En signant cette BD qui va bien au delà du genre Western, Neyef nous propose l’album de ce début d’année. Magnifique en la forme et puissant sur le fond. 

La Bande dessinée a cet avantage qu’il suffit d’ouvrir un album pour savoir d’entrée si celui-ci a des chances de vous plaire. La découverte d’un style d’un romancier nécessite a minima la lecture de plusieurs pages. En BD, un regard rapide sur quelques planches suffit. Alors, attardez-vous sur la couverture de Hoka Hey !, feuilletez les 220 pages de l’album et vous aurez immédiatement un aperçu de la qualité exceptionnelle de l’ouvrage. Cela suffit pour constater que l’histoire que vous propose Neyef est une histoire de couleurs. Couleurs rougeoyantes du soir à l’heure des confidences au coin d’un feu sous un ciel étoilé. Couleurs pommelées des sous-bois qui rappellent les tableaux ombragés des tableaux de Monet. Couleur jaune ou blanchâtre du lever du jour quand la cime des arbres appelle à s’ébrouer pour aller chercher de l’eau dans le ruisseau proche. Couleurs tamisées par les nuages des paysages infinis du Wyoming. Mais aussi couleurs des hommes. Rouge pour les indiens, blanche pour les colons, car nous sommes bien aux États-Unis à la fin du XIXème siècle. Les colons se sont imposés, les Indiens vaincus et parqués dans des réserves. Pourtant un Lakota au visage barré de peinture rouge, et une femme au visage masqué par un foulard refusent de se soumettre. Ils tuent, pillent, volent l’argent des « wasichus », des Blancs, avant de le brûler. Ils ont tracé dans le dos ou sur le visage une croix, celle qu’ils ont faite sur le monde qui les écrase, le monde des villes, du chemin de fer. À eux s’est joint un jeune roux désinvolte, il porte sur la poitrine un trèfle, il est irlandais. Les trois forment la bande de Little Knife que va devoir suivre, d’abord contraint et forcé puis librement un jeune Indien, Georges, éduqué par les Blancs à la manière d’une pomme, « rouge dehors, blanc dedans ». On pense à un Little Big Man inversé.

  • Hoka hey Neyef
  • Hoka hey Neyef

Dès lors se déroule un périple mû par la vengeance, vengeance personnelle et violente de Little Knife, violence collective du trio contre les Blancs qui massacrent les bisons, spolient et s’attribuent toutes les terres, détruisent et nient la culture des Indiens Lakotas. Le récit est âpre, violent et ne se complait jamais dans la facilité des codes du western dont il respecte pourtant toutes les facettes. Chasseur de primes, réhabilitation des cultures indiennes, expansion territoriale des colons trouvent leur place, mais la pagination généreuse permet d’approfondir ces thèmes et les dialogues d’une précision au cordeau distinguent la philosophie de vie et l’animisme des Lakotas, de l’expansion et du matérialisme des Blancs. Pas question pour autant d’opposer de manière simpliste wasichus et Indiens. La violence et la haine partagées mènent le récit dans une logique noire et destructrice, où les meurtres se multiplient, la vengeance étant le seul sentiment qui subsiste aux Lakotas puisque la justice les ignore. 

La tension est omniprésente à la manière d’un road movie cinématographique, où le quatuor poursuit en étant lui-même poursuivi. Le voyage devient initiatique pour Georges qui n’apprend pas seulement à tirer mais aussi à redevenir un enfant porteur de sa culture indienne et des valeurs qui y sont attachées. Little Knife est violent, Sully l’Irlandais cynique en apparence et l’Indienne voilée, No Moon, porteuse d’une terrible souffrance. À leur contact, Georges découvre que la Bible avec laquelle on lui a expliqué le monde n’est pas le seul chemin possible.

Neyef, pourtant, éclaire parfois son sujet de tendresse et de douceur. La lumière baignant ses grands paysages dignes du CinémaScope nous invite à nous perdre et à regarder de plus près ces pierres, cette eau, ces nuages à qui les Indiens prêtent une âme. Rarement ces étendues américaines, pourtant mille fois dessinées, ont procuré autant d’émotions, comme des personnages supplémentaires du récit et qui enseignent à Georges le bonheur d’être devant la beauté de la nature. 

« Hoka Hey ! », ce cri, « En avant » du guerrier Crazy Horse, Neyef en fait une œuvre puissante et originale qui va bien au delà de la BD de genre. Il nous amène à nous interroger sur la tolérance et la violence, la vengeance et le pardon, la richesse et la variété des cultures. Sans oublier le plaisir immense de lecture d’un récit haletant aux multiples rebondissements. Une BD incontournable dans une édition soignée. 

Hoka Hey ! de Neyef. Éditions Rue de Sèvres. Collection Label 619. 220 pages. 22,90€. 

Site web des éditions Rue de Sèvres

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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