Le retour de GiedRé à Rennes, c’était à l’Antipode mercredi 30 mars. La chansonnière cultive toujours autant le contraste entre son apparence douce, enfantine et la franchise graveleuse, critique, de ses textes. Une entrevue au sommet à propos de son dernier album, de l’humour lituanien et du connard qui sommeille en chacun de nous…


Unidivers : On peut lire sur ton site officiel une sorte de moquerie envers l’expression « album de la maturité ». Alors, la grande question : Lalala est-il cet album de la maturité ?

U : Ce serait un bon titre, L’album de l’immaturité…
GiedRé : Mais j’ai de bonnes idées. Tu le verras au cours de l’interview. Pour ce nouveau titre d’album, j’ai eu un peu pitié des gens de ton espèce qui doivent dire : « Bonjour, GiedRé, vous avez sorti un nouvel album, Mon premier album fait avec mes mains et mes pieds et surtout le samedi après-midi après le déjeuner ». Enfin, tu sais, des titres dans le genre.
U : Merci.
GiedRé : De rien, je suis là pour votre bien.
U : Cet album, selon toi, est-il différent des précédents ?

U : Cet album est-il moins cru, en un sens ?
GiedRé : Je m’en serais voulu si j’étais devenu une parodie de moi-même. C’est quelque chose dans lequel on peut tomber si on cherche à satisfaire uniquement les demandes du public. Il faut lutter contre cette facilité. Finalement, c’est que de l’ego, de vouloir chercher à plaire. Il faut lutter contre cet orgueil. C’est différent des chansons que j’ai écrites il y a six ans, heureusement.
U : Dans ta chanson, Le gros enculé, qui vises-tu exactement ? Quelles sont tes cibles ?

U : Alors, vision pessimiste du monde ou simplement franche ?
GiedRé : C’est réaliste. Les gens ont envie de croire que tout est merveilleux, que c’est tellement bien la vie, que c’est tellement gentil. J’aimerais bien être à leur place, mais je crois qu’ils se trompent. Dès que tu dis quelque chose qui n’est pas trop mignon, trop bien-pensant, tu es taxé de pessimisme, mais c’est simplement réaliste.
U : Est-ce que tu autoproduis toujours tes disques ?

U : Est-ce tu t’occupes aussi de tout l’univers qui entoure tes chansons ? Le site internet ? Les pochettes ? Les décors des concerts ?
GiedRé : Oui. Je suis accompagné aussi : un ami graphiste me suit depuis le début. Je lui dis, ce serait bien de mettre ça, de mettre un caca ici ou là.
U : Et quelle est la nature de ces « tournantes », comme tu les appelles ? Est-ce qu’on y trouve des aspects proches du théâtre, voire du stand-up ?
GiedRé : Les gens pensent que, si tu fais des blagues, tu es humoriste. Comme je suis toute seule sur scène, et que j’aime bien les gens, j’ai besoin de communiquer. Sinon je serais restée dans mon salon à chanter pour mes chats. Forcément, comme je suis seule, je parle avec les gens. Pour moi, chaque concert doit être différent, et il l’est, de fait. Si tu inclus le public dans ton spectacle, il est forcément différent. Il y a toujours des imprévus, des accidents.
U : Je vais utiliser une formule typiquement journalistique : concernant cette théâtralité, ce contraste que tu cultives entre un aspect enfantin et la crudité des textes, est-ce que tu te sens « à la ville comme à la scène » ?

U : C’est presque le 1er avril, tu aurais pu arriver dans un rôle totalement différent. Déguisé en noir, par exemple…
GiedRé : Oui, en slim, à la mode. Ça aurait été drôle.
U : Est-ce que tu as des influences ? Certains chansonniers, musiciens, écrivains, dramaturges ?
GiedRé : Oui, forcément. En chanson, j’aurais du mal à dire : j’ai été influencé par Brassens et Renaud. C’est impossible. Si tu te dis influencé par Jean Yanne ou Barbara, tu n’écris aucune chanson. C’est handicapant. Ce n’est pas Brassens qui m’a donné envie de faire des chansons. C’est plutôt complexant : comment écrire des chansons après lui ? Mes influences, ce serait plutôt des écrivains, des humoristes. Quelqu’un comme George Carlin. Ou Jean Teulé, du moins les premiers romans. Il fait de la poésie avec du moche, il dit la vérité. Dans Ô Verlaine, il parle du véritable Verlaine, celui qui a des MST parce qu’il se tape des putes qui ont des croûtes, celui qui n’a plus de dents et qui pue. Mais aussi Louis C. K., Amy Schumer.
U : Est-ce que tu éprouves une certaine jouissance à utiliser gros mots et insultes de la langue française ?
GiedRé : Une chanson, c’est court. Tu ne peux pas te permettre de passer quatre phrases pour éviter de dire « enculé ». Tu dis « enculé ». Tu auras de la place pour dire autre chose. Tu sais, je viens de Lituanie. En Lituanie, il n’y a pas de gros mots, pas du tout. Quand tu insultes tes amis, tu les traites de « farine non moulue ». Ou « vieux crapaud ». C’est l’équivalent de « fini à la pisse » si tu veux, « farine non moulue ».
U : Est-ce que tu revendiques une portée sociale dans tes chansons ?
GiedRé : J’aime bien le rap français. J’aime bien la démarche. Ce sont les dernières personnes, je pense, à se soucier de ce qu’ils racontent. Ce que je fais, c’est un peu plus enrobé. Il faut dire : « non, mais c’est du divertissement ». Toujours lutter avec l’arme de l’ennemi, très important.
