Le cirque Inextremiste s’est produit aux Etangs d’Apigné sur l’invite des Tombées de la nuit. Au premier abord, leur spectacle Extrêmités, c’est une plaque de taule en guise d’horizon, quatre madriers et des bonbonnes de gaz pour tout support. Le décor est minimaliste, mais les trois gaillards du cirque Inextremiste le détournent habilement en terrain de jeu. Alliant bascules et assemblages, ils défient l’apesanteur…

 

cirque inextremisteDésœuvrés, casse-cous et puérils, les deux personnages campés par les acrobates «valides» s’échinent à affirmer leur virilité… au détriment de leur copain en situation de handicap, la bonne poire du trio. Derrière le cynisme affiché, le spectacle Extrêmités concentre des enjeux d’une tout autre nature, qui ont enthousiasmé les spectateurs réunis ce week-end aux étangs d’Apigné.

Lancée en 1998, la compagnie As Pa de Maïoun a changé de nom en 2012 pour devenir le Cirque Inextremiste, dans le sillage du spectacle éponyme porté en 2007 par Yann Ecauvre. Celui-là même qu’on retrouve en leader du trio d’Extrêmités, avec des bouteilles de gaz qui ont déjà bien baroudé.

cirque inextremisteLa performance tient ici à un jeu de bascule en équilibre sur les fameuses bonbonnes, et donne cette fois-ci dans le collectif… mais elle est rehaussée d’un défi de taille puisque l’acrobate Rémy Lecocq, est paraplégique depuis dix ans.

Où la mise en scène aurait pu se contenter de donner dans le spectaculaire, la représentation du handicap prend au contraire un sens particulier, minimisant au premier abord la hardiesse physique. Car, face à ses deux compagnons lancésdans une course à l’émulation virile, le personnage en fauteuil est ridiculisé, impuissant jusqu’à n’être considéré comme guère plus qu’un jouet. Au regard des jambes ultra-solides des deux autres acrobates  – et il en faut pour se maintenir extrêmitésen bascule coréenne – les siennes sont malléables à souhait. De fait, il gît à plusieurs reprises tel un pantin que ne se privent pas de martyriser les deux autres, dans un jeu sadique et puéril (le public lui-même n’échappe pas aux invectives drolatiques et à l’ironie corrosive de ces personnages quasi cartoonesque).

L’effet recherché est l’illusion d’une solidarité bancale dans le trio, entre le premier qui mène la danse, son acolyte suiveur (mais parfois imprévisible), et le malheureux souffre-douleur tantôt trimbalé malgré lui ou éjecté de son fauteuil (lequel sait, fort heureusement et avec un savoureux air narquois prendre ses petites revanches sur les «bien-portants»). Une impression d’inconstance qui se traduit dès lors par des mimiques d’inquiétude et des équilibres précaires faussement improvisés. D’autant que le public, habitué à être choyé par les artistes, risque à tout moment l’infarctus, menacé par divers projectiles…

extrêmitésEt pourtant, on devine l’ampleur des efforts déployés dans cet exercice périlleux qui repose sur la confiance et l’écoute entre les artistes. Car un pas ou une roue de travers et c’est l’édifice qui s’effondre. Sans compter l’aptitude de ces derniers à gérer les vrais imprévus, comme lorsqu’une petite fille demande à être arrosée par l’un des acrobates en équilibre à plus de deux mètres de haut. Quant à l’atrophie du handicap, on la sait compensée par les bras massifs du jeune homme en fauteuil, mis en valeur par un marcel avantageux. Derrière la brutalité et l’inconséquence volontairement affichées par les acrobates, c’est donc bien tout l’inverse qui se joue. Dans cet univers de récup bien différent de celui des écrans télé, des théâtres et des cirques conventionnels, on est loin du dilettantisme prétendu. En soi, si la précarité des figures tout comme le handicap, ici central, rappellent celle du métier d’artiste, elle nous mène surtout à nous interroger sur la permanente ambivalence (équilibre instable) des sentiments, des jugements et des certitudes propres à la condition humaine.

Cirque Inextrémiste, cirque et réel à risques, Extrêmités

Crédit photos : Nat AnitaCarmen

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