L’exposition le Faux Bourdon de Martin Le Chevallier est à ne pas manquer. Présentée à Rennes aux Champs Libres, salle Anita Conti, du 22 novembre 2016 au 22 janvier 2017, l’installation de cet artiste-plasticien a la puissance des grandes œuvres. Elle contient dans sa forme – ici textuelle et vidéo – une infinité de messages, interprétations et représentations. En bref, le faux bourdon parle des drones. En question, la société contemporaine et sa manière de faire la guerre et de façonner le monde. Entretien avec l’artiste Martin Le Chevallier qui n’a pas pour autant le bourdon.

 

Martin Le Chevallier
Martin Le Chevallier

Le Faux Bourdon se présente comme une installation vidéo. Martin Le Chevallier ne s’est pas contenté d’un écran, mais plutôt d’investir littéralement la salle d’exposition des Champs Libres.

Six écrans sont disposés comme dans une sorte de cockpit à partir duquel on dirigerait des drones. Car l’œuvre de Martin Le Chevallier parle des drones de combat. Une femme récite un texte en même temps qu’un paysage défile lentement. L’histoire est celle d’une joueuse :

« Elle pensait au délai de quelques secondes entre le tir et l’impact. Durant ce délai, il était arrivé qu’elle aperçoive des silhouettes qui courraient. Et parfois, ces silhouettes étaient celles d’enfants. Mais heureusement, tout cela n’était qu’un jeu. Un vaste jeu multi-joueurs ».

Le premier paradoxe – celui d’une porosité entre jeu vidéo et direction d’un drone – invite le spectateur à questionner la virtualité de ces guerres nouvelles et leur dimension étrangement ludique. Le second paradoxe consiste à présenter le panorama splendide d’une région du monde exsangue et bombardée.

Politique et farouchement contemporain, le Faux Bourdon de Martin Le Chevallier allie puissance esthétique de l’art et réflexion théorique de la géopolitique. À voir absolument !

 

faux bourdon Martin Le ChevallierU : Pouvez-vous parler du dispositif de cette installation ?

Martin Le Chevallier : L’idée était d’évoquer les écrans où l’on dirige les drones, mais en les épurant. Il y a un changement d’échelle : au lieu d’être dans une position habituelle, c’est-à-dire un rapport où l’on est face à des écrans, le spectateur se trouve face à quelque chose de monumental. On est dominé par ces paysages.

U : On a l’impression de les survoler, en quelque sorte ?

faux bourdon Martin Le ChevallierMartin Le Chevallier : Oui, cela crée même un effet d’optique. On a l’impression que c’est le bâtiment qui bouge. Ce que l’on voit se trouve au Pakistan. Ce sont des montagnes, des zones tribales au Pakistan, un des endroits où il y a le plus de bombardements, d’attaques civiles par des drones. Comme ce sont des écrans HD, le spectateur peut voir le détail. On voit des maisons, par exemple. Et l’on voit clairement des traces de bombardement.

U : Comment avez-vous obtenu ces images ?

faux bourdon Martin Le ChevallierMartin Le Chevallier : Ce sont des images libres de droit. En l’occurrence d’un satellite français. Ce sont des photos satellites disponibles sur Google Earth. J’avais envisagé différentes choses, d’utiliser des images de jeux notamment. Petit à petit, je suis arrivé à ce résultat. Je voulais cette épure-là. Le texte dit déjà que c’est une joueuse. J’ai envisagé d’avoir des vues aériennes. Mais ce n’était pas satisfaisant. Je me suis souvenu que j’avais beaucoup aimé, en découvrant Google Earth, me balader dans des régions du monde, survoler diverses latitudes. J’ai voulu retrouver cette sensation.

faux bourdon Martin Le Chevallier
Ken Lund – CC BY SA

U : Vous avez écrit vous-même le texte qui accompagne la vidéo. Avez-vous travaillé à partir de certaines recherches ?

Martin Le Chevallier : Oui. C’est une question qui m’intéressait. Je me suis documenté à partir d’articles de presse. Quand j’ai eu l’idée du projet, je n’avais pas encore lu Théorie du drone de Grégoire Chamayou. Après lecture, cela a confirmé mes hypothèses. J’ai un peu complété mon texte avec ce livre.

U : Le texte raconte une histoire, n’est-ce pas ?

Martin Le Chevallier : J’aime bien pratiquer ce travail, faire des fables, du collage. Mon travail est toujours traversé par des questions politiques. J’ai souvent du texte. J’aime aussi les interventions in situ. Raconter une histoire, la diffuser, face à un support qui est un contrepoint à ce que l’on écoute. Faire travailler l’imaginaire.

U : Quel est le cœur de votre message ?

faux bourdon Martin Le ChevallierMartin Le Chevallier : Les trois principales questions, ce sont : les guerres à distance, qui est le sujet principal avec le fait que ce soit des exécutions extra-judiciaires. Ensuite, la fable que je raconte prend principe sur le travailleur insoupçonné, une personne qui croit jouer et en fait accomplit un acte de guerre. Travail du consommateur et jeux vidéos : ces deux questions sont au service du propos principal, qui est l’évocation de cette forme de guerre.

U : Est-ce un paradoxe, de montrer un paysage splendide, mais traversé par des bombardements ?

Martin Le Chevallier : Je pense que cela donne de la force au propos. Le contraste entre cette grâce et les actes criminels qui sont accomplis. Spontanément, j’ai voulu du désert, je pensais à l’Irak. Mais je trouvais bien d’avoir des montagnes semblables à celles que connaît la joueuse, et semblables à celles que l’on trouve chez nous. Des montagnes, des prairies, des routes. Il y a une proximité. J’ai choisi une partie de cette région de manière à ce que ce soit beau, pour des raisons graphiques. Il y a quelque chose de pictural, de presque abstrait. Comme un tableau.

Le Faux Bourdon de Martin Le Chevallier : une exposition présentée aux Champs Libres du 22 novembre 2016 au 22 janvier 2017.

Horaires : 12 h à 19 h du mardi au vendredi ; 14 h à 19 h le samedi et le dimanche. Adresse et plan :Les Champs Libres / 10 cours des alliés – 35000 Rennes, France. Métro : Charles de Gaulle

Samedi 10 décembre à 15 h 30 : Drones et guerre à distance avec Thomas Hippler, historien et philosophe. Salle de conférences Hubert Curien.

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Biographie (voir le site internet de Martin Le Chevallier)

Né en mai 68, Martin Le Chevallier développe, depuis la fin des années 90, un travail portant un regard critique sur les idéologies et les mythes contemporains.

Sa première pièce, le cédérom Gageure 1.0 (1999), une mise en forme labyrinthique du discours de l’entreprise, le conduit à explorer les possibilités de l’interactivité. Il conçoit ainsi des jeux (Flirt 1.0, 2000, un jeu de séduction constitué d’extraits de films noirs américains, puis Vigilance 1.0, 2001, un jeu de vidéosurveillance), et des vidéos interactives. Lors de sa résidence à l’Académie de France à Rome en 2000-2001, il réalise ainsi Félicité, évocation d’une société utopique et oisive, puis Oblomov, adaptation minimale du roman de Gontcharov. Ce cycle de vidéos interactives se clôt avec Le Papillon (2005), récit d’une existence bouleversée par l’impatience du spectateur.

Les représentations qu’il propose de notre époque sont souvent constituées des outils et des processus qui la caractérisent. Il évoque ainsi les pathologies consuméristes par un serveur vocal téléphonique (Doro bibloc, 2003) ou l’utopie sécuritaire par une bande-annonce de ce qui nous attend (Safe society, 2003). En 2007, il réalise pour la Fiac un « article de foire », un polyptyque en bois peint rendant un hommage ironique à la politique de Nicolas Sarkozy (NS).

Il s’emploie depuis à fonder ces représentations sur une interférence avec la réalité. C’est ainsi qu’il a demandé à un cabinet de consulting de lui proposer une stratégie de conquête de la gloire (L’audit, 2008), qu’il s’est rendu en procession à Bruxelles pour y présenter un drapeau européen miraculé (The Holy Flag, 2009) ou qu’il a entrepris de sécuriser un bassin du jardin des Tuileries à l’aide de petits bateaux de police télécommandés (Ocean Shield, 2009). Dans le même esprit, il travaille à convertir la réalité en fiction: en installant un télescope touristique au-dessus d’un hypermarché (exposition « ralentir ses battements de paupières », 2010) ou en disposant des gradins d’amphithéâtre dans la vitrine de sa galerie, suggérant ainsi que la ville est un théâtre (Solipsisme n° 1, 2011). En 2014, il a répondu à l’appel à projets pour le pavillon français à la biennale de Venise 2015, en proposant de vendre ledit pavillon et de construire avec l’argent obtenu une île flottante et cosmopolite.

En contrepoint à ces projets contextuels, il poursuit un travail plus cinématographique. Ainsi L’an 2008 (2010), à la fois film et installation, propose un récit picaresque de la mondialisation, Le jardin d’Attila (2012) nous promène parmi d’autres mondes possibles et Münster (2016) relate le destin tragique d’une utopie communiste au XVIe siècle.

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