Le titre de leur film Dégradé n’a rien avoir avec leur coupe de cheveux… Avec leurs gueules de métèques, de Palestiniens errants, de pâtres grecs et leur pilosité façon Demis Roussos, Arab et Tarzan Abu Nasser ont défrayé la chronique dans le petit monde de la (Semaine de la) Critique à Cannes. Un bon retour qu’Unidivers entend amplifier et non dégrader.cinéma, film unidivers, critique, information, magazine, journal, spiritualité, movies

 

Dégradé
Arab et Tarzan Abunasser

L’un s’appelle Arab, l’autre Tarzan. Ces deux seigneurs du Levant n’ont pas d’autres lianes que celles du 7e art pour parler de la vie à Gaza. Ils s’en emparent en évitant « les sujets les plus médiatisés, comme le conflit israélo-palestinien. Tout le monde attend des Palestiniens qu’ils en parlent plus qu’ils ne parlent de leurs vies. La plupart des gens, hors de nos frontières, ne savent rien de la vie des Gazaouis et s’imaginent qu’ils ne connaissent que la souffrance. »

film dégradéIdem pour les femmes : « on se les représente voilées de la tête aux pieds et sans aucun point de vue sur le monde. Or, ici comme ailleurs, elles ont des joies, des peines, des problèmes quotidiens, des relations amoureuses et des opinions ». Où sont-elles ? Au salon de coiffure, bien sûr ! Ce gynécée des temps modernes offre un cadre idéal pour « aborder les questions existentielles sur le vieillissement, le rapport homme/femme, l’amour, la famille, bref, tout ce qui concerne la vie », même dans « un contexte aussi irrationnel et prohibitif que chez nous ». La réalisatrice libanaise Nadine Labaki, avait déjà fait ce choix en 2007 avec Caramel, film tourné dans un salon d’esthétique à Beyrouth.

Avec ses couleurs, ses miroirs, son mobilier, le décor représente pour les réalisateurs leur façon de voir Gaza : « un petit coin de paradis au milieu d’un monde en déliquescence ». Un monde très patriarcal, non ? « Nous pensons que les femmes ont dans notre société un rôle à jouer plus important que les hommes et qu’on ne leur accorde pas suffisamment de place ». Alors ils ont réuni treize archétypes de femmes : une bourgeoise, une religieuse, une étrangère qui a fini par apprécier Gaza et par s’y installer, et d’autres encore… Le salon de coiffure leur offre un havre de paix dédié au plaisir et à la beauté, mais au-delà de cette réalité, il privilégie l’expression libre, une forme de mise à nu impossible dans l’espace public.

film dégradé« Le film n’entend pas uniquement se concentrer sur l’occupation israélienne, mais aussi sur nos propres démons, notre propre identité. Qui sont les femmes palestiniennes ? Qui sont les Gazaouis ? Comment vivent-ils ? À quoi pensent-ils ? Quel est leur quotidien ? »

La manière d’ausculter cette société s’appuie sur un fait divers qui a fait jaser à Gaza en 2007 : l’opération « Libérez le lion », interventionfilm dégradé militaire du gouvernement islamiste en place, le Hamas, contre une famille armée des plus influentes de Gaza. Cette famille avait volé le lion du zoo et l’exhibait afin de montrer son pouvoir et son insoumission (c’est bien une idée de mecs !). Le Hamas décida alors de la neutraliser en utilisant le lion comme prétexte. L’opération se termina dans un bain de sang (jusqu’où peut aller la conn… humaine !).

Le film Dégradé se déroule dans un petit salon de coiffure (en face de la maison de cette famille) où une douzaine de femmes se retrouvent coincées, attendant la fin de l’affrontement. La question qu’il pose est : comment une population entière est-elle supposée se construire un futur quand elle vit sur un territoire piégé entre une occupatifilm dégradéon militaire et des divisions internes meurtrières ? L’humour noir et décalé fait ressentir l’enfermement dans lequel se trouve le peuple gazaoui.

« L’idée que ces personnages soient coincés entre ces murs était très importante », expliquent les frères Abunasser. « L’enfermement s’impose progressivement pour les femmes du salon. D’où le titre du film, Dégradé, qui est une coupe de cheveux en escaliers ; elle amène l’idée d’un crescendo, d’une avancée par paliers. Chaque élément a été pensé en “dégradé” : la narration, la lumière, les cadrages, le montage, le son, l’impact de la situation extérieure sur le salon… ». film dégradéLe huis clos est une symbolique de la situation de tous les Gazaouis qui regardent le monde extérieur sans pouvoir en sortir.

De toute façon, «où veux-tu aller ? » lance, désabusée, une des clientes du salon, « même si tu réussis à passer les trois checkpoints – celui du Hamas, celui du Fatah et celui d’Israël –, on finira par te prendre pour une terroriste et par t’envoyer en prison !». À travers leurs yeux (notamment ceux de la merveilleuse Hiam Abbass), le film dessine le portrait de toute une société, en explorant les notions de temps, d’espace et d’identité.

film dégradéLe film n’a pas été tourné à Gaza. Trop compliqué. Le duo a planté ses caméras dans la banlieue d’Amman, en Jordanie. Ils ont déniché un garage où ils ont construit le décor du salon, avec des parois amovibles pour faciliter les déplacements sur le plateau. « Les conditions psychologiques étaient très difficiles – précisent-ils – car au moment d’entrer en tournage, en juillet 2014, une nouvelle guerre s’est abattue sur Gaza. L’armée israélienne a tué des milliers de civils en trois semaines. À ce moment-là, il fut ardu pour film dégradénous de choisir entre parler de cette guerre ou garder notre sujet sur les conflits intrapalestiniens. Nous avons finalement décidé de garder notre sujet, parce que le plus important à nos yeux était de parler de la vie et non de la mort. Car c’est justement au moment où des hommes et des femmes de Gaza se faisaient tuer qu’il fallait plus que jamais parler de la vie de ces gens qui se faisaient tuer ! La mort est couverte par la télévision et les médias qui ne se préoccupent absolument pas de rendre compte de la vie quotidienne. Nous devions nous faire le porte-parole de cette vie qui, malgré tout, continue ».

Film Dégradé Arab et Tarzan Abunasser

film dégradéAvec (par ordre d’apparition) : Tarzan Nasser, Maisa Abdelhadi, Nelly Abou Sharaf, Hiam Abbass, Manal Awad, Mirna Sakhla, Wedad Al Naser, Dina Shebar, Victoria Balitska, Reem Talhami, Huda Imam, Raneem Al Daoud, Samira Al Aseer, Raya Al Khateeb. Date de sortie : septembre 2015.

En co-production avec Made in Palestine Project et Les Films du Tambour,
distribué par Le Pacte.
Avec le soutien de la Région Bretagne, du Doha Film Institute, du Hubert Bals Fund et en association avec le Breizh Film Fund. Co-production Mille et Une films.

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Marie-Christine Biet
Architecte de formation, Marie-Christine Biet a fait le tour du monde avant de revenir à Rennes où elle a travaillé à la radio, presse écrite et télé. Elle se consacre actuellement à l'écriture (presse et édition), à l'enseignement (culture générale à l'ESRA, journalisme à Rennes 2) et au conseil artistique. Elle a été présidente du Club de la Presse de Rennes.

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