Oubliez la guerre froide, les crises du pétrole et les tensions nucléaires. Voici venue la guerre du kebab, le premier conflit diplomatique de l’histoire où l’arme principale est une sauce blanche chimique dégoulinante et un pain pita vaguement tiède.
Depuis plusieurs mois, l’Allemagne et la Turquie se livrent une bataille féroce pour déterminer qui peut revendiquer l’autorité, l’identité, la paternité du döner kebab (appelé souflaki chez les Grecs) cet enfant illégitime de la gastronomie mondiale, élevé à coups de frites molles et de cola tiède. Le front est si tendu que même la Commission européenne a été appelée en renfort, sans doute entre deux traités sur le cabillaud de l’Atlantique Nord et les normes des yaourts bio.
Tout a commencé lorsque la Turquie, forte de son héritage millénaire et de son sens de la diplomatie aussi subtil qu’une assiette de mezze renversée, a décidé de demander un label européen pour le döner. En gros : estampiller le kebab comme elle l’a fait pour la baklava ou le café turc, histoire d’écrire « Original » dessus et de facturer 5 euros la tranche de viande grasse ou de gras viandé, c’est selon.
L’Allemagne, où le döner est devenu l’aliment de base d’une génération entière de Berlinois à bonnet en laine, a immédiatement contre-attaqué. « Toucher à notre kebab, c’est toucher à notre identité nationale », a lancé Cem Özdemir, ministre de l’Agriculture et enfant du pays (et du sandwich) — preuve vivante qu’on peut porter un nom turc tout en défendant un kebab allemand plus lourd qu’un char Léopard II.
La situation a dégénéré rapidement : on parle d’échanges musclés entre diplomates, de livraisons de kebabs piégés (extra sauce, supplément piment), et même d’une bataille de tweets où chaque émoji aubergine était interprété comme une menace voilée.
Sur le terrain, c’est l’escalade :
- À Istanbul, on a renommé un restaurant célèbre en « Döner Résistance ».
- À Berlin, des kebabiers ont organisé une « Broche Party » en soutien aux döner libres.
- À Bruxelles, les eurodéputés se seraient chamaillés pour savoir si le sandwich devait être servi avec du pain turc ou du pain allemand, avant de se rabattre sur les traditionnelles bières du lobby.
La Turquie, dans une manœuvre habile, tente de rappeler que le döner, c’est d’abord elle — comme si l’Allemagne avait oublié qu’elle avait importé plus de travailleurs turcs dans les années 60 que de saucisses blanches à l’Oktoberfest. L’Allemagne, elle, argue que si le kebab est devenu une telle star mondiale, c’est grâce à ses rues de Kreuzberg et son génie pour inventer le combo viande-frites-sauce qui fait battre le cœur de toute l’Europe de l’Ouest après minuit.
Quant au peuple, il observe ce drame avec angoisse : « Est-ce que ça veut dire qu’on va devoir payer 12 euros pour un kebab labellisé ? », s’interroge un étudiant de Leipzig, la bouche encore pleine de sauce cocktail. « Et est-ce que ça va changer la recette ? », gémit une influenceuse berlinoise, déjà en train de pleurer son wrap halloumi sur TikTok.
Moralité : Après avoir sacré le vin, le fromage, la baguette et la pizza, l’Europe s’apprête peut-être à couronner son nouveau trésor national : un sandwich mou, dégoulinant, dont la principale qualité est de rester irrésistible alors qu’il a le goût d’un vieux torchon imbibé de sauce blanchâtre.