La House rennaise revient avec une nouvelle compilation en faveur de l’association Utopia 56, qui vient en aide aux exilés et personnes à la rue. En mai dernier, le premier volume de ce projet caritatif initié par Théotime Lambert avait récolté 800 € pour l’antenne rennaise de l’association. Ce second opus est une nouvelle occasion de mettre en lumière l’activité d’Utopia 56, indispensable à l’heure où la grande précarité et l’exclusion minent en silence et dans l’ombre nos villes confinées.

Une fois de plus, les musiciens house locaux ont répondu à l’appel de Théotime Lambert en faveur de l’association Utopia 56. En mai 2020, nous consacrions un article au projet La House rennaise, compilation caritative dont les bénéfices de vente sont reversés à l’antenne rennaise d’Utopia 56. Après l’engouement du premier volume, et pour soutenir les besoins toujours criants de cette association qui vient en aide aux personnes exilées et à la rue, Théotime a souhaité réitérer l’expérience. Il réunit cette fois treize morceaux d’artistes évoluant dans le milieu musical rennais, et adeptes de la house music. Les différents artisans de cette sortie, Blutch au mastering, Martin Rose au graphisme, ainsi que les musiciens, participent bénévolement. La compilation est parue le 21 février et est disponible sur Bandcamp au prix de 6 €.

L’objectif de Théotime Lambert est à la fois de récolter des fonds qui serviront au bon fonctionnement de l’antenne rennaise d’Utopia 56, mais aussi d’apporter en même temps un peu de visibilité à ses actions. Alors Unidivers s’y met aussi et donne un coup de projecteur à cette association qui agit au quotidien pour lutter contre la grande précarité, nouveau mal du siècle.

Utopia 56. Bref historique

Utopia 56 est une jeune association s’étant rapidement imposée sur le plan national par son dynamisme et sa réactivité face aux enjeux de la crise migratoire qui secoue l’Europe depuis quelques années. Elle a été créée par un couple de Morbihannais, Yann et Gaëdig Manzi, en janvier 2016, après un premier voyage à Calais, avec pour objectif de structurer et d’organiser le travail des nombreux bénévoles qui affluent vers la Jungle à cette époque. Les fondateurs d’Utopia 56 mettent à profit leur longue expérience dans l’événementiel, comme régisseurs de festival, pour fédérer les bonnes volontés et les mettre à pied d’œuvre.

À la suite de leurs premières missions dans la Jungle de Calais, qui visaient à faciliter autant que possible un accueil respectueux des personnes, Utopia 56 assure un temps la gestion du camp de Grande-Synthe, non loin de Calais. Puis celle du Centre de Premier Accueil mis en place par la mairie de Paris à Porte de la Chapelle, ce terrible point noir dans l’urbanisme moderne de la Ville Lumière. Sur son site Internet, l’association explique comment ces deux projets ont finalement été sabordés par l’ingérence de l’État

Militante, contestant ouvertement la politique migratoire du gouvernement et les pratiques de la police à cet égard, Utopia 56 a néanmoins poursuivi ses actions et les a diversifiées. À la suite du démantèlement de la Jungle de Calais en octobre 2016, elle a essaimé dans plusieurs régions du territoire national. Toujours active à Calais et Grande-Synthe, l’association est désormais également présente à Lille, Paris, Toulouse, Tours et Rennes. Chacune des antennes a développé des spécialités en fonction des besoins locaux. Sami Flodrops, un des deux référents rennais de l’association, nous éclaire sur le quotidien de leur action.

UTOPIA 56
Crédit : Utopia 56 Rennes

Utopia 56 Rennes. L’accompagnement des mineurs isolés

« Rennes n’est pas un lieu de passage migratoire, contrairement à Calais. Mais la ville accueille quand même de nombreux exilés, et dans n’importe quelle ville, il y a des gens en grande précarité, peu importe leurs origines. » Sami Flodrops résume ainsi la particularité de l’antenne rennaise d’Utopia 56, qui se préoccupe autant du sort des migrants que des personnes à la rue, ces exilés du quart-monde. À Rennes, une vingtaine de familles de migrants a trouvé refuge depuis février 2020 au Manoir de la Motte Au Duc dans le quartier du Bois-Perrin. Reste que « l’Ille-et-Vilaine est aussi un des départements où il y a le plus de mineurs non accompagnés », précise Sami Flodrops

Passablement dégoûté, Sami nous raconte la procédure administrative que subissent les mineurs exilés à leur arrivée en France. Ils doivent passer une évaluation de minorité. C’est-à-dire qu’on ne les croit pas sur parole. Ils doivent répondre à des questions sur leur situation familiale, sur le contexte qui les a fait quitter leur pays. Si le discours est jugé “désincarné” ou “caricatural”, c’est le risque de passer pour un menteur uniquement intéressé par les délices du Saint-État Providence français. 

Mineurs, isolés dans un pays étranger, ils doivent montrer patte blanche en somme. Presque littéralement, puisqu’en cas d’incertitude ils peuvent être soumis à un test osseux. On leur fait alors une radio du poignet pour comparer leur ossature à celle d’un enfant européen de taille moyenne. Archaïque, cette pratique qui n’est pas sans rappeler les inspections médicales de l’immigration américaine à Ellis Island au début du XXe siècle est évidemment dénoncée avec virulence par Utopia 56. Pour Sami, c’est « un énième délit de faciès ». Cerise sur le gâteau, un mineur reconnu comme tel dans un département peut se voir contraint à un nouveau test en arrivant dans un autre département.

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L’antenne rennaise d’Utopia 56 s’attache donc à aider ces mineurs isolés dans leurs démarches, et à les loger grâce à un réseau d’hébergements solidaires. Ils sont actuellement une vingtaine de jeunes, de 15 à 17 ans, à ne pas avoir été reconnus mineurs et à être laissés pour compte. Venus d’Afrique de l’Ouest, ce sont principalement des garçons, peut-être parce qu’ils sont plus nombreux à tenter le pari de l’exil, et parce que les filles sont plus facilement prises en charge à leur arrivée. Pourtant, Aïssatou, 15 ans, la plus jeune des personnes accompagnées à Rennes, n’a pas été reconnue mineure, comme le rappelle Sami.

Lutter contre la grande précarité

L’autre partie essentielle des activités d’Utopia 56 en Bretagne s’articule autour de la collecte de matériel et de nourriture pour envoi à d’autres antennes, notamment Calais, de la sensibilisation et de la distribution locale lors de maraudes. Pendant le premier confinement de 2020, Utopia 56 est la seule association rennaise à avoir poursuivi cette activité d’aide aux personnes à la rue, estimant que les risques étaient plus réduits pour son équipe composée en majorité de jeunes gens, 25 ans en moyenne. À l’époque, les deux salariés et la trentaine de bénévoles qui forment le noyau dur de l’antenne rennaise font jusqu’à six maraudes par semaine, dans le centre et la périphérie de Rennes. Et c’est pour les soutenir dans cet effort qu’avait alors émergé le projet La House rennaise.

Même s’ils ont ralenti le rythme depuis, les bénévoles continuent, trois fois par semaine de 19 h à 1 h du matin à peu près, de parcourir la ville. Le travail commence plus tôt dans la journée, dans leur local du quartier Saint-Grégoire. On prépare des plats cuisinés à distribuer le soir, et on charge la camionnette. L’équipe suit ensuite un parcours qui la fait s’arrêter à différents points de rendez-vous où elle installe son stand de boissons chaudes, retrouve ses habitué.e.s, et parfois des têtes nouvelles. Selon les dires de Sami, l’objectif est aussi bien d’apporter une aide matérielle (« des plats préparés, de l’alimentaire sec, des kits d’hygiène, des vêtements, du matériel de mise à l’abri, on tient même une liste où les gens peuvent exprimer ce qu’ils aimeraient avoir la prochaine fois », précise Sami), que de leur offrir une présence, une oreille attentive, un moment d’échange.

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Ce système de distribution a donc besoin en permanence de bénévoles. D’autant que l’association, comme bien d’autres, se retrouve souvent à pallier les manques du service public. Pendant le récent épisode de grand froid, alors qu’Utopia 56 réclamait l’ouverture de lieux pour accueillir les personnes à la rue, la réponse de la mairie de Rennes a été plus que limitée, et la préfecture d’Ille-et-Vilaine a refusé d’activer le plan grand froid. Face à l’incurie politique, nul autre recours n’apparaît que l’initiative citoyenne et collective.

UTOPIA 56
Crédit : Utopia 56 Rennes

Pendant le premier confinement de 2020, le photographe et journaliste Valentin Belleville suivait les équipes rennaises d’Utopia 56 dans leurs maraudes. La série de photos qu’il réalisait à cette occasion est consultable sur le site de la plateforme Hans Lucas.

SITE INTERNET D’UTOPIA 56

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Jean Gueguen
J'aime ma littérature télévisée, ma musique électronique, et ma culture festive !

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