Filmer le désespoir n’est pas une mince affaire. En faire une œuvre engagée nécessitait de l’habileté, du cran et, en même temps, une certaine dose d’humilité. Avec La loi du Marché, Stéphane Brizé signe un film poignant, et Vincent Lindon une interprétation à l’oscar mérité. Un manifeste du cinéma social. Sincère et troublant.cinéma film critique

À 51 ans, après 20 mois de chômage, Thierry commence un nouveau travail qui le met bientôt face à un dilemme moral. Pour garder son emploi, peut-il tout accepter ?

la loi du marché film Même en ces temps d’abandon au divertissement, parfois le cinéma rattrape la réalité. Il lève le voile sur les non-dits, assume à nouveau sa dimension sociale et montrer simplement afin de mieux dénoncer. En offrant à Vincent Lindon le rôle de Thierry, 51 ans, au chômage depuis 20 mois, Stéphane Brizé met en scène le déclassement avec la conscience que nul n’est plus à l’abri de la précarité. À la recherche d’un nouvel emploi, on l’accompagne dans sa quête comme on aurait accompagné l’Antonio de Ladri di Biciclette de Vittorio De Sica. Une course contre la montre. Une lutte permanente. Un acte de résistance. Et si à la différence de l’italien, Thierry parvient à retrouver un semblant de la vie qu’on lui avait volé, une paupérisation a minima, ce n’est que pour être davantage confronté à la violence du marché, à la radicalité du chiffre, à l’absurdité d’une mécanique oppressante et dévitalisée. Nouvellement responsable de la sécurité d’un hypermarché, il lui incombe de surveiller et de dénoncer les vols et les fraudes des clients comme des employés. Un poste où la neutralité se confronte quotidiennement à la moralité…

Nul ne pourra contester à Vincent Lindon la sincérité de sa prestation. Assurément conscient d’interpréter une vie qui aurait pu être la sienne, il s’efface devant son personnage avec pudeur et respect. Ou est-ce Thierry qui s’efface devant Vincent ? Tant l’acteur perfore l’écran, tant il impose sa présence tourmentée. Lindon fait du Vincent mais la confusion, trompeuse, lui permet de laisser libre cours à son registre expressif ; sa présence donnant tout son relief à un personnage résigné, en phase terminale du cancer social qui l’a frappé.

Si l’acteur et le rôle s’effacent l’un devant l’autre ; tous deux s’effacent en revanche devant la caméra qui observe toujours de dos ou de biais, en retrait mais dans l’intimité. Se succèdent les moments de vie, capturées avec une maladresse assumée, comme pour rendre toute la détresse et l’urgence d’une vie condamnée. Les moments de répit sont rares ; le silence, omniprésent, surchargé, angoissant, laisse seul devant la contemplation de la machine sociale au travail. Tout est dévolu à l’exhibition d’une logique économique comptable et humainement absurde. À Pôle Emploi comme en hypermarché, la variable humaine, devenue pure marchandise, est entièrement substituée aux aléas des profits et la morale s’incline définitivement devant la loi du marché.

Hors studio et en lieux réels, Vincent Lindon évolue parmi des acteurs non-professionnels qui interprètent le plus souvent le rôle de leur propre vie. Une réalisation documentaire qui donne toute sa portée au cinéma de Brizé. Le réalisateur martèle la réalité dans la pupille du spectateur, jusqu’au dégoût, jusqu’à l’envie de fuir pour oublier la cruauté gratuite et carcérale du chiffre souverain. Un film radical, contre l’abstractivité de l’information quotidienne et qui a le mérite de remettre chacun devant ses responsabilités.

 

La Loi du marché Stéphane Brizé 20 mai 2015

Vincent Lindon : Thierry
Yves Ory : le conseiller Pôle Emploi
Karine De Mirbeck : la femme de Thierry
Matthieu Schaller : le fils de Thierry
Xavier Mathieu : le collègue syndicaliste
Noël Mairot : le professeur de danse
Catherine Saint- Bonnet : la banquière
Roland Thomin : l’homme du couple acheteur du mobilhome
Hakima Makoudi : la femme du couple acheteur du mobilhome
Tevi Lawson : le formateur Pôle Emploi
Fayçal Addou : l’un des stagiaires formation Pôle Emploi
Dahmane Belghoul : l’un stagiaires formation Pôle Emploi
Florence Herry-Leham : l’une des stagiaires formation Pôle Emploi
Agnès Millord : l’une des stagiaires formation Pôle Emploi
Irène Raccah : l’une des stagiaires formation Pôle Emploi
Christian Ranvier : l’un des stagiaires formation Pôle Emploi
Cyril J Rolland : l’un des stagiaires formation Pôle Emploi
Sandrine Vang : l’une des stagiaires formation Pôle Emploi
Stéphanie Hurel : l’agent de sécurité no 1
Soufiane Guerrab : le jeune homme interpellé
Gisèle Gerwig : Gisèle, la femme partant à la retraite
Saïd Aïssaoui : le directeur du magasin
Rami Kabteni : l’agent de sécurité no 2
Eric Krop : le directeur du lycée
Françoise Anselmi : Madame Anselmi, la première caissière interpellée
Jean-Eddy Paul : l’agent de sécurité no 3
Samuel Mutlen : l’agent de sécurité no 4
Christian Watrin : le vieil homme interpellé
Guillaume Draux : le DRH
Sakina Toilibou : la deuxième caissière interpellée

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Thomas Moysan
Thomas Moysan est rédacteur en chef des Décloitrés, revue biannuelle de Sciences Po.

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