En l’espace de 6 mois, Québec et France ont changé de gouvernement pour passer de la « droite » à la « gauche ». En France, le calendrier électoral et les vacances font que la véritable entrée en fonction du gouvernement est en septembre tandis que le gouvernement québécois de Pauline Marois vient d’entrer en fonction la semaine dernière. Deux écoles de gouvernance pour deux situations distinctes ?

Pour les Français, la situation politique du Québec est revenue sur le devant de la scène avec la récente révolte étudiante. Elle a fait suite à la hausse du coût des études supérieures. Mais il y a bien d’autres sujets brulants dans la Belle Province qui bénéficie d’un véritable gouvernement à l’instar de ses homologues canadiennes. Le Québec bénéficie notamment d’une excellente couverture santé qui est mise à mal, comme partout, par l’évolution de la démographie, notamment le vieillissement de la population.

Pour les Québécois, la situation française laisse perplexe : un gouvernement dit « de gauche » qui se révèle atone et attentiste après trois mois de mandat. Étonnante période de vacances après des élections, en particulier dans une période de crise aiguë. D’autant plus qu’en brandissant le terme de « changement » durant des mois, le gouvernement a créé une attente très vive auprès des électeurs qui sont en train de se réveiller avec la gueule de bois. Ils ont bien vite compris le simulacre. Une fois mis de côté le changement sur la forme destiné à nourrir la communication présidentielle auprès des médias, brille de pleins feux l’absence de changement sur le fond : aucune reprise en mains d’une politique industrielle moribonde, une gestion aventureuse d’une Europe abandonnée aux marchés qui fait les choux gras de l’Allemagne, un simple vernis écologique en forme de vague caution morale en lieu et place d’une réflexion et des engagements de fond. Quant à l’encadrement des marchés financiers qui avaient été au coeur du débat pendant les primaires puis dans la campagne, il est étrangement aux abonnés absents. Et ne parlons pas de cette pantalonnade qu’est cette réduction éphémère du prix du l’essence. Bref, aux yeux de nombreux Québécois de gauche, l’homme normal sait manipuler ses congénères…

Les premières décisions de ces deux gouvernements sont-elles pour autant différentes ? Oh que oui ! Pauline Marois a d’emblée mis un terme à l’augmentation des frais scolaires, chers à son prédécesseur Jean Charest, comme à la taxe santé, annoncé la fermeture de la centrale nucléaire de Gentilly-2 et créé de nouveaux paliers d’imposition. Elle s’est engagé à poursuivre le développement régional. Elle a également ordonné l’annulation d’un prêt pour l’industrie de l’amiante et l’interdiction d’exploration et d’exploitation du gaz de schiste, faisant fi des résultats d’une commission d’étude lancée quelques mois plus tôt. Alors qu’en France, les administrés attendent toujours des décisions sans ambiguïté relatives aussi bien au gaz de schiste qu’à Fessenheim qui devrait a priori connaître une fermeture vers 2016…

 Aux yeux de nombre de Français comme de nos cousins québécois, le gouvernement Hollande-Ayrault a adopté la stratégie du « ni-ni ». Ni vraiment de gaz de schiste ni une interdiction totale de cette filière. Concernant les impôts sur le revenu, certes il y aura une hausse, mais pour noyer le poisson : c’est la classe moyenne qui va encore trinquer (jusqu’à quand l’acceptera-t-elle ?). Un surcroît d’austérité, mal conçu et sans oser le dire, pour faire plaisir à une Europe qui ne connaît que le chiffre de 3% : celui du déficit public rapporté au PIB, chiffre non respecté par la plupart des pays, y compris l’Allemagne après la réunification.

Bref, ces deux modes de gouvernance ne sont pas dénués de risques. Côté québécois, le gouvernement étant minoritaire, il doit élaborer des compromis avec les autres partis pour obtenir les budgets nécessaires à ses décisions. La partie ne s’annonce guère aisée, même si la rue et le mouvement étudiant se sont apaisés. Au contraire, en France, c’est aujourd’hui par la rue que menacent d’arriver les ennuis. Tant d’attentes déçues et tant de promesses oubliées s’ajoutent à la vague de licenciements qui attendait en retrait le résultat des élections pour se déclencher. La situation devient explosive. Le gouvernement Ayrault y répond par une prudence et des manœuvres de communication destinées à masquer les aspects les plus durs de la réalité. À trop vouloir la prudence, il frise l’inaction. La situation plaide pourtant en faveur d’une action d’urgence.

Comme nous l’avions souligné dans nos colonnes avant les élections, le risque est grand à décevoir un électorat concerné et à enfoncer un peu plus une classe moyenne déjà mise à mal. Le Québec a fait le choix de prendre des mesures, certes symboliques, dès son arrivée aux commandes, ce n’est pas le cas en France où le tandem Hollande-Ayrault semble naviguer à vue à la recherche de quelque improbable horizon. Cette attitude est aussi regrettable que les premières mesures de Nicolas Sarkozy en 2007.

De ces deux manières de gouverner, l’avenir choisira son vainqueur. Mais peut-être ne sera-ce aucun des deux. La stratégie du « ni-ni » fera-t-elle le succès d’un tiers parti ?

Si le gouvernement continue à se montrer si peu maître de la gestion de la nation française, il est concevable que la présidentielle 2017 voie l’affrontement au second tour d’une formation centriste unifiée opposée au Front national. Le ni-ni d’Hollande-Ayrault se révélera in cauda venenum le fossoyeur du système gauche-droite. Pour le coup, un véritable « changement ».

Didier Ackermann et Nicolas Roberti

 

 

 

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