tests suisses (Swisspod / LIMITLESS)

En Suisse, le projet LIMITLESS utilise un hyperloop à échelle réduite pour tester dynamique et propulsion. En parallèle, Swisspod revendique en 2025 un « record » de 102 km/h dans son centre d’essai américain du Colorado — loin des vitesses théoriques, mais preuve que la filière avance, lentement.

La Commission européenne évalue les perspectives

En novembre 2025, une étude commandée par la Commission européenne estime que l’hyperloop a « dépassé la simple phase conceptuelle » et pourrait entrer dans une phase de démonstration. Mais elle insiste aussi :

  • sur l’absence totale de ligne commerciale,
  • sur des coûts gigantesques,
  • sur un flou réglementaire complet,
  • sur des incertitudes techniques majeures.

Une vision prudente, autrement dit de l’intérêt scientifique, mais encore peu d’indicateurs industriels solides.

Les limites techniques qui freinent l’hyperloop

Les avancées récentes ne masquent pas les obstacles structurels :

  • Le maintien du vide sur des dizaines de kilomètres est extrêmement complexe et énergivore.
  • La sécurité dans un tube hermétique pose des questions inédites : incendie, évacuation, dépressurisation.
  • Les mouvements du sol, la dilatation thermique et la précision du guidage rendent l’infrastructure très difficile à stabiliser.
  • Le coût, estimé équivalent ou supérieur à celui d’une LGV, reste impossible à justifier pour un projet non testé en grandeur réelle.
  • La capacité, limitée par la taille des capsules et les distances de sécurité, pourrait être inférieure à celle d’un TGV.

En résumé : physiquement faisable, mais économiquement et opérationnellement fragile.

Quand le rêve dépasse la science, le tunnel transatlantique

Au moment où les start-up peinent à dépasser 100 km/h, les réseaux sociaux s’enflamment pour une autre idée : un tunnel hyperloop entre New York et Londres, permettant de traverser l’Atlantique en une heure.

Dans la réalité :

  • le projet coûterait environ 20 000 milliards de dollars,
  • il faudrait creuser près de 5 500 km de tunnels sous haute pression,
  • la sécurisation du vide pour une telle longueur relève de l’ingénierie extrême.

Techniquement, ce n’est pas impossible. Politiquement, financièrement et environnementalement, c’est irréaliste à court ou moyen terme. C’est surtout un récit spectaculaire parfait pour YouTube et Instagram.

L’enjeu de société : à quoi sert vraiment l’hyperloop ?

Derrière les vidéos futuristes, l’hyperloop soulève des débats essentiels :

  • Faut-il investir des milliards dans une technologie expérimentale plutôt que dans des lignes ferroviaires classiques qui manquent de capacité ?
  • Qui pourra payer un billet ? Une technologie chère risque de renforcer les inégalités territoriales et sociales.
  • L’hyperloop réduirait-il réellement le trafic aérien, ou viendrait-il simplement s’ajouter à l’existant ?
  • Est-il compatible avec la transition écologique, ou constitue-t-il une fuite en avant énergivore ?

Pour la Commission européenne, il faut penser l’hyperloop comme une option complémentaire, et surtout l’intégrer dans une vision plus large des mobilités.

Vers quel futur plausible ?

À l’horizon 2035–2040, les scénarios réalistes sont :

  • un ou deux corridors pilotes de quelques dizaines de kilomètres, pour le fret ou des navettes aéroportuaires,
  • des avancées technologiques utiles à d’autres domaines (matériaux, vide, capteurs),
  • une niche expérimentale, plutôt qu’un système de transport de masse.

L’hyperloop pourrait devenir un Concorde moderne : fascinant, démonstratif, mais marginal.

Un laboratoire avant d’être un moyen de transport

Dix ans après l’euphorie médiatique, l’hyperloop n’est ni une révolution imminente, ni un gadget mort. C’est un laboratoire de recherche aux retombées réelles — mais un mauvais candidat, pour l’instant, au rôle de « prochain grand réseau mondial ».

La question n’est pas « Peut-on aller à 1 000 km/h dans un tube ? »
Mais plutôt : « Cela a-t-il un sens ? Pour qui ? Et à quel prix social, écologique et politique ? »

Le futur de la mobilité sera peut-être moins spectaculaire que les capsules futuristes… mais il peut être plus juste, plus durable et plus utile.

Gaspard Louvrier
Gaspard Louvrier explore les frontières mouvantes de la recherche, des technologies émergentes et des grandes avancées du savoir contemporain. Spécialiste en histoire des sciences, il décrypte avec rigueur et clarté les enjeux scientifiques qui traversent notre époque, des laboratoires aux débats publics.