Un dimanche après-midi ensoleillé a certainement favorisé l’affluence qu’a connue la 6e édition de Rue des Livres entre 14h30 et 17h30. Assez pour rattraper un samedi morose et un dimanche matin à l’avenant ? Sans doute non. Selon des estimations officieuses, cette nouvelle mouture accuserait un repli par rapport à l’année dernière, on parle de 8000 visiteurs. Les raisons ? Certes, les giboulées de samedi n’ont pas contribué à aiguiller les Rennais vers le quartier de Maurepas, rue Guy Ropartz, où se déroule l’événement. Mais l’argument météorologique ne saurait cacher des explications… climatiques.  

Tout le monde s’accorde à reconnaître que l’atmosphère du festival est sympathique. Un des invités-vedettes, Bernard Minier (voir nos articles ici et ), déclare « affectionner tout particulièrement ce petit festival de province, loin de l’ambiance impersonnelle, froide et quasi industrielle des grands salons comme celui de Versailles qui aura lieu du 22 au 25 mars ». « En revanche – nous confie l’un des autres écrivains non rennais présents aux dédicaces – certes, on sait que Rennes rime avec ‘cheap’, mais bon, appelez les salles du festival par les doux noms de ‘baraquements’ et ‘tentes’, cela n’engage pas trop les écrivains non locaux à venir à l’événement. Et, quand bien même l’équipe de l’organisation est pleine de bonne volonté, on nage en plein amateurisme : on se dirait plus dans une braderie de livres que dans un festival littéraire ».

Amateurisme, voilà sans doute l’un des qualificatifs qui revient le plus souvent dans la bouche des participants comme des visiteurs. De fait, il est patent que l’ensemble manque de… cohérence. Il suffit de lire en amont la présentation de la thématique de cette 6e édition pour s’en convaincre.

La thématique en 2013 : « Multitude (s) »

« Multitude(s) » est un terme ouvert et dynamique qui englobe toutes les composantes des agglomérations humaines. Les multitudes sont fondamentalement globales, tous les secteurs sont confondus. Si le peuple peut être personnifié, la multitude évoque obligatoirement une agrégation de singularités en capacité de faire ensemble. Ce terme est adapté à une post modernité qui crée collectivement des connaissances, des infos, des réseaux de communication, des relations sociales, etc. »

Une telle définition… générale pourrait être associée à tant et tant de termes : de pluralisme à diversité, en passant par mixité, intégration, urbanité(s), etc. Par ailleurs, « le peuple peut-être personnifié » sonne comme une invitation à une réflexion sur le concept de Nation et le rapport des élites dirigeantes avec les couches populaires… Une problématique qui n’a jamais été abordée dans ce salon, lequel se situe sur d’autres versants. Mais peut-on parler d’un salon ?

Où mène Rue des Livres ?

Le site internet l’affirme, « c’est un festival qui met en avant la place de la ville dans la littérature, et qui s’intéresse, plus particulièrement, aux relations qui s’établissent entre la ville et ses habitants. » Outre le caractère là encore bien général de cette mission, la réalité du festival apparaît tout autre. Dans des baraquements se presse un ensemble hétéroclite composé d’écrivains, éditeurs et libraires rennais et non rennais dont les préoccupations variées semblent souvent tout à fait étrangères à « la place de la ville dans la littérature ». Une fois pris acte que ce brouillon de salon littéraire ne correspond pas à sa thématique (qui trop embrasse mal étreint), où le bât blesse-t-il ?

Certes, les dysfonctionnements et autres couacs sont allés bon train, notamment dans l’organisation des tables rondes et autres conférences (bien qu’elles furent cette année autrement réussies que l’année dernière). Certes, les défections d’auteurs furent nombreuses. Mais le fond du problème ne repose pas dans cet amateurisme qui conduit l’un des libraires patentés de la place rennaise à cette interrogation lapidaire : « Ne serait-il pas temps de décider si, oui ou non, Rue des Livres est un salon professionnel ? » De fait, nombre de paramètres sont à revoir : le choix de la date, la gradation entre invités méconnus, connus ou célèbres, l’organisation de la manifestation, la scénographie des lieux et, peut-être, tout simplement, le lieu.

Deux solutions

Ce qui manque, ce qui manque cruellement à Rue des Livres, c’est une vision. Une fois mise de côté la sacro-sainte politique de médiation socio-culturelle qui a fait les beaux jours de la démagogie conceptuelle promue par nombre d’élus de gauche et de droite depuis des lustres, ce festival achoppe sur la question de son destin et de son ambition.

Première solution, Rue des Livres est un festival microlocal centré sur l’objet culturel littéraire dans son inscription rennaise, voire transurbaine (des livres, conférences, praticiens, éditeurs, etc. de France et de Navarre qui travaillent la dimension de l’hyperlocalité). Pourquoi pas ? Cela ne pourra qu’aider nombre de structures, notamment les librairies, qui sont – faut-il le rappeler – les commerces qui jouissent des marges les plus faibles. Rien que de promouvoir les acteurs départementaux, dont plusieurs étaient présents ce week-end, s’affirme un projet tout à fait louable. Les écrivains locaux sont nombreux, les libraires ont besoin d’être épaulés (voir les dernières fermetures à Rennes) et que dire de ces petits éditeurs qui font souvent un travail de bénédictin (par exemple, Folle avoine, La part commune, Les Penchants du Roseau ou, dans une autre mesure, la Rennaise d’édition) ? Il conviendrait alors d’éliminer la barbe à papa des participants disparates qui ne servent pas cet objectif.

Seconde solution, Rue des Livres désire rayonner comme un salon littéraire à vocation nationale, voire internationale. Autrement dit, devenir un événement culturel au service de la visibilité de Rennes, laquelle en manque cruellement, malgré les fonds dépensés par la Ville d’une façon parfois hasardeuse.

Bref. Soit Rue des Livres se redéploie comme un événement départemental qui promeut les acteurs territoriaux du livre. Un dessein honorable, mais qui demanderait que certains acteurs soient un peu plus actifs. Soit il s’agit de promouvoir un festival national avec une ligne cohérente conçue dans ce dessein.

Dans le cas contraire, le destin de Rue des Livres est de demeurer larvaire. Peut-il en être autrement compte tenu de la frilosité politique locale autour du livre et l’effacement des porteurs de projet ? Certains osent affirmer que le livre n’intéresse pas la Ville de Rennes, à part quand il parle d’elle. Plusieurs auteurs l’auraient bien compris…

Des propositions ?

Elles sont pléthores. Pour commencer, il conviendrait, en termes fonctionnels, de laisser les acteurs rennais concernés devenir réellement acteurs de cette manifestation au sein d’un comité de pilotage efficace. Ensuite, pourquoi, par exemple, ne pas dédier ce festival à l’activité littéraire (entendu au sens large) propre à notre région européenne ? Autrement dit, les pays celtiques. Des écrivains, éditeurs et libraires (voire des documentaristes, réalisateurs et reporters) originaires, vivant ou traitants de l’Écosse, du pays de Galles, d’Irlande, de Cornouailles, de Bretagne et même de l’île de Man, il y en a assez pour remplir quelques festivals !

Ce grand rendez-vous annuel celtique polyglotte n’est qu’une idée parmi tant d’autres susceptibles de conférer une vision féconde, de la lisibilité nationale et de la visibilité internationale, à cet objet culturel rennais actuellement mal défini. Bref, un territoire de destin à la mesure de Rennes : grand, mais pas démesuré. Des efforts importants à faire, mais réalisables.

Comment faire ?

 Une fois mise entre parenthèses la question – pourtant fondamentale – du manque d’ambition de Rennes qui, malgré nombre de bonnes volontés et de forces créatrices présentes sur son territoire, étrangement s’autocastre, certains suggèrent de limoger l’équipe qui pilote le festival. De fait, le salon bruissait ce dimanche de la rumeur : la direction serait en passe d’être désavouée. Est-ce la solution ? Est-ce la solution alors qu’aucun projet viable n’a été présenté à la place ? L’actuelle association, une fois étoffée par un comité de direction à hauteur de son ambition – d’un côté, organisationnel et, de l’autre, culturel et artistique – ne pourrait-elle pas y répondre efficacement ?

Bien sûr, on imagine déjà quelques sociétés se réjouir à la perspective de ramasser le marché. Les texto sont allés bon train aujourd’hui… Reste que le passage d’une association à une société privée va se solder par une facture autrement plus salée. 800 000, 900 000, 1 000 000 € ? Bien sûr, il suffirait de mettre fin à cette hyperbole bouffie – financière, intellectuelle et médiatique – que constitue le Forum Libération (voir notre article) pour récupérer les fonds nécessaires. Mais à Rennes, les subventions accordées par les élus ne favorisent pas toujours les projets de qualité. Encore moins les visionnaires.

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Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il a créé en 2011 le magazine Unidivers dont il dirige la rédaction.

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