« Je ne suis pas fou… Quelque chose habite ici, avec moi. Elle peut toucher les gens… “Il” se nourrit d’eau et de lait… Mais je ne peux la voir… Je suis possédé ! Quelqu’un possède mon âme ! »

Dans Le Horla, Guy de Maupassant narre, sous forme diairique, les hallucinations progressivement délirantes d’un homme convaincu qu’une présence surnaturelle veut prendre possession de son âme. Guillaume Sorel propose une traduction en bande dessinée. Adaptation égal trahison ? guillaume sorel, le horla, bd, rue de sèvres, école des loisirs,Pas toujours. De fait, ce travail du quasi-Rennais d’adoption conjugue de petites vignettes réalistes aux traits anguleux et de vastes aquarelles poétiques dans un grand format cartonné à la couverture soignée. Les premières traduisent la vie psychique en cours de déconstruction du personnage principal, les secondes, les moments de paix où il retourne vers son identité première. La conjugaison des deux réussit à adapter d’une manière convaincante l’œuvre du romancier d’Etretat.

Dès les premières cases, un soleil éternellement couchant (au sens baudelairien) plonge le lecteur dans une ambiance intrigante. Un écrivain guillaume sorel, le horla, bd, rue de sèvres, école des loisirs,esseulé vit dans un beau manoir sur les rives de la Seine avec pour seule compagnie un chat (lien totémique au soi) et quelques serviteurs (intermédiaires du lien social). Le décor est idyllique. La vie s’écoule paisiblement comme le fleuve. Mais quelque chose de non-tangible semble vouloir s’installer dans les lieux. D’étranges phénomènes commencent à se produire. C’est la carafe d’eau sur sa table de nuit qui est bue, des objets qui disparaissent ou se brisent, une fleur cueillie par une main invisible… L’intrigue tourne alors à l’oppression.

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En proie à des cauchemars terrifiants, habité par une obsession qui le ronge à petit feu, le protagoniste tente alors de s’échapper. De reprendre ses esprits à Rouen, Paris, le Mont-Saint-Michel, mais sans cesse revient à son point d’aimantation que forme sa maison, vaste métaphore de sa vie psychique chamboulée. Maison dont s’est échappé, au début de l’histoire alors qu’un bateau brésilien venait de passer sur le fleuve, son meilleur compagnon, son chat. Le chat qui a emporté avec lui une partie de l’âme de son maître ou, autre interprétation, qui en a facilité l’entrée à une entité occulte… Dès lors, ces espaces – que sont la maison dans l’histoire et la BD comme objet même dans les mains du lecteur – deviennent des supports psychiques tandis que la dérive psychologique du protagoniste se spatialise. Centralité et périphérie se conjuguent dans une oscillation labyrinthique qui est le lieu du… Horla, du hors-là.

guillaume sorel, le horla, bd, rue de sèvres, école des loisirs,Le personnage souffre-t-il réellement de démence ? Est-il habité par un esprit maléfique ? Toutes les interprétations sont acceptables, qu’elles relèvent du fantastique ou de la psychiatrie. Elles nourrissent une tension qui ne cesse de croître jusqu’au paroxysme résolutoire final.

Une BD somptueuse. Une sorte d’anti-Invitation au voyage. Seul bémol, certes mineur, la représentation concrète, figurative, donnée au Horla – bien qu’en accord avec l’imaginaire occultiste de la fin du XIXe siècle façon incube – ne semble pas abouti au regard de la qualité figurative comme du réseau de mise en abîme.

Le Horla Guillaume Sorel, Editions Rue de Sèvres, mars 2014, 62 pages, 15€ ou 25€ (version luxe).

 

Guillaume Sorel est né en 1966 à Cherbourg. Il vit aujourd’hui près de Rennes. Il débute sa formation avec un BEP génie civil. Il rejoint en 1983 l’école des Arts appliqués de Lyon et intègre ensuite l’école supérieure des Beaux-Arts de Paris. Ses goûts littéraires se portent principalement sur la littérature fantastique européenne du 19e et 20e siècle. Auteur de bande dessinée, il est également illustrateur, a dessiné de nombreuses couvertures de romans, notamment dans des collections fantastiques. On lui doit, entre autres, Les derniers jours de Stephan Zweig avec Laurent Seksik éditions Casterman. Quand il pose ses pinceaux, il se met à sa deuxième passion, la cuisine.

 

Bibliographie :
L’île des morts 5 volumes avec Thomas Mosdi Editions Vents d’Ouest
Le fils du grimacier avec Mathieu Gallié éditions Vents d’Ouest
Mort à outrance avec Thomas Mosdi éditions Vents d’ouest
Mens Magna 3 volumes avec François Froideval éditions Soleil
Amnésia 2 volumes avec Thomas Mosdi
Mother Edition Casterman
Typhaon 2 volumes avec Dieter éditions Casterman
Algernon Woodcock 6 volumes avec Mathieu Gallié éditions Delcourt
Mâle de mer avec Laetitia Villemin éditions Casterman
Prague, Itinéraires avec Christine Coste éditions Casterman/Lonely planet
Les derniers jours de Stephan Zweig avec Laurent Seksik éditions Casterman
Hôtel Particulier éditions Casterman

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Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il a créé en 2011 le magazine Unidivers dont il dirige la rédaction.

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