Glenmor, le nom de combat du poète, résonne encore dans quelques têtes. Chez certains, avec émotion. Il occupa le devant de la scène, mais ne l’occupe sans doute plus. D’un autre temps, il inspire même à certains du dédain. Pourtant demeure sa poésie irradiante quand l’on fait en soi le silence. Demeure l’émotion comme un rayon de soleil très pâle qui fait scintiller le granit breton après une averse de pluie (qui, comme on le dit avec tendresse et humour, ne tombe dans notre « pays » que sur « les cons »…)

Question par trop rabâchée sans doute ces derniers temps : qu’est-ce qu’une identité ? Le rabâchage ne liquide pas la validité de la question… Emile Le Scanff aura tranché, il est devenu Milig ar Skanv et Glenmor… deux noms dans une langue autre que celle de son « état civil ». Devenu le tout autre afin de rentrer en relation et en défense des autres. L’acuité des combats passée, on ne comprend sans doute plus l’importance de ces tonitruantes figures de proue, leur rage. Leur « cou-rage » nous semble un brin désuet et démodé… Alors reste la poésie :

Pour l’orgie de nos guerres
pour le sang ennemi
pour la gloire éphémère
d’être vainqueur sans merci
pour l’orgueil des combats
au nom de la patrie
où l’on tue sans foi ni loi
où l’on meurt à crédit
pour l’infâme impuissance
de nos prêtres et nos rois
trônant sur l’abondance
de nos tombes couchées sous ta croix
tu seras là Seigneur
tu nous attends Seigneur
et nous pardonnes Seigneur.
(Tout au bout du sillon)

Oui, il lui sera pardonné, beaucoup, car il a beaucoup aimé, l’immense et tonitruant barde « contrefait ». Il a croqué les bourgeois et les curés, les grenouilles de bénitiers, les parlementaires satisfaits et lâches, les soldats, les « Français »… Mais au milieu de toutes ces colères, une lumière touche d’autant plus qu’elle semblait encerclée par les tonitruantes vocalises « contestataires ».  Lumière à peine perceptible, mais qui illumine tout le reste : les excessives imprécations, les raccourcis idéologiques. Lumière qui illumine d’une touchante tendresse les apostrophes assassines.

« Puis nous garderons notre bel habit d’enfance,
car les vents pour demain sont de gel et du Nord
les chants de la terre iront tramés de souffrance
si nous prenons l’habit, la tunique des morts
tous nos bras sont tendus vers un ciel
où tout l’or et le bleu sont de sable et d’argent
notre gloire fut mise en sommeil
nous irons le chercher pour un autre printemps. »
(Puis nous garderons)

Lumière qui irradie ce souci permanent d’être du côté du peuple (non de la masse ou de la foule), « du plus petit d’entre les frères ».

« ils ont besoin de l’écho des cathédrales
pour s’entendre prier
ils ont besoin du soleil et des étoiles
pour rimer leur joie d’aimer
ils ont besoin de l’écho de la vallée
du vent, de la mer, et des alizés. »
(L’Echo des cathédrales)

Illuminant cette quête angoissante d’une liberté tranchante autant que d’une vie paisible arrimée à une terre, un pays, absolument aimé et symbolisant, ou plutôt incarnant, le peuple. Le peuple qui en est la chair vivante – le monde entier !

« Merci mon Dieu pour ma nouvelle moisson
pour l’épi germé de ma peine
germé de ma folie, germé de ma raison
merci mon Dieu pour le monde que j’aime… »

Son anticléricalisme, hérité d’une époque où les clercs se confondaient par trop avec les élites politiques, profiteurs et exploiteurs, profitant et exploitant, aurait aussi bien pu se caractériser par cette accusation nietzschéenne  : « les chrétiens n’ont pas des gueules de ressuscités ! ». Lui, à contrepied, incarnait une vision presque kierkegaardienne du christianisme comme paradoxe et scandale qu’aucun moralisme aux petits pieds ne saurait incarner !

S’il y eut du Léon Bloy en Milig ar Skanv, notre barde n’aura pas su aller au fond du fond, il n’aura pas su décerner le « bourgeoisisme » comme « catégorie métaphysique ». Son acerbe critique aurait gagné en profondeur et en poésie ! Poésie et profondeur qui, paradoxalement, se retrouvent peut-être mieux dans ces romans (en particulier La Sanguine et La Férule). Car il ne faut pas oublier l’écrivain breton derrière l’image trop facile d’un « Léo Ferré » breton qu’il fut aussi. Il ne faut pas oublier  l’exigence qu’il s’imposait dans ses chansons de conter, de parler « avec, contre, pour ». Il savait aussi, et avec un talent à sa démesure, la retranscrire en des formes sveltes, bondissantes et rayonnantes qui ne s’épuisaient nullement sur la longueur d’un roman, mais au contraire créait une singulière et prenante sincérité.

Mais qu’importe ces détails « techniques ». Ses chants sont toujours autant de soufflets de feu à la face trop policée d’un monde qui mérite dans le même souffle tout notre amour et toute notre colère !

Thierry Jolif

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Hommage à Glenmor, Rennes, mardi 15 mai 2012 à la Maison des associations, 6, cours des alliés (chansons, poèmes, projections avec, entre autres, René Abjean et la troupe Ar Vro Bagan… 14€)

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Thierry Jolif
La culture est une guerre contre le nivellement universel que représente la mort (P. Florensky) Journaliste, essayiste, musicien, a entre autres collaboré avec Alan Stivell à l'ouvrage "Sur la route des plus belles légendes celtes" (Arthaud, 2013) thierry.jolif [@] unidivers .fr

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