Si vous cherchez un premier livre à ouvrir en 2022, prenez cet ouvrage, Une fraternité, des fraternités. Trois textes se répondent, trois voix se questionnent. Jean-Paul Vesco, Mohammed Loueslati, Jean-Michel Le Boulanger. Sur ces trois mots gravés aux frontons de nos mairies, de nos écoles. Liberté, égalité, fraternité. Trois mots chargés d’histoire, de luttes, de sang et, nous sommes nombreux à vouloir le croire, de lumière.

Une fraternité des fraternités

Voilà un livre qui nous fait du bien par ces mauvais temps où tout semble s’écrouler de notre monde. Trois voix pour un échange, un dialogue, une réflexion, des propositions. Certes modestes, certes inabouties, certes à contre-courant de l’époque. Mais qui nous ramènent aux fondamentaux de notre existence, de nos statuts de femmes et d’hommes de bonne volonté. Que nous soyons athée, mécréant, juif, catholique, musulman, animiste, boudhiste, que sais-je encore. Qui nous obligent à regarder la vie des uns et des autres, la culture de chacun, pareilles à la nôtre, celles de l’humanité entière. Fraternités d’inquiétude aussi, fraternités d’incertitude sans doute, mais n’est-ce pas souvent dans de tels contextes que nous avançons vraiment ?

Une fraternité des fraternités

Mon premier réflexe, le livre à peine entamé, a été de chercher si ces trois mots affichés à nos frontispices sont les seuls au monde. Je n’ai rien trouvé résonnant aussi fort aujourd’hui encore. Dieu et mon droit au Royaume-Uni, Né pour unir en Italie, Encore et au-delà en Espagne, Union et droit et liberté en Allemagne. Si nous allons aux USA, En Dieu nous croyons, en Argentine, Dans l’union et la liberté, et au Brésil, Ordre et progrès. Sur un autre continent la Chine, Compter sur ses propres forces. Plus près de nous, au Liban, Honneur, Sacrifice, Loyauté, en Egypte, Silence et patience, liberté, socialisme, unité, et en Algérie, La révolution par le peuple et pour le peuple.

blason et devise allemagne

Ces devises pour la plupart sont anciennes et ne doivent assurément pas être lues à l’aune du présent. En poursuivant la lecture, plusieurs petites musiques ont alors commencé à me trotter dans la tête. Celle de Joséphine Baker et sa chanson « Dans mon village » où elle parle de ses enfants adoptés en jouant sur les couleurs de la nuit, du jour, du soleil… Deux passages ensuite de Qui est cet homme ? écrit par Pierre Emmanuel sur les années de la dernière guerre et notés récemment sur mon carnet.

« À Dieulefit, nul n’est étranger : celui qui va débarquer tout à l’heure, rompu par un affreux trajet d’autobus, affamé, poursuivi peut-être, et qui vit dans la terreur des regards braqués sur lui, qu’il se rassure, la paix enfin va l’accueillir, il se trouvera parmi les siens, chez lui, car il est le prochain pour qui toujours la table est mise. Plus précis encore. (…) Dieulefit, pendant ces quatre années, illustra consciemment la leçon de l’Épître aux Romains : Il n’y a ni Juifs, ni Grecs, il n’y a que des hommes sous le regard de Dieu ; une seule définition de l’homme, et qu’il faut défendre partout, en tout homme où elle est menacée. »

Une anecdote m’est alors revenue. J’avais un jour à Nankin été ébahi d’entendre dans un banal dialogue un ami marocain appeler un de mes amis chinois, mon frère. D’autant plus surpris que ni l’un, ni l’autre n’est pratiquant d’une quelconque religion. Pour bien les connaître, ce n’était pas parole en l’air, simplement le fait de se reconnaître, de s’apprécier et de le dire sous cette forme inhabituelle. Mon étonnement montrait bien qu’il y avait là pour moi un travail en profondeur à entreprendre. Or dans ces temps de fous, où tout doit être fini avant d’être commencé, où l’impatience n’en finit pas de défigurer la vie, où quiconque peut être condamné sur la simple couleur de sa peau, l’urgence est justement de se poser, de réfléchir, de débattre. Est-ce possible ?

Il y a des mots qui ont perdu leur sens et qu’il conviendrait pour cela de réhabiliter. Prenez « cité », prenez « mémoire ». Prenez « commerce », non pas dans l’attendu marchand mais « commerce entre les humains ». « La solidarité est mère de la fraternité », affirme Jean-Michel Le Boulanger, géographe et élu républicain. Oui, deux fois oui. Faut-il commencer par la première, moins lourde sur les épaules et portée par ceux dont nous n’entendons pas parler dans les médias, si vivants pourtant, ceux qui vivent dans les micro-mondes associatifs ? L’inverse est peut-être aussi vrai, lui répond Jean-Paul Vesco, évêque d’Oran. Indissociables, concluent-ils tous les deux. Je les rejoins, car je connais quelques-uns de ces centaines de milliers de bénévoles, donnant leur temps, pour simplement aider et soulager, sans qui le tissu social se serait déchiré chez nous depuis longtemps. Et je ne parle pas ici seulement des associations d’aide aux migrants, aux réfugiés et aux exilés. D’ailleurs ces migrants, ces réfugiés, ces exilés, n’est-ce pas en les appelant ainsi que nous en oublions leurs visages et leurs noms ?

Mohamed Loueslati

Pour avancer vers l’humanité, il suffit d’un rien, de nous déplacer d’un pas, d’un simple petit pas. Nous mettre à la place de l’autre. Que ferions-nous si nous n’avions plus d’eau, plus de quoi manger, que ferions-nous pour nos enfants si nous n’avions plus d’espoir ? Ces questions à peine posées, nous en connaissons la réponse. Mais voulons-nous l’entendre ? Comme cette citation du Coran donnée par Mohamed Loueslati, imam et aumônier des prisons.

« Celui qui a tué un homme est considéré comme s’il avait tué tous les hommes. Et celui qui sauve un seul homme comme s’il avait sauvé toute l’humanité. »

Ecoutons aussi Armand Robin :

« Je ne suis pas breton, français, letton, chinois, anglais, Je suis à la fois tout cela, Je suis homme universel et général du monde entier »

…et aussi :

« Je ne suis pas face à eux, ils ne sont pas face à moi. Ils parlent avant moi dans ma gorge, j’assiège leurs gorges de mes mots à venir. Nous nous tenons son à son, syllabe à syllabe, sens à sens et surtout destin à destin (…). »

De nombreux sujets historiques ou d’une brûlante actualité sont abordés dans ce livre et chacun les développe selon son expérience, sa sensibilité, sa vision. Attentats, colonisations, caricatures, prisons, laïcité, assimilation, etc. Il reste un long chemin à parcourir ici et ailleurs vers la liberté, l’égalité des hommes et des femmes en société. La fraternité ne peut à elle seule donner une réponse. C’est un bouquet de mots qu’il nous faut composer autour d’elle. Humanité, respect, droit, laïcité, amour, beauté, dignité, accueil, éducation, dialogue, etc. Et tous ces mots se mettent au pluriel car la réalité du monde est ainsi. N’ayons pas peur non plus des verbes apprendre, connaître, créer, partager, raconter, chanter…, conjuguons-les, traduisons-les ensemble dans toutes les langues. Tout cela ne dépend que de nous, n’est-ce pas ? Cela ne suffira certes pas encore. J’en veux pour preuve l’extrémisme hindouiste, instrumentalisé par le pouvoir, se répandant en Inde comme une coulée de boue à l’heure où j’écris ces lignes. Ce livre n’est certainement qu’un début. Il nous faudra du courage pour accepter et dépasser nos différences, pour refaire un monde trop souvent défait.

Une fraternité, des fraternités de Jean-Michel Le Boulanger, Mohamed Loueslati, Jean-Paul Vesco. Éditions Bayard, 22 septembre 2021, 186 pages.

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Jean-Louis Coatrieux
Jean-Louis Coatrieux est spécialiste de l’imagerie numérique médicale, écrivain et essayiste. Il a publié de nombreux ouvrages, notamment aux éditions La Part Commune et Riveneuve éditions.

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