Une fois n’est pas coutume, l’Orchestre National de Bretagne s’est installé sur la scène de l’opéra de Rennes afin de nous présenter l’une de ses productions : « L’histoire du soldat » d’Igor Stravinsky et Charles Ferdinand Ramuz. Sorte de redite Faustienne, cette œuvre aux réelles prétentions populaires, n’en est pas moins ornée d’une musique étonnante et novatrice.

histoire du soldat

L’œuvre se compose de deux parties, chacune d’elles subdivisée en trois scènes. L’argument en est simple, un soldat de retour de permission fait la malencontreuse rencontre du diable, qui lui offre abondance, nourriture et boissons à volonté ainsi qu’un livre magique, en échange d’un simple violon de peu de prix.

soldat stravinsky
 L’histoire du soldat © Laurent Guizard 

Le troc de dupe fonctionne bien entendu, et après un accident dans la calèche du diable le pauvre soldat se réveille, mais trois années ont passé, plus de fiancée, plus de joie de vivre et ce ne sont pas les richesses dont le diable le comble qui peuvent lui rendre son bonheur perdu. Il erre comme une âme en peine lorsqu’il entend parler d’une princesse très malade, il se précipite à son chevet et malgré les raffinements de cet autre Méphistophélès, il la guérit et convole en justes noces.

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 L’histoire du soldat © Laurent Guizard 

Mais, bien malin qui peut tromper le diable et celui-ci aura sa revanche. La mise en scène de Richard Dubelski s’appuie sur des souhaits clairement exprimés par Stravinsky lui-même. L’orchestre d’un coté de la scène, le narrateur de l’autre, ce qui laisse l’espace central à la disposition des quatre protagonistes de « l’histoire du soldat ». Il précise également que l’ambiance générale doit être celle d’un cirque de rue où funambules et danseurs proposent d’une façon très libre d’assister à leur représentation. Cela correspond à l’intention première de l’auteur, qui est de réaliser une œuvre simple, destinée à un public peu cultivé, et qui sera jouée dans de petites salles avec peu de moyens à mettre en œuvre. Ses écrits sont parfaitement limpides :

« Depuis le début de la guerre, j’avais souvent envisagé de composer un spectacle dramatique pour un théâtre ambulant… L’intrigue devait dans son développement être assez simple pour être aisément comprise. L’histoire peut être jouée n’importe où et adaptée aux coutumes de tous les publics. J’encourage toujours les réalisateurs à localiser la pièce et s’ils le souhaitent, à faire revêtir au soldat un uniforme démodé, mais susceptible d’être sympathique au public ».

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 L’histoire du soldat © Laurent Guizard 

Si ces codes ont été respectés, cette mise en espace peine pourtant à convaincre. Tout élément pris à part est plutôt satisfaisant, mais on a quelques difficultés à ressentir de façon prégnante une cohésion de l’ensemble. Ce malaise commence avec un long moment en forme de prologue au cours duquel musiciens et intervenants circulent sur scène, parlent tout fort de recettes de cuisine, des danseurs s’échauffent, pendant que le narrateur pousse des gloussements un peu ridicules et cabotine un brin, heureux qu’il est de sa belle voix grave. C’est trop long et rapidement agaçant.

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 L’histoire du soldat © Laurent Guizard 

L’arrivée du chef, Grant Llewellyn viendra nous remettre à flot et entamera l’œuvre à proprement dit. Jean-Philippe Lafont, tient vocalement le rôle de narrateur, de diable et de soldat. Sa voix porte bien, sa diction est soignée et claire, il est sûr de son fait et n’a pas tort. Dans le rôle du diable, Stéfany Ganachaud fait son travail, il n’y a rien à redire. Le soldat, lui, est interprété par le danseur de hip-hop Noah Mgebelé Timothée. Si dans le domaine de la danse il réussit même parfois à être éblouissant, il a encore quelques efforts à faire en ce qui concerne le théâtre. Lorsqu’il parle on ne l’entend pas assez, pis encore lorsqu’il le fait en tournant le dos au public. Pourtant il arrive, par une forme de naïveté et d’évidente envie de bien faire à être touchant et on lui pardonne volontiers ces petites imperfections.

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 L’histoire du soldat © Laurent Guizard 

La princesse, sous les traits de l’équilibriste Sanja Kosonen nous offrira un des bons moments du spectacle en se balançant avec une grâce surprenante et le sourire au lèvres, accrochée par la longue tresse de ses cheveux. Pendant un moment elle fait renaître la magie qui doit impérativement régner lors des représentations dans une salle d’opéra, ce qu’elle fait est étonnant, gracieux et procure un vrai plaisir.

Le meilleur nous fut pourtant donné par l’orchestre National de Bretagne. En assez petit comité, puisque seuls sept musiciens étaient présents sur scène. Le choix fut judicieux, la clarinette de Sonia Borhani fut à la fois magique et énergique. Le groupe des vents formé par notre bassoniste marathonien, Marc Mouginot, Fabien Bollich à la trompette, et enfin Stéphane Guiheux au trombone, fut à la fois précis et éclatant, on ne peut mieux servir la musique de Stravinsky. Huggo le Hénan, très sollicité aux percussions, nous fit ressentir avec habileté la progressive montée en puissance de l’œuvre pour finir dans un paroxysme sonore mais dominé. Ce spectacle ne manque pas d’atouts et demande certainement à mûrir. Laissons-lui un peu de temps. S’il laisse une impression mitigée c’est aussi peut-être aussi que nous sortons d’une période difficile qui nous a bousculés en profondeur et nous incite à ne pas si facilement accorder notre confiance. Alors « wait and see ».

DISTRIBUTION

Direction musicale Grant Llewellyn

Violon Fabien Boudot

Contrebasse Frédéric Alcaraz

Clarinette Sonia Borhani

Basson Marc Mouginot

Trompette Fabien Bollich

Trombone Stéphane Guiheux

Percussions Huggo Le Hénan

Mise en scène Richard Dubelski

Création lumière Rodrigue Bernard

Narration (Le Lecteur) et voix (Diable et Soldat) Jean-Philippe Lafont

Chorégraphie et Danse / Le Diable Stéfany Ganachaud

Danse / Le Soldat Noah Mgbélé Timothée « Ekilibro »

Fil et capilotraction / La Princesse Sanja Kosonen

Igor Stravinsky et Charles Ferdinand RamuzL’Histoire du Soldat », une œuvre lue, jouée et dansée.

Igor Stravinsky
Igor Stravinsky (1882-1971)

Lorsque la Première Guerre mondiale éclate en 1914, le compositeur Igor Stravinsky quitte la Russie et se réfugie en Suisse. Dans ce climat d’incertitude, il partage la solitude de sa condition d’artiste avec l’écrivain et poète Charles Ferdinand Ramuz.

charles ferdinand ramuz
Charles Ferdinand Ramuz (1878-1947). Crédit photo : ARCHIVES C.-F. RAMUZ/VANESSA CARDOSO

Pour subsister malgré les pénuries et les privations liées à la guerre, Ramuz et Stravinsky décident de créer un spectacle qui coûterait moins cher qu’un opéra en fondant un petit théâtre ambulant, avec des moyens limités, facilement transportable d’un endroit à l’autre. Un spectacle comportant peu de personnages et dont l’orchestre sera réduit à sept musiciens, pour pouvoir être joué même dans les villages. « L’Histoire du Soldat » se passe en Suisse. Joseph Dupraz, un soldat en permission, rentre chez lui à pied. Lorsque le Diable apparaît sous les traits d’un vieil homme, Joseph se laisse convaincre de lui donner son violon en échange d’un livre magique devant assurer sa richesse. Le soldat est invité chez le Diable pendant trois jours, afin de lui enseigner le violon. Or le temps n’existe pas en enfer. Lorsque Joseph arrive dans son village, trois ans se sont écoulés. Sa mère et sa fiancée le regardent comme un étranger. Alors, le soldat se met à lire le livre magique et devient extrêmement riche, sans pour autant trouver le bonheur. Il part sur les routes et arrive dans un nouveau pays où demeure une princesse malade. Enivrant le Diable au cours d’une partie de cartes dans laquelle il perd toute sa fortune, Joseph réussit à lui reprendre son violon. Il guérit la princesse en jouant de la musique et obtient sa main. Curieuse de connaître le village natal de son époux, la princesse exhorte Joseph à partir avec elle. Mais le Diable l’avait prévenu : « Qui les limites franchira, en mon pouvoir tombera ». À peine Joseph franchit-il la frontière du royaume qu’il retombe dans les filets du Diable. Si la plupart des contes possèdent une fin heureuse, ce n’est pas le cas de « L’Histoire du Soldat ». À ce titre, l’œuvre iconique d’Igor Stravinsky et de Charles Ferdinand Ramuz n’est pas un petit conte naïf, c’est un avertissement, un anti-conte de fées qui aborde des questions plus que jamais d’actualité : ce qui rend heureux peut-il s’acheter ? L’argent rend-il vraiment libre ? Dans une mise en scène de Richard Dubelski, l’Orchestre National de Bretagne souhaite renouer avec cet esprit forain, cher au désir des créateurs, tout en mettant l’œuvre de plein pied dans notre monde actuel. Sur scène, sept musiciens, un chef et un récitant qui fera entendre la voix des différents personnages. Mais uniquement la voix, car les corps de ces figures seront interprétés, pour le soldat, par un danseur camerounais issu de la danse urbaine, mêlant les figures du hip-hop à l’Afro, en passant par la capoeira brésilienne. Le Diable sera cette-fois au féminin, sous les traits d’une danseuse contemporaine qui se contorsionnera à vous faire damner. La princesse sera une acrobate, se déplaçant sur un fil ou pouvant s’envoler dans les airs, tractée par ses propres cheveux. Une princesse un peu éloignée des images d’Épinal des contes de fée… Les écrans ayant envahi notre monde, une tablette numérique se substituera au livre qu’échange le Diable avec le soldat, car « ce livre qui dit les choses avant le temps », pourrait bien correspondre à ce que l’on trouve aujourd’hui sur la toile… Sous la direction de Grant Llewellyn et avec la voix de Jean-Philippe Lafont à la narration.

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Thierry Martin
thierry.martin [@] unidivers .fr

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