La famille Gilroy est un clan qui compte à Hollywood. Après John, monteur sur l’excellent Narc de Joe Carnahan et Tony, scénariste de la trilogie Bourne et réalisateur du sympathique Michael Clayton, voici qu’arrive sur le devant de la scène Dan Gilroy avec Night Call. Une première réalisation. Une honorable anecdote. cinéma, film unidivers, critique, information, magazine, journal, spiritualité

 

night call

Dès l’arrivée de sa bande-annonce, Night Call intriguait. Un Los Angeles représenté de nuit, un Jake Gyllenhaal au sommet de son art, une thématique consciencieuse (média et voyeurisme). Voilà bien un cocktail gagnant pour un grand film qui est mis en place pour une dégustation délectable. En théorie. Car dans les faits, le métrage va se révéler légèrement anecdotique, et c’est avec une légère déception que le spectateur va quitter la projection. Rien de dramatique non plus, mais voir un projet ne manquant pas d’atouts ne pas arriver à tutoyer les cimes de 2014 est toujours un peu désolant.

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Heureusement, et c’était l’une des grandes promesses du film, le réalisateur a pu disposer d’un casting quatre étoiles. Avec ce personnage principal qui traque l’image voyeuriste dans la nuit californienne, Dan Gilroy dispose d’un matériau humain saisissant. Jake Gyllenhaal en profite, d’ailleurs, pour livrer une prestation dantesque, tout en regard halluciné et en corps fragilisé (le comédien, en bon élève digne de l’Actor’s Studio, a perdu plus de 9 kilos pour le rôle), parfait corollaire à cette morale qui devient de plus en plus tendancieuse. Et malgré quelque cabotinage mal placé (on pense surtout à la scène du miroir brisé qui n’est pas loin du ridicule), l’acteur s’impose comme une valeur sûre d’Hollywood. Au final, Night Call se place sans contestation possible dans le meilleur de sa filmographie aux côtés des Donnie Darko, Zodiac ou Enemy (on ne mentionnera Love et autre drogue ou Prince Of Persia que pour se souvenir de la nullité abyssale des projets). Le comédien confirme des choix de carrière plus qu’intéressants depuis 2011 et il faut espérer qu’il évite dorénavant les films qui ne méritent pas son indéniable talent. A ses côtés, le plaisir est communicatif de retrouver la grande Rene Russo (Get Shorty de Barry Sonnenfeld, Thomas Crown de John McTiernan, Dans La ligne de mire de Wolfgang Petersen, entre autres) ou un Bill Paxton toujours dans les bons coups. L’interprétation, donc, est bien l’une des grandes forces du film. Cela n’est pourtant pas suffisant.

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Les médias ont toujours été une source d’inspiration bienvenue dans le cinéma américain. Que l’on pense au sublime Les Hommes du Président d’Alan J. Pakula, au stimulant Révélations de Michael Mann, à l’iconique Network de Sidney Lumet ou même la saison 5 de la série de David Simon The Wire, force est de constater que cette sphère est sujette à des débats couvrant des thématiques multiples. Tout simplement parce que rien n’est jamais simple dans une rédaction. De plus, les angles d’attaque sont bien trop nombreux pour engager un discours simpliste ; c’est bien la raison essentielle de sa place importante dans la cinématographie US. Night Call souhaiterait s’inscrire dans cette tradition typiquement américaine où ce quatrième pouvoir doit prendre tout son sens, quitte à le maltraiter pour mieux identifier ses dérapages. Avec ce paumé trouvant grâce dans un domaine où il n’a pas été initialement formé, le métrage pourrait, en tant que proposition première évidente, pointer du doigt cet amateurisme malveillant qui ne cherche que la gratuité au détriment de la véritable information. Hélas, si certains éléments s’avèrent intéressants, ils ne font que rester dans un sur-lignage facile plutôt que de plonger dans une analyse en profondeur. Entreprise dommageable au regard des passionnantes pistes initiées.

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Il y a, d’abord, cette volonté d’afficher ouvertement une libre entreprise en marche de guerre qui aurait pu devenir l’un des personnages principaux. « Business plan », « associé », « collaborateur », « vice-président », « président ». Autant de termes employés pour rendre Video Production News, la société montée par le héros, acceptable. Oui, nous sommes bien dans une dynamique libérale bien américaine où chacun peu se construire professionnellement à la seule force de la volonté individuelle. Land Of Opportunity nous rappelle l’American Dream. Pour le meilleur. Ici, pour le pire, au regard de l’évolution détestable de cette petite entreprise qui ne va pas connaître la crise. Night Call se voudrait-il alors être une critique du célèbre dogme made in USA ? Sans doute. Mais pour que la dénonciation soit forte, il faut que le cinéaste y plonge frontalement. Ce n’est pas le cas ici. Intéressants, ces mots ne restent, pourtant, que des mots et une étude dudit Rêve américain n’aurait pas été de refus. Même s’il n’est jamais mentionné, nous nous promenons allègrement dans ce rêve devenu cauchemar. Pourtant, les outils de compréhension ne répondent pas présents, car ils ne sont pas auscultés, disséqués, triturés. Ils sont seulement là, tels des concepts naviguant de bouche en bouche. Ils ne peuvent donc pas trouver une existence forte et finissent, inévitablement, par devenir absents. La conclusion est terrible. Night Call devient, alors, anecdotique.

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L’étude du système d’information procure également cette sensation d’arriver devant une porte close pour le spectateur. La rédactrice en chef, dont l’avidité autour du spectaculaire est sans égale, est une protagoniste intéressante. Sur le papier. En effet, jamais le métrage ne va entrer dans les limbes de sa personnalité, ne va connaître en profondeur ses valeurs et/ou ses sentiments et enclencher cause et conséquence d’un tel comportement. Ce dernier ne reste qu’un fait, une réalité, une donnée. Ne pas l’analyser fait, peut-être, partie de la volonté du cinéaste. Il permettrait de dire tout le mal qu’il pense de la maladie dont souffre une société médiatique dont il ne faut plus chercher ni les tenants ni les aboutissants. Tel un fait irréfutable, les médias sont incurables. A quoi bon, alors, chercher des pistes de réflexion ? Cynisme ? Sans doute, tant le film s’auréole de cette perte totale de foi dans ces hommes et ces femmes.

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Néanmoins, cette stratégie, aussi efficace soit-elle, ne permet toujours pas à Night Call de gagner une profondeur qui est pourtant à portée de main. Tout cela est bien trop facile. Comme si cela n’était pas suffisant, ce positionnement se retrouve également pour le personnage de Jake Gyllenhaal. Si son parcours scénaristique, bien plus construit, est tenu jusqu’au bout grâce à un souhait clair d’aller de plus en plus dans la surenchère, on aurait, peut-être, aimé un approfondissement psychologique. Le hors champ, et donc le mystère, dans la construction du protagoniste est bien trop important. Oui, cet homme n’est plus qu’une machine. La perspective est, certes, adéquate avec le message global du métrage, mais elle apparait bien trop simpliste – encore ! – pour passionner réellement.

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Si cette passion n’est pas retranscrite dans l’écriture, il en est de même en ce qui concerne la réalisation. Réfléchie sans être géniale, la convocation d’un Michael Mann ou d’un Nicolas Winding Refn étant bien déplacée, la mise en scène permet, néanmoins, de rentrer avec facilité dans ce parcours détestable. Certains choix sont cohérents et le climax final est suffisamment réussi pour faire passer une tension nauséabonde. Mais le plus fort n’est pas là. Il se situe dans une absence.

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En effet, jamais le réalisateur ne va se perdre dans les méandres du found footage et de la vision à la première personne type fps à outrance. La tentation était pourtant grande. Elle est, heureusement, évacuée. De fait, Dan Gilroy va plutôt préférer montrer ces images à travers le prisme médiatique et donc de ses personnages. Le discours se fait donc plus fort et, surtout, il y a une distance qui s’invite entre le film et son spectateur. Loin d’être pris pour un pur voyeuriste auquel on tape sur l’épaule, ce dernier a tout le respect d’un cinéaste qui veut avant tout faire passer un message tout en ne rassasiant pas les bas instincts de chacun. Ce choix de représentation est tout à son honneur.

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Honneur encore dans la façon d’amener un peu de réflexion cinématographique. Si une vidéo peut marcher, c’est parce que le champ doit être rempli jusqu’à l’écœurement. Le hors champ n’a plus sa place à la télévision, il faut voir tout et tout de suite. Si certains dialogues osent aborder cette thématique, c’est par une séquence d’accident, la plus intéressante du métrage, que l’argumentaire autour d’une nouvelle construction de l’image va prendre vie. La conclusion est terrifiante. Dès lors, c’est tout un imaginaire qui n’a plus le droit de citer. C’est le reptile qui doit être touché. Tout simplement. Grâce à ces choix, Night Call réussit sa dénonciation d’un système médiatique gerbant et devient, enfin, d’une richesse bienvenue. Dommage que ce tour de force ne soit que trop rare.

Night Call aurait pu être un grand film-dossier autour d’une thématique ouverte que les années 2010 rendent possibles. Avec les multiplications des chaines d’information, des reportages toujours plus nauséabonds et une course au buzz et à l’audimat, une bombe aurait pu – dû ? – être lâchée. Ce ne sera, finalement, qu’un pétard.

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