99 Homes réalisé par Ramin Bahrani et inspiré d’une histoire vraie, liée à la crise financière sans précédent aux États-Unis, vient de sortir en France en VOD. Le e-cinéma serait-il en train de prendre le bon wagon en France ? Après le cas complexe de Made In France de Nicolas Boukhrief (déprogrammé suite aux attentats de janvier 2015 à Paris puis sorti uniquement en VOD), 99 homes aurait-il mérité de sortir sur grand écran ?

étoiles cinéma

 

 

99-homes-filmAutrefois « cantonné » au pur cinéma indépendant US,  Ramin Bahrani revient avec son sixième long-métrage, un film industriellement et institutionnellement « consistant » (en témoignent le casting et les nominations). 99 Homes a donc, semble-t-il, tout de la bonne surprise américaine. Une réputation de bête de festival, un thème et séduisant et un casting quatre étoiles. Le début du métrage nous fait entrer sans ménagement dans la danse. Après un prologue puissant où le travelling fait définitivement sens, le spectateur est en droit de se demander s’il n’est pas devant l’un des grands films de l’année. Ce mouvement de caméra engage dans un même espace deux personnages aux trajectoires diamétralement opposées. Il y a d’abord ce corps suicidé et meurtri d’un propriétaire expulsé et ruiné. Il y a ensuite cet agent immobilier, homme d’affaires accompli et costume impeccable qui ne semble éprouver aucun état d’âme. 99 Homes, dès son plan introductif, donne le ton : même si tout le monde est dans le même sac, il y a des gagnants et des perdants, dans une vision parfaitement horizontale. Ce film va, en fait, nous narrer une histoire américaine comme il y en a eu beaucoup pendant ces années noires qui commencent en 2006 pour exploser en 2007 : celles du marasme immobilier, des subprimes, des emprunts toxiques, des expropriations. L’histoire, au final, d’hommes et de femmes massacrés ou célébrés sur l’autel du tout économique. Terrible constat que ce seul plan propose : tant mieux pour certains, tant pis pour tous les autres. « Vous n’aviez qu’à payer vos traites, contracter moins de crédits, travailler plus » semble-t-elle rabâcher sans cesse à ses victimes comme pour mieux se dédouaner des ravages qu’elle cause. Surtout, ne répéterait-elle pas « Only The Strongest Survive » (seuls les plus forts survivent) comme une épitaphe d’un pays, d’une nation, d’une civilisation qui n’en ont littéralement plus rien à faire des citoyens « lambda » ? On est saisi par le cynisme de cet agent immobilier sans scrupule :

L’Amérique ne vient pas en aide aux vaincus, l’Amérique est bâtie sur les préceptes de la loi du plus fort, la victoire est la seule chose qui compte, c’est la devise d’une nation de vainqueurs, pour les vainqueurs, par les vainqueurs.

99 homesLes Américains ne savent alors plus à quel saint se vouer dans cette crise ravageuse. « God Bless America » (Que Dieu protège l’Amérique), l’Amérique peut-être, mais pas tous les Américains… C’est ce que va apprendre la famille d’Andrew Garfield dès la séquence suivante. Naturellement inscrite dans le processus du film, cette suite démontre une construction consciencieuse du film puisqu’elle n’est rien de moins que le parfait flash-back du plan initial et pose la problématique : quel(s) choix pour notre héros Dennis Nash ? Après avoir cerné les conséquences terribles de cette crise, le spectateur va alors pouvoir entrer au cœur du problème. Et de la Bête. Merveilleusement orchestrée au niveau des dialogues et des personnages (la famille, l’agent immobilier, les policiers, les voisins qui regardent), cette séquence est symptomatique des drames qui se vivaient dans un nombre incalculable de foyers américains. On tient, ici, un vrai geste de cinéma, sensé et signifiant, qui peut se placer en haut de la liste des intentions d’une cinématographie américaine représentant de manière plurielle la crise des années subprimes aux côtés, entre autres, de The Company Men du toujours intéressant John Wells ou du Loup de Wall Street de Martin Scorsese. Point de réussite supplémentaire, et on sait déjà Michael Shannon charismatique, l’une des forces de 99 Homes réside dans la prestation d’Andrew Garfield. Lui qui a su s’insérer dans des projets forts (Never Let Me Go de Mark Romanek, un peu ; The Social Network de David Fincher, beaucoup), mais dont la carrière semblait ne pas s’affranchir de son rôle de Peter Parker dans la ridicule franchise des Amazing Spider-Man, trouve en Ramin Bahrani un directeur d’acteurs compétent. Solidement investi, l’acteur fait mouche dans sa composition de héros de la classe laborieuse qui tente coûte que coûte de sauver sa famille autant au niveau matériel que dans la dignité d’exister. Les costumes sont travaillés (une casquette, idée simple et lumineuse, le Tom Cruise de La Guerre des mondes n’est pas loin), les enjeux également (la problématique des outils, vrai sujet de fond).

99 homesProblème, ces vingt premières minutes très intenses ne vont pas trouver d’ancrage dans le reste du film. La faute en revient à une trajectoire typique du Rise And Fall (l’ascension et la chute) pas loin d’être futile, tant le spectateur l’appréhende avec trop d’aisance. Si le point de départ d’Andrew Garfield (il a tout perdu) est d’une facilité confondante, le cheminement va osciller entre le très bon (les magouilles autour du matériel pour récupérer de l’argent de la banque et de l’État fédéral [avec ce fonctionnement des rachats-ventes-subprimes à l’américaine très particulier], preuve d’une recherche documentaire sérieuse) et le pathétique [la fête pour célébrer un gros contrat, instant complètement déplacé même si le gobelet de rouge a été évité]. Globalement, les tentatives de rattrapage voudraient être bien présentes, mais elles vont, petit à petit et irrémédiablement, s’effacer. Cette dualité dans le traitement scénaristique prouve, finalement, que derrière une conscience affichée, le réalisateur n’a, parfois, pas grand-chose à raconter. Et qu’il doit tomber dans les archétypes d’une lourdeur palpable pour pouvoir tenir son projet jusqu’au bout. Quel dommage tant 99 Homes pouvait aller, au regard de la fertilité de son terreau et de la précision de son sujet, dans une direction excitante.

99 homesSi le scénario ne tient pas toujours la dragée haute, on pourrait également en dire autant de la mise en scène. Si la banlieue, terrain typique de ces expropriations, reste au cœur du film, sans doute qu’une proposition globale de réalisation aurait pu être de bon augure. Deux ou trois plans aériens pourtant parfaitement symptomatiques dans l’évolution verticale du monde, notamment lors de ce vol et de cette négociation en hélicoptère, comble du cynisme de ces visions zénithales où le puissant regarde le peuple qu’il contrôle, sont bien présents. Petit à petit, les puissants étendent ce contrôle : le capitalisme dans toute sa splendeur et toute son horreur. La prise de position est louable. Pourtant, celle-ci ne trouve pas de concrétisation au sol tant la proposition reste esseulée alors que les maisons se succèdent, gratuitement, au gré des coupes de montage tout au long du film. La banlieue est en fait filmée platement alors qu’elle aurait dû être scrutée attentivement. De même, les pavillons sont représentés sur un niveau identique que les belles demeures bourgeoises. Ces habitants ne méritent-ils pas de ce respect que le personnage d’Andrew Garfield cherche pourtant à ramener pour sa famille ? Cette sécheresse pourrait, néanmoins, faire sens. Si l’on se rappelle du premier plan. Pas de pitié, en somme, chez les Américains. Advienne que pourra ! Pourtant, et c’est là que bât blesse, des doutes subsistent. Comme si le cinéaste n’avait pas su faire de choix dans la morale de cette histoire. Reste alors un dernier plan qui viendra lever le doute sur la position du cinéaste, mais cette action est bien trop facile. Elle est, surtout, le prolongement de la problématique, importante dans le cinéma américain, d’être ou de ne pas être moral. Il n’y a, évidemment, pas de réponse toute faite (Friedkin est tout aussi bon que Redford pour faire dans la comparaison facile), mais des directions sont à prendre, directions que Ramin Bahrani évite, perdu dans ses propres choix et, peut-être, dans sa propre ambiguïté. Reste tout de même un film d’acteurs convaincants et une thématique puissante. Au festival de Deauville, le réalisateur dira à propos de Michael Shannon et de son rôle

 C’est le diable qu’on aime, ou qu’on déteste, mais qu’on va finir par aimer… Il est corrompu, mais on le comprend

mais pourtant rien n’est moins sûr, comment dénoncer un système en ayant de la compassion pour les hommes qui y contribue ? 99 Homes aurait pu être la bonne surprise américaine, mais malgré des qualités évidentes, le projet n’arrive pas à suivre certains des non-choix de Ramin Bahrani. La fin est en suspens, laissant au spectateur un goût d’inachevé : que décidera la justice américaine, sans pitié tout au long du film, pour nos protagonistes ? Intéressant à défaut d’être passionnant, on préférera attendre une nouvelle incursion dans la crise pour finir de se révolter.

 Film 99 Homes Ramin Bahrani, Noruz Films, sur les écrans 2015, e-cinéma 18 mars 2016, 112 min

 

LISTE ARTISTIQUE
Dennis Nash ANDREW GARFIELD
Rick Carver MICHAEL SHANNON
Lynn Nash LAURA DERN
Connor Nash NOAH LOMAX
Frank Green TIM GUINEE
Mr Freeman CLANCEY BROWN

LISTE TECHNIQUE
Réalisateur RAMIN BAHRANI
Scénaristes RAMIN BAHRANI
AMIR NADERI
BAHAREH AZIMI
Producteurs ASHOK AMRITAJ
RAMIN BAHRANI
KEVIN TUPPEN
JUSTIN NAPPI
Producteurs exécutifs MOHAMED AL TURKI
RON CURTIS
ANDREW GARFIELD
MANU GARGI
ARCADIY GOLUBOVICH
Image BOBBY BUKOWSKI
Montage RAMIN BAHRANI
Décors ALEX DIGERLANDO
Musique ANTHONY PARTOS
& MATTEO ZINGALES
Costumes MEGHAN KASPERLIK
Casting DOUGLAS AIBEL
& TRACY KILPATRICK

Festival du film de Telluride 2014
Festival international du film de Toronto 2014 : sélection « Special Presentations »
Festival international du film de Venise 2014 : sélection officielle
Gotham Awards 2015 : meilleur acteur pour Michael Shannon
Golden Globes 2016 : meilleur acteur dans un second rôle pour Michael Shannon
Screen Actors Guild Awards 2016 : meilleur acteur dans un second rôle pour Michael Shannon

ramin bahrani

Ramin Bahrani, né le 20 mars 1975 à Winston-Salem en Caroline du Nord, est un réalisateur américain d’origine iranienne.

Il a réalisé 6 longs-métrages, malgré de nombreux prix, 5 n’ont pas été distribués en France et le sixième, 99 homes, n’est disponible qu’en VOD.

 

 

 

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