Comme ailleurs, les FABLABS se développent en Bretagne plaçant au centre de leur fonctionnement la coopération entre des individus de tous horizons et de toutes compétences pour créer et innover. Cette façon égalitaire de concevoir le monde du travail a été accélérée par le numérique dès les années 80. Ils représentent bien les prémices de la 3e Révolution industrielle et la mutation du capitalisme annoncées par l’économiste américain Jérémy Rifkin.
Fondés sur le partage de connaissances, les Fab Labs ou FabLabs ou LabFabs articulent leurs activités autour du numérique qui a été à l’origine, dans les années 80, des premières idées de ressources partageables. Fabriquer, entreprendre, inventer, innover, réparer, apprendre, échanger… : les « laboratoires de fabrication », la plupart associatifs, réunissant outils, machines-outils, numériques ou non, permettent tout cela et plus encore. Leur fonctionnement basé sur le partage et la mutualisation des ressources et des compétences étend en effet autant les possibilités qu’ils ont d’adhérents et d’idées. Principe : être ouvert à tous les âges, tous les métiers, toutes les innovations, toutes les coopérations. Ainsi, leur développement varie d’une ville ou d’une région à l’autre. Leurs statuts diffèrent également. Si la structure naturelle pour un Fab Lab est une association indépendante, certains sont liés à des écoles, des universités ou des pépinières d’entreprises. C’est que le monde économique a un œil braqué sur la richesse et l’infini potentiel des Fab Labs qui peut l’aider à mieux comprendre les mutations des modes de travail, à transformer les relations professionnelles et à développer des entreprises. La Bretagne compte plus de 60 FabLabs de tous types et tailles. Leur nombre évolue rapidement. Le blog Communication et transformation numérique des territoires, de Guillaume Rouan, en a établi une carte interactive et évolutive :
On peut s’interroger sur la place qu’occupent les Fab Labs dans ce que l’économiste et prospectiviste américain Jeremy Rifkin nomme en l’appelant de ses vœux, la troisième révolution industrielle, qui permettrait de répondre à la triple crise mondiale de l’économie, de l’énergie et du climat. « Cette situation grave nous force à réévaluer fondamentalement les postulats qui ont guidé notre conception de la productivité », écrit-il, mettant en avant une nécessaire coopération. Rifkin annonce la métamorphose du capitalisme qui devra s’adapter à une gratuité des communications, de l’énergie et des objets dont les coûts de production se rapprocheraient progressivement de zéro.
L’imprimante 3D deviendrait la machine à vapeur de ce nouveau siècle. Si certains reprochent à Rifkin son irréalisme, force est de constater que sa thèse trouve un fort écho dans de nombreuses initiatives locales comme dans les Fab Labs. Cette troisième révolution industrielle serait en effet aussi collaborative, transformant les modes de travail, instaurant un partage des connaissances et des ressources, un rapport différent à la propriété.
Autant de changements que prône Xavier Coadic, co-fondateur de plusieurs Fab Labs et start-ups, notamment en Bretagne. Nomade, il circule au sein de structures collaboratives en France, participant à des projets, partageant ses connaissances en en apprenant de nouvelles. Nomade appliquant au quotidien le partage de connaissances, Xavier Coadic prône de nouvelles façons de vivre, d’entreprendre. Un changement de société. Entretien :
Unidivers : Comment en êtes-vous venu à ce mode de vie nomade et à cette implication dans la mise en place de nouveaux modes de travail ?

Xavier Coadic : C’est la philosophie du Do it Yourself qui m’a guidé. J’ai été pompier pendant 10 ans à Marseille. À la sortie, je voulais m’épanouir avec le souci de la préservation de l’environnement et de l’humain. Je ne trouvais rien pour exprimer ça. Donc j’ai créé des structures pour. D’abord une société de conseils : je réalisais des audits et du consulting dans de grandes entreprises pour apporter des conseils en développement durable, mais elles ne passaient jamais à l’action. Je l’ai fait moi-même en créant un Fab Lab dédié au bio-mimétisme : s’inspirer du vivant pour développer des innovations. Par exemple, copier l’exosquelette du scorpion pour créer des abris pour des réfugiés. Il résiste à toutes les températures, il pèse quelques grammes et ne s’érode pas, résistant à l’abrasion du sable… Des maquettes sont en cours. Cette start-up est née de la mutualisation des connaissances et du matériel de 5 personnes à l’origine, dans un garage à Rennes. Mais la structure est un terreau d’où germe une quantité de projets, sur lequel se greffent plein de compétences. Et maintenant, beaucoup de monde est intéressé en Europe.
U. : Et comment les entreprises peuvent-elles se lier à ces structures ?
Xavier Coadic : C’est l’étape suivante : faire intervenir les entreprises en leur montrant comme les Fab ou Hack Labs sont une innovation dont elles ont besoin. La transversalité des Fab Labs est nécessaire aux entreprises. Mais c’est lié à la mutation de la société, à de nouvelles façons de travailler, de vivre, de gagner de l’argent, d’entreprendre… Le capitalisme n’est pas fait pour ça. C’est une autre forme de système basé sur le pair à pair, l’échange, sur le travail d’égal à égal. On réfléchit à la façon de valoriser les savoir-faire, financièrement ou non. Dès les années 80, certains travaillaient sur la ressource partageable. Et le numérique a bouleversé les choses, avec le web, public en 1991, mais créé en 1989.
U. : Concrètement, comment intervenez-vous au sein des différentes structures qui vous le demandent ?

Xavier Coadic : Depuis 2013, je vis dans les Fab Labs. En octobre 2015, j’ai effectué, pendant 15 jours, un tour de Bretagne, le Bretagne Lab tour, en restant 2 jours à chaque fois dans des Fab Labs comme à Brest, Nantes, Auray, Rennes, Saint-Brieuc, Rostrenen… En 2016, j’ai continué avec un tour de France de 4 mois et demi en participant à des projets en fonction des besoins et de ce que je connais. Notre base est l’antidisciplinarité ou la transdisciplinarité : ce qui compte est la valeur de la compétence acquise. J’ai un diplôme en biologie, mais aussi des compétences en code informatique, en design, en droit sur la propriété intellectuelle… L’intelligence n’a pas de diplôme. On se met à fond sur un projet en échangeant nos connaissances. Plus on partage, plus on apprend. C’est ce qui m’a amené au nomadisme : plus de maison, un sac à dos pour vivre le pair à pair à 200 % !
Mais le Fab Lab est encore une innovation naissante et foisonnante. On doit répondre à de nombreuses questions encore : par exemple, comment valoriser le temps de travail, les connaissances de tous les intervenants d’un projet ? Un modèle économique peut-il être généralisé ? Pour l’instant, on fonctionne avec du sur-mesure. Tout est en train d’être pensé, les liens sont en train d’être tissés avec les entreprises, notamment les TPE/PME, les universités, les collectivités territoriales qui montrent un intérêt. Parce que ce mode de travail représente une création de valeurs humaines et sociales, mais aussi financières et économiques. On peut utiliser le partage de connaissances pour développer un projet à grande valeur économique potentielle : c’est le principe des start-ups.
La mutation est en marche !