Fabien Toulmé est un dessinateur que nous apprécions particulièrement à Unidivers. Après la publication de son dernier album Suzette l’envie était forte de le rencontrer. Souhait exaucé et entretien passionnant à Saint-Malo au festival Quai des Bulles avec un dessinateur attentif à la beauté du quotidien.

Il est grand. Massif. Calme. Imposant. Puisque il faut utiliser des raccourcis pour attirer l’intérêt immédiat du lecteur, nous écrirons que Fabien Toulmé est comme ses BD, marquantes de ces dernières années, Ce n’est pas toi que j’attendais, L‘Odyssée d’Hakim et son dernier album Suzette : un coeur tendre dissimulé dans un grand gaillard. Rencontre avec ce monstre de gentillesse, dans une salle ouverte sur la mer, baignée de lumière, où l’on croit apercevoir par la vitre le camion de Suzette longer la rive. Sans le bleu de la couverture de ce magnifique album mais avec les iles malouines en fond. Tendez l’oreille, la voix est calme et reposante. Comme le dessinateur.

fabien toulmé

Unidivers : Tendresse est-il un mot qui définit bien vos albums récents ?

Fabien Toulmé : (hésitation). En fait comme je suis l’auteur j’ai du mal à être en même temps le récepteur et avoir totalement conscience de ce que je transcris. Ce qui est certain c’est que lorsque j’écris des histoires et dépeins des personnages, j’ai effectivement beaucoup de tendresse pour eux. Ils sont pour moi alors des amis, des membres de ma famille ou … ma grand-mère comme Suzette. « Tendresse », oui cela me va bien.

Fabien Toulmé
Fabien Toulmé au festival Quai des bulles à Saint-Malo (Photo de l’auteur issue de sa page Facebook)

U: Vous êtes venu à la BD tardivement. Quel a été votre parcours préalable ?

Fabien Toulmé : J’ai été ingénieur génie civil pendant 12 ans sans jamais trouver mon bonheur. J’ai beaucoup voyagé, très déconnecté de la bande dessinée, avec une vie d’expatrié. J’ai été au Brésil, gérant d’entreprise, il me restait 35 ans à bosser avant la retraite et je me suis dit si je ne fais pas ce que j’aime maintenant la suite va être longue.

U: Pourquoi la BD ?

Fabien Toulmé : C’est vraiment quelque chose qui me plaisait depuis tout gamin. Je lisais beaucoup d’albums et je faisais déjà, plus que des dessins, de vraies BD sur ces papiers d’imprimantes perforés en accordéon. Je réalisais des frises de BD sur ces longues feuilles. Ce n’était pas le dessin pour le dessin mais plutôt pour raconter des histoires.

bd l'odyssee d'hakim

U: Vos histoires justement traitent souvent de bouleversements de vie : la mort, la naissance.

Fabien Toulmé : Là aussi, pour moi c’est probablement inconscient. Reliant maintenant mes récits avec le recul je me dis que mes histoires sont avant tout des histoires dans lesquelles mes personnages se relèvent de moments compliqués dans la vie, ces moments auxquels nous sommes tous confrontés lors de nos existences. On peut tous transformer ces difficultés de tristesse, de détresse en une grande force. Ma personnalité est en fait assez optimiste, d’humeur assez constante. Je ne peux pas me renier et même sans le rechercher mon caractère ressort obligatoirement dans mes histoires.

U: Si je dis que dans roman graphique, chez vous, le terme « Roman » prédomine, qu’en pensez-vous ? Concevez-vous un album avant tout comme un scénario écrit ?

Fabien Toulmé : C’est difficile de dire avec des mots ce qui se produit au départ. C’est un peu mystérieux, même pour moi. En essayant de schématiser les étapes c’est d’abord une thématique qui me vient comme cela, sans avoir l’idée d’en faire un livre. Et peu à peu cette thématique commence à prendre de l’ampleur. S’entremêlent alors des situations. Ce mixage progresse et je bâtis finalement des images. Je note beaucoup de choses dans ce que j’appelle un « bazar à idées », j’ouvre un fichier sur l’ordinateur et je note des choses qui n’ont parfois rien à voir. J’entends deux personnes sur la plage et je note que ce qu’ils se disent est génial. Ou bien je vais voir une peinture et je vais transcrire mes émotions par rapport à ce tableau. Tout cela va s’incorporer peu à peu dans une histoire qui mûrit et se construit.

U: Vous passez alors au scénario?

Fabien Toulmé : Quand je passe à l’élaboration du récit, cela est assez rapide car dans ma tête tout est en place. Pour le coup le « roman écrit » n’est pas la réalité. Il y a beaucoup trop d’images dans ma tête. Je fonctionne beaucoup plus par l’image que par le mot. Inversement si je voulais écrire un roman je pense que j’imaginerai d’abord des plans, des scènes que je retranscrirai ensuite par des mots même si je prends énormément de plaisir aligner des phrases.

BD SUZETTE GRAND AMOUR

U: Suzette est un road-movie lent. Vous laissez le temps au temps.

Fabien Toulmé : J’aime beaucoup, même au cinéma, les histoires qui mettent du temps et laissent la place au silence et lorsque vous me parliez de tendresse, d’intimité avec mes personnages, je pense que c’est lié à ce temps laissé, abandonné. Faire durer un repas, décrire des choses qui ne sont pas utiles dans l’avancée du récit, cela instaure un climat, une ambiance, affine le caractère d’un personnage.

U: Le dessin participe aussi à cette temporisation ?

Fabien Toulmé : J’ai un style de dessin qui me permet par sa rapidité d’exécution, de laisser cette liberté d’étaler des scènes sur plusieurs pages. Des fois je trouve beau de grands moments de silence des moments de contemplation. On est dans les pas d’un personnage, on partage ce qu’il voit, ce qu’il ressent. Je suis heureux si j’arrive à installer une atmosphère, à traduire des échanges, une petite anecdote, une blague. Deux amoureux sous la douche en même temps, cela fait tellement partie du quotidien que cela me plait de le dessiner et cela dit beaucoup de choses en fait.

U: Tendre mais aussi dessinateur du quotidien alors ?

Fabien Toulmé : Ah oui (rires). Cela me convient totalement. J’aimerais pourtant dessiner une autre époque, mais je ne sais pas si j’arriverais à le faire. Il faut être beaucoup plus précis dans les recherches de costumes, de véhicules. Alors disons que j’aime raconter nos vies en cherchant une grande fluidité dans le récit.

U: On trouve souvent un lien avec l’actualité. Les migrants avec Hakim, une forme de féminisme dans le personnage de la petite-fille de Suzette, Noémie. Vous saisissez l’air du temps?

Fabien Toulmé : Par rapport à Noémie et Suzette, l’idée était de raconter ce que je ressens actuellement. Il y a très peu d’années, avec une construction sociale très forte, on restait toute sa vie en couple même si cela n’allait pas. C’était ainsi. Aujourd’hui c’est l’extrême inverse. Et par ailleurs il y a une liberté qui gagne surtout la femme. Avec une de mes filles qui a presque l’âge de l’adolescence je me rends compte à quel point cela est présent aujourd’hui. Là encore je n’ai pas voulu être contemporain, mais simplement, on y revient, raconter nos vies. Celle de nos grands mères avec Suzette et celle de nos filles avec Noémie. En parlant d’un sujet, on draine naturellement d’autres thèmes qui sont aussi des marqueurs de l’époque. Si on essaie trop d’imposer un sujet cela rentre au chausse pied et rend les choses artificielles.

BD FABIEN TOULME

U: Toujours saisir l’air du temps ?

Fabien Toulmé : Je parle de l’époque de la manière dont je la perçois aujourd’hui, sans rechercher une idée ou une posture. Dans les deux vies de Baudouin, les deux frères notent les filles selon leur apparence. C’est effectivement méprisable mais c’est le reflet d’une réalité. Je ne veux pas la transformer.

U: Economie de moyens aussi dans le trait. Vous réussissez à faire passer des sentiments avec simplement un sourcil en accent circonflexe ?

Fabien Toulmé : C’est sans doute le fruit de lectures de jeunesse. On joue aussi inconsciemment avec nos forces et faiblesses techniques. Je ne suis pas un dessinateur hors pair capable de faire des choses ultra réalistes. On peut dire que ma force c’est la synthèse.

U: Un projet ?

Fabien Toulmé : Une série jeunesse au scénario uniquement qui sortira probablement l’année prochaine avec Olivier Dutto. Et je finalise un recueil de reportages autour des questions de luttes et d’engagement. Je me suis retrouvé au début de la révolution libanaise avec une personne engagée au moment où il y avait de nombreux soulèvements populaires à travers le monde. Cette convergence m’a interrogé. Pourquoi ces engagements ? Quel processus ? Qui sont ces personnes ? J’ai donc rencontré dans différents pays ces hommes et femmes qui s’engagent et elles me racontent leur histoire. Je suis allé au Liban, au Brésil. Il me reste un voyage à faire. L’album devrait paraître en mai juin de l’année prochaine.

Nous serons attentifs à sa sortie.

Propos recueillis au festival Quai des bulles à St Malo.

Le blog de Fabien Toulmé.

Page Facebook de Fabien Toulmé.

Twitter.

Instagram

Article précédentNANTES. LES JOURNÉES NATIONALES PRISON SENSIBILISENT AU MILIEU CARCÉRAL
Article suivantRENNES RÉCOMPENSÉ POUR LE MUR HABITÉ ET SES ARTISANS CRÉATEURS !
Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici