Faits divers : l’art du fragment au MAC VAL et en catalogue

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À l’occasion de ses vingt ans, le MAC VAL (Musée d’art contemporain du Val-de-Marne) a proposé une exposition fascinante, Faits divers – Une hypothèse en 26 lettres, 5 équations et aucune réponse, à Vitry-sur-Seine du 15 novembre 2024 au 14 avril 2025. Cet événement remarqué a donné lieu à la publication d’un riche catalogue aux éditions In Fine, véritable prolongement critique et esthétique de l’expérience d’exposition.

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Pensé comme un ouvrage autonome autant qu’un complément éclairant, ce catalogue prolonge l’enquête artistique autour du fait divers en adoptant la même méthode : fragmentaire, spéculative, ouverte.

Le fait divers : matière brute et poétique

Le projet trouve son inspiration dans la lecture de Roland Barthes, pour qui « le fait divers est un récit sans conséquence, détaché de toute causalité historique ». De cette base théorique, l’exposition et le livre construisent une traversée : vingt-six lettres comme autant d’entrées thématiques, cinq équations comme tentatives — volontairement inabouties — de formuler des liens.

Avec une exigence intellectuelle rare, le catalogue explore cette notion de fait divers non comme événement sensationnel, mais comme structure flottante, symptôme de l’opacité du monde. Comme le rappelait Barthes encore, « Ce qui caractérise le fait divers, c’est qu’il est un langage vidé de son pourquoi » : le fait divers devient ainsi, dans ce projet éditorial, un modèle de lecture du contemporain, un espace de latence et de conjectures.

Un livre conçu comme une extension de l’expérience muséale

Les éditions In Fine signent ici un objet éditorial soigné et ambitieux : 260 pages riches en œuvres commentées, en essais denses et en fragments critiques. Le catalogue ne se contente pas de documenter ; il recrée la dynamique propre de l’exposition, son « enquête sans fin », en variant les registres (analyse d’images, textes théoriques, notices sur les artistes, extraits littéraires).

Chaque double page invite à une exploration discontinue, à l’image de l’exposition elle-même. Le lecteur est confronté à des œuvres qui, loin de produire un discours explicatif unifié, déploient une multitude de pistes et de récits fragmentés.

À travers cet ensemble, Faits divers propose une méditation sur le statut de l’image, sur la mémoire des événements infimes, sur la disparition des causes. Dans Le Plaisir du texte, Barthes écrivait : « Le texte est un tissu de citations issues des mille foyers de la culture » ; ce catalogue en est l’illustration parfaite, tissant la photographie, la performance, la sculpture et l’installation dans une trame polyphonique.

Un hommage à la complexité du réel, au fragment et à l’indécidable

Faits divers – Une hypothèse en 26 lettres, 5 équations et aucune réponse constitue un hommage vibrant au pouvoir du fragment, du discontinu, de l’ellipse. Dans un monde saturé de récits clos et de solutions rapides, le MAC VAL a offert un espace rare : celui de l’incertain, du provisoire, de l’inexpliqué.

C’est aussi, plus discrètement, une réflexion sur l’art lui-même : que peut l’art face à l’énigme de la vie ordinaire, à la trivialité tragique des existences anonymes, à l’impossibilité de tout dire ? Sans jamais céder à la tentation du pathos ni du spectaculaire, l’exposition nous rappelle que le fait divers, loin d’être un objet mineur, est l’un des lieux où se lit la poésie secrète de notre contemporanéité.

faits divers

Par son ambition intellectuelle et sa qualité éditoriale, Faits divers – Une hypothèse en 26 lettres, 5 équations et aucune réponse s’impose comme bien plus qu’un catalogue d’exposition : c’est un ouvrage de pensée sur l’art contemporain, un manifeste silencieux en faveur de l’incertitude. Dans une époque tentée par l’explication rapide et les narrations closes, cette exposition et son livre rappellent combien le fragment, l’énigme et la dérive demeurent essentiels pour comprendre notre rapport au réel.

Un ouvrage fort précieux pour quiconque s’intéresse aux nouvelles formes de narration artistique, aux enjeux du document dans l’art contemporain, ou à la façon dont l’infra-ordinaire continue de hanter la création.