Être Géante et Femme n’est pas une chose facile. Dans un conte initiatique aux dessins magnifiques, JC Devenez et Nuria Tamarit nous livrent une BD féministe, mais avant tout un hymne à la liberté et à la tolérance. Un très grand album.

BD GEANTE

« Il était une fois … ». La BD commence comme un conte de Grimm. Un bûcheron rencontre dans la forêt un bébé, mais un bébé qui est en fait … une Géante. Bien entendu comme tout conte qui se respecte, le nourrisson géant va être adopté par une gentille famille et devenir le septième enfant cohabitant avec six frères. Dernière arrivée, elle sera aussi la dernière à quitter le cocon familial, malgré l’opposition de ses parents inquiets de sa différence et de la haine que celle-ci peut faire naître.

BD GEANTE

Céleste, c’est son nom, va alors en douze chapitres chronologiques découvrir le monde et se créer sa propre liberté. Elle va affronter la crapulerie, l’ignorance, le despotisme, le patriarcat, l’obscurantisme religieux, en autant d’étapes initiatiques qui respectent la forme du conte tout en le modernisant et en l’adaptant à notre société.

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Céleste est une femme, une identité qu’elle découvre un jour en se baignant sous une cascade et en observant des traces de sang dans l’eau. Elle ne dispose pas pour autant des attributs physiques d’une pin-up des temps modernes, dotée de symboles sexuels forts. Elle n’est ni belle, ni laide, elle est tout simplement, femme avant d’être géante.

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Bien vite elle va découvrir le pouvoir des hommes et l’entrave qu’ils créent à sa quête de liberté. Dès son premier voyage en dehors de la ferme familiale, sa rencontre avec Nando, lui révèle la force de la cupidité, les préjugés, le racisme. Douze étapes seront nécessaires pour s’extraire de sa condition féminine, pour découvrir que les sorcières ne sont pas des femmes maléfiques, mais qu’elles sont porteuses du savoir et de la culture, remèdes essentiels à la bêtise et aux préjugés. Douze étapes comme un chemin de croix vers la liberté et la renaissance. Ainsi se construit de page en page une oeuvre résolument féministe, mais qui ne renvoie pas les hommes dans les affres de l’enfer.

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De belles rencontres masculines vont jalonner le parcours de Céleste, qui finira par vivre avec trois hommes, bons et généreux « au gré de leurs désirs communs et respectifs ». Elle combattra même les femmes géantes maîtresses-oiseaux qui enferment les hommes, pour n’en faire que des instruments de reproduction. On se trouve tout à la fois dans l’univers de Gargantua et de Gargamel, de Gulliver ou d’Homère. Jean Christophe Deveney aborde par son récit chronologique les thèmes habituels des contes en les actualisant. Son récit par sa fluidité nous rappelle les heureux moments où la voix de nos parents nous aidait à nous endormir en mêlant légendes et réalité et en nous ouvrant la porte des rêves.

Rien d’enfantin pourtant ni de manichéen dans cette succession de tableaux découpés avec bonheur et efficacité. On marche, on court, on nage derrière Céleste avec un réel plaisir, se souciant de son bonheur et compatissant à ses mésaventures. On lit cet épais ouvrage comme un feuilleton. Et on se plait à évoquer « L’âge d’or » de Pedrosa qui partage les mêmes thèmes avec un traitement graphique différent. Ici c’est Nuria Tamarit qui met en images avec talent le parcours de la Géante. Elle mélange les codes du conte avec un dessin où les décors balisent les différentes étapes de l’histoire, mêlant poésie nocturne et beauté diurne d’une nature omniprésente comme un rappel de la nécessaire liberté. Le corps de Céleste ou son visage sont souvent découpés, incomplets, accroissant la taille hors norme de l’héroïne. Les ciels sont une véritable invitation au rêve. Les mers, une invitation à la baignade. Céleste finira peut être, après avoir vaincu les principales turpitudes du monde, par créer une cité idéale, un retour à Ithaque en quelque sorte, si proche du point de départ mais dont l’éloignement provisoire est nécessaire pour son accomplissement personnel. Elle se sera ouverte aux arts, à l’indépendance d’esprit, à l’imaginaire, à la tolérance. Elle sera devenue une femme, pleine et entière. Libre. Une femme d’aujourd’hui révélée dans un récit à l’ancienne.

Géante : histoire de celle qui parcourut le monde à la recherche de la liberté. Scénario: JC Deveney. Dessin : Nuria Tamarit. Éditions Delcourt. Parution 3 juin 2020. 200 pages. 27, 95€. Un beau livre à la couverture dorée et soignée. .

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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