Pour son quatrième long métrage intitulé Les premiers les derniers Bouli Lanners, acteur et réalisateur belge, nous entraîne dans une histoire tragique et divertissante. Il y brouille complètement les cartes en invitant le spectateur à le suivre dans une vision faussée de ce qui pourrait être un road-movie à l’Américaine et se révèle être un concours de paumés. C’est tellement savoureux, esthétique et bien joué qu’en sortant on se demande encore ce qu’il y avait à comprendre… Mais quel excellent moment on a passé. 4 étoiles : recommandé

 

albert dupontelDeux chasseurs de prime, Gilou et Cochise, sont à la recherche d’un portable au contenu sulfureux. La fausse note américaine est donnée d’emblée, l’allusion à un grand chef apache comme à une profession peu répandue en France, mais courante aux États-Unis, plante un décor un peu truqué que tout viendra rendre plus imprécis.

L’errance des deux héros les mettra en contact avec un couple franchement à la dérive, à savoir Esther et son compagnon Willy, qui paraissent à deux, avoir assez d’idées pour un seul. Leur quête est simple, celle de se rendre chez la fille d’Esther, pour lui offrir un cadeau à l’occasion de son anniversaire. Histoire de nous déstabiliser encore plus, ces deux personnages évoquent une possible fin du monde et l’ambiance du film nous fait croire à la possibilité d’une telle issue. Leur errance suit la route de la piste de l’aérotrain entre Saran et Ruan, au nord d’Orléans, mais la caméra, mettant à profit l’aspect dépouillé des paysages, leur confère une dimension mythique, à l’instar des immenses plaines du Middle West.

bouli lannersBien entendu les deux quêtes, suivies en parallèle connaissent des succès plutôt mitigés et sont pimentées d’interventions brutales ou bizarroïdes. Entre un groupe de chasseurs haineux poursuivant leurs proies humaines comme dans « Délivrance », ou l’intervention d’un personnage curieux, portant des stigmates, et qui se fait appeler Jésus, il faut bien admettre que malgré le premier degré dramatique et l’ambiance quasi sépulcrale du film, on a bien du mal à se retenir de rire.

Côté acteurs, il n’y a vraiment pas de raison de se plaindre. Bouli Lanners et Albert Dupontel incarnent deux brutes plutôt sympathiques avec une remarquable exactitude. David Murgia et particulièrement Aurore Broutin, dans leur interprétation des deux zozos sont proprement époustouflants et dans le cas d’Aurore Boutin, profondément touchante. Même remarque pour le groupe des chasseurs où Serge Rabioukine et Lionel Abelanski, en vieux routiers, accomplissent leur tâche avec un talent vérifié de longue date. Mais, car il y a un mais ! La surprise la plus absolue nous viendra de l’improbable rencontre de deux monstres sacrés du cinéma, en la personne de Michaël Lonsdale, accompagné du non moins prodigieux Max von Sydow. Heureusement que nous sommes assis, car il y aurait de quoi tomber par terre. C’est vrai qu’ils paraissent un peu décalés, mais quel bonheur de les voir jouer le rôle d’un hôtelier octogénaire, pour le premier, ou celui d’un croque-mort, pas beaucoup plus jeune, pour le second.
michael lonsdale

Et puis, il faut l’avouer, tous autant qu’ils sont, ils ont de vraies « gueules » de cinéma. Si vous saupoudrez tout cela d’une excellente musique de Pascal Humbert (bassiste français « mythique » au sein de Tanit, Passion Fodder, Wovenhand, ou récemment Detroit, avec Bertrand Cantat), qui contribue beaucoup à cette divertissante imposture, vous n’arriverez pas à vous étonner de ce qu’un restaurant en bordure de nationale, affublé d’un ou deux néons clignotants, vous fasse croire à la route 66.

bouli lannersLa supercherie est bien organisée, car si vous y entrez, la présence, au fond, d’un billard où s’activent quelques mines patibulaires, deux ou trois routiers à casquette un peu à la dérive et ivres de fatigue, entre autres ivresses, tout vous conduit dans un ce ces « diners » qui bordent les routes américaines. Tout cela vous a un parfum de Bagdad café. Ultime pied de nez, s’il vous restait quelques doutes, ils seront balayés par les robustes mélodies d’un blues pur jus à la Muddy Waters qui vous ramèneront manu militari vers le rêve (ou le cauchemar) américain.

Vraiment rien à jeter dans ce film où, de toute évidence, Bouli Lanners projette ses fantaisies, son regard plein d’humour, celui d’un cinéaste qui veut bien parler d’Amérique, s’en moquer un peu, mais qui ne veut pas y aller, parce que franchement… merde, c’est bien trop loin et bien trop crevant !

Film Les premiers les derniers Bouli Lanners, Belgique, 27 janvier 2016, 1h38min

Sélection officielle au Festival de Berlin – section Panorama 2016

Réalisation et scénario : Bouli Lanners
Directeur de la photographie : Jean-Paul de Zaetijd
Décors : Paul Rouschop
Producteur : Jacques-Henri Bronckart
Société de production : Versus Production
Société de distribution : Wild Bunch Distribution
Bande originale : Pascal Humbert
Date de sortie : 27 janvier 2016

Distribution
Bouli Lanners : Gilou
Albert Dupontel : Cochise
Suzanne Clément : Clara
David Murgia : Willy
Aurore Broutin : Esther
Philippe Rebbot : Jésus
Michael Lonsdale : Patron de l’hôtel
Max von Sydow : Le croque-mort
Serge Riaboukine : Le chef
Lionel Abelanski : Le gardien de l’entrepôt
Virgile Bramly : Le « teigneux »
Dominique Bettenfeld : Le propriétaire du téléphone

bouli lannersPhilippe « Bouli » Lanners, né le 20 mai 1965 à Moresnet-Chapelle, est un comédien, scénariste, metteur en scène et réalisateur belge francophone. Après un bref passage aux Beaux-arts de Liège, Lanners entame une vie faite de petits boulots et de débrouille, tout en continuant à peindre. Régisseur pour les Snuls, ceux-ci l’emploient occasionnellement comme acteur et peu à peu en font un personnage récurrent. Il commence alors sa carrière d’acteur en Belgique et en France. En 1999, il écrit et réalise Travellinckx, un court métrage road-movie en super 8 noir et blanc, qui est projeté en festivals. Deux ans plus tard, le court métrage Muno est sélectionné à Cannes, à la Quinzaine des réalisateurs. Son premier long métrage, Ultranova, sorti en 2005 est primé au Festival de Berlin. Il tourne son deuxième long métrage Eldorado à l’été 2007, il sera sélectionné pour la Quinzaine des réalisateurs à Cannes 2008. L’année suivante, le film est nommé pour le César du meilleur film étranger.
Parallèlement, il donne des cours à l’INSAS à Bruxelles.

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Thierry Martin
thierry.martin [@] unidivers .fr

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