Voilà. Nous nous dirigeons à grandes enjambées vers d’autres festivités. Les Trans et Les Bars en Trans, c’est fini. Dernières chaleurs radioactives avant l’entrée dans l’hiver véritable. Ces intenses moments sont faits, néanmoins, pour laisser derrière eux des traces, des souvenirs, plus ou moins embrumés parfois, de brûlures du froid et des morsures électriques. Ces soirées s’enfuient, comme les musiciens, elles reprennent la route, mais en sens inverse. Demeurent des mélodies, des cris, des disques parfois, la sensation réconfortante d’avoir fait une découverte ou mieux : une rencontre.

À travers la compilation des Bars-en-Trans nous avions repéré un inconnu : Harold Martinez. Le vibrato de la voix, ses fêlures et son phrasé inimitable. La musique blues acoustique saccadé, hypnotique et minimaliste se hissait à nos oreilles au-dessus du reste tant par son aspect décalé que volontairement « sous-produit ». Rendez-vous fut donc pris avec le bonhomme et son disque, lequel nous a accompagnés de longues journées. Assez pour préparer des questions et pour se préparer à « juger sur pièce ».

Thierry Jolif — Harold, avant ce premier album, quelles furent tes expériences musicales ?

Harold Martinez   J’étais bassiste pour le Clan Edisson, un groupe de rock-stoner de Nîmes. J’y jouais avec le même batteur qu’aujourd’hui Fabien Tolosa. C’était, disons un peu plus sombre, un peu plus rock’n roll dans le côté électrique. Nous avons joué ici à Rennes d’ailleurs. Pour moi ça a duré deux ans, ensuite j’ai voulu me concentrer sur mon propre projet. Je n’arrive pas à tout faire, j’ai donc préféré arrêté et me focaliser sur moi. Sinon, je parle un peu pour lui, mais Fabien Tolosa lui vient de plus loin, il a été batteur pour Kevin Key, Last Brigade, le Clan Edisson. C’est un musicien plus expérimenté, moi je suis le gars de ma chambre. Un jour tu joues dans ta chambre, tu chantes et puis après on te découvre, tu fais un album et puis voilà…

Et ta chambre est située à Nîmes, pourtant pas grand-chose de très ensoleillé dans ta musique, en tout cas dans ce premier album ?

 C’est un hommage à ma mère en fait. J’ai toujours été comme ça, à fleur de peau, alors là c’est accentué, grâce ou à cause de sa mort. Elle est morte, il y a… je ne sais même plus, cinq ou dix ans, mais ça a créé quelque chose et j’avais besoin de sortir ça. La musique a fait que… ce n’est pas nouveau, c’est une forme de deuil, faire en sorte de faire sortir tout ce qu’on ne peut pas. Ça m’a aidé un petit peu, à mettre des mots sur des douleurs, des manques. Je n’ai pas honte du truc, je pense même que ça peut être, différemment sans doute, faire partie du second album. Cette souffrance-là rencontre celle que j’avais déjà, c’est mon univers, ma vie.

Le titre de l’album c’est en effet BIRDMUM et tu fais très souvent référence aux Indiens, aux oiseaux. Avec l’aspect musical qui tend vers une Amérique un peu fantasmée, hallucinée, à la Gun Club ou Certain General, on se demande si cet aspect chamanique ne rejoint pas un peu cet aspect d’exorcisme que tu viens d’évoquer ?

Oui, mais je ne suis pas un pro de ces domaines, je n’ai pas chez moi des milliards de livres sur ces sujets, mais voilà ça me touche beaucoup. Après c’est peut-être un peu cliché, caricatural. C’est peut-être pour ça qu’on nous colle une image à la Sixteen Horse Power. C’est un groupe génial, que j’ai beaucoup écouté quand j’avais quinze vingt ans, tous leurs albums sûrement, mais ça va je suis ma propre voie, je n’écoute plus ça du matin au soir. Je serais plutôt de la génération Nick Cave. Pour moi, lui c’est encore autre chose, une carrière assez complète, la classe qui va avec, rock’n roll, morceaux « lover », tout ce qui va bien quoi. Sixteen, j’adore, mais qu’on nous colle cette image à la peau, ce côté cow-boys, je comprends, mais ce n’était pas voulu du tout.

Mais c’est quelque chose que tu portes en toi…

Oui, mais le côté chamanique, « indien » tient plus au rythme, je pense, et là c’est Fabien Tolosa qui a amené tout ça. Moi je suis venu avec ma guitare et quelques idées. Tout a été produit et arrangé ensuite. C’est Fabien qui a tout enregistré, chez lui, dans un mazet à Nîmes, entouré par les cigales. Toutes les prises sons ont été faites dans une petite chambre. Ensuite nettoyé en studio par Michel Garcia. Pour l’ambiance, la sincérité il fallait que ce soit comme ça, brut. Il y a du pour et du contre bien sûr. Et je pense que pour le deuxième album on s’y tiendra. Bien sûr certains commencent à nous dire que côté production c’est un peu limite. Mais vraiment les studios à 3000 euros la journée, non merci. Ça ne nous apporterait rien. Je n’aime pas trop tout ce qu’on nous propose actuellement, c’est sur-produit.

Et concernant les concerts, vous connaissez déjà Rennes…

Oui nous avons déjà joué ici, deux fois, je crois. Toujours dans des petites salles, mais superbes.

Et le climat, ça va aussi…

Oui, si on reste chez nous on ne fera jamais rien… C’est grâce à la Paloma, la pépinière de talent de la SMAC de Nîmes que nous sommes là.

Et la suite alors ?…

Ah nous avons de belles choses de prévues oui. Le 13 à L’Epicerie Moderne en première partie de Lady Like Lily et puis nous avons la chance de jouer cinq dates en février en première partie de Lou Doillon. Après, on n’aime ou on n’aime pas, mais parmi toutes ces actrices qui se mettent à pousser la chansonnette elle, elle à quelque chose, et une putain de voix.

Et comme toi elle a commencé, apparemment, seule avec sa guitare dans sa cusine…

Oui j’ai lu ça quelque part.

Et en concert ? Même formation guitare/batterie ?

Oui c’est plus rock du coup. Les morceaux calmes restent calmes avec quelques arrangements, mais c’est moins folk quand même. Pour le reste c’est le côté blues-rock, crado si je peux dire qui prend le dessus. Ça c’est fait comme ça au fil du temps. Mais pour certains titres comme Acid Rain ou Faith Healer c’est vite devenu évident qu’il fallait prendre la guitare électrique.

Et le fait de rester dans la même formation ? Question d’économie ou d’intimité ?

C’est vraiment pour rester entre nous. Pour l’instant, au vu de notre expérience nous préférons rester à deux. On se comprend avec Fab, on se parle. Certains pensent que ça manque la basse, les avis sont partagés. On doit continuer à s’écouter.

Et nous aussi. Le concert fut à la hauteur. Ces deux garçons sont d’une gentillesse et d’une sincérité peu commune. La torture nostalgique et les tourments ils les jettent tout entier dans le feu et l’énergie de leur musique. C’est un nuage de poussière plein d’une chaleur pas très méditerranéenne qu’ils ont lâché sur l’assistance du Ty Anna. Tourbillon électrique cicatriciel qui eut bien du mal à retomber. Nous les suivrons encore longtemps les traces d’Harold Martinez !

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Thierry Jolif
La culture est une guerre contre le nivellement universel que représente la mort (P. Florensky) Journaliste, essayiste, musicien, a entre autres collaboré avec Alan Stivell à l'ouvrage "Sur la route des plus belles légendes celtes" (Arthaud, 2013) thierry.jolif [@] unidivers .fr

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