Pour la première fois en France, l’artiste multimédia anglais Stephen Cornford dépose ses gadgets électroniques à Rennes le temps d’une exposition. Le lieu d’arts sonores Le Bon Accueil propose Stack | Flock | Stack du 30 mars au 6 mai 2018.

Vous êtes-vous déjà interrogés sur nos habitudes de consommation ? Ou à combien s’élève le poids des déchets électroniques et électriques dans le monde, par an ?

Selon le rapport publié par l’Université des Nations Unies (UNU), l’Union internationale des télécommunications (UIT) et l’Association internationale des déchets solides, on estime à 44,7 millions de tonnes de déchets électroniques (DEEE) en 2016. Soit, 8 % de plus qu’en 2014 (+ 3,3 millions de tonnes). 80 % de ces tonnes font l’objet d’aucun suivi et sont jetés ou finissent dans les incinérateurs des décharges sans être recyclés.

L’industrie des nouvelles technologies a mis en place une politique de surenchère en matière de produits électroniques, ce qui accélère le rythme de renouvellement de ces dits-produits. Ce qui est in aujourd’hui sera jeté aux oubliettes demain pour une version + + : plus neuf, plus puissant ou tout simplement plus design.

Stephen Cornford
STEPHEN CORNFORD

L’artiste multimédia et musicien expérimental anglais Stephen Cornford se nourrit de ces e-déchets et des idéologies techno-utopiques que nous vendent les grandes industries. « Au fur et à mesure qu’on nous vend du nouveau, il y a des montagnes de déchets qu’on laisse derrière nous. – Explique Damien Simon, directeur du Bon Accueil et commissaire de l’exposition – Il parle de cette contradiction et de l’échec de la nouveauté en quelque sorte ».

De formation universitaire, Stephen Cornford prépare actuellement un doctorat sur l’Archéologie des médias avec Jussi Parikka, chercheur finlandais. Ce domaine de recherche anglo-saxon arrive peu à peu en France avec la traduction de publications étrangères. Trois œuvres représentatives de son travail seront présentées au Bon Accueil. Trois projets autour d’une problématique actuelle sur les nouvelles technologies, le numérique et la douce utopie dans laquelle chacun est consciemment ou non plongé.

exposition Stephen Cornford Le Bon Accueil

Qu’est-ce que l’archéologie des médias ?

« Les médias sont des produits industriels qui ont une période de vie plus ou moins longue. Il y a eu un tas de supports qui ont évolué, qui sont souvent tournés vers l’avenir. – Nous précise Damien Simon – l’archéologie des médias c’est cette pratique de retourner dans le passé, de le repenser et d’arriver à des usages auxquels on n’aurait pas pensé à l’époque ». Si nous rebranchions une radio de 1940, il ne serait pas possible de retrouver ce qui était diffusé à cette époque. Elle était activée d’une certaine manière et aujourd’hui, elle serait réactivée différemment. « Les artistes trouvent de nouveaux usages à ces technologies obsolètes. C’est cet aspect-là qui intéresse Stephen, explorer des technologies avec une pratique artistique. »

Bien que les e-déchets de l’artiste proviennent de la récupération, la notion de recyclage n’est pas centrale dans son travail. Le recyclage devient un outil pour montrer le nombre sidérant de déchets qui sont produits dans cette surconsommation. Stephen Cornford donne une seconde vie à ce tas de technologies réduit à néant pour une version plus hi-tech afin de les détourner et critiquer les idéologies véhiculées par les nouvelles industries.

« Les machines s’entassent et passent du statut de porteuses de rêve à celui de déchets. Stephen critique le fait qu’on nous vende un rêve, une sorte d’utopie. – Poursuit Damien Simon – Par exemple, ce nouveau téléphone permet de faire tel ou tel truc donc c’est encore mieux, mais on s’aperçoit vite que ce nouveau n’est au final qu’un gadget qui ne durera pas ». Au moment d’acheter un nouvel appareil électronique ou électrique, nous savons pertinemment qu’il a une durée de vie limitée – c’est ce que nous appelons l’obsolescence programmée – pour autant, y prêtons-nous attention ?

L’installation sonore Migration (2015) est aussi contemplative que critique. Des dizaines de dictaphones à cassettes seront fixés au mur à l’image d’un essaim, produisant des sons insectoïdes. Autant physique qu’informatique, la migration désigne ici le passage de plus en plus rapide d’un produit technologique à un autre, le transfert de données et le flux incessant que l’achat de ces nouveaux produits entraîne. Sans compter sur la multiplication des sauvegardes de données justement en prévention de l’obsolescence programmée des produits.

exposition Stephen Cornford Le Bon Accueil
« Migration », dictaphones modifiés, dimensions
variables, 2015.

Quand l’immatériel devient visible

Et si toutes ces informations immatérielles n’étaient au final que source de pollution ? Laisser un ordinateur allumé, stocker ses données ou ses mails en ligne, ce qui est à la base immatériel est pourtant stocké quelque part et pollue. « Les data center (endroit physique où sont rassemblées de nombreuses machines, bien souvent des serveurs, qui contiennent des données informatiques) consomment une énergie folle et ont un impact sur l’environnement. »

Ce que l’on pensait immatériel a pourtant une vraie existence dans ce monde. Dans Constant Linear Velocity (2016), chaque tour d’ordinateur représente un espace visible de ce qu’on aurait dans les data center. Cette sculpture cinétique vise à critiquer les industries informatiques et l’échec de ces utopies technologiques.

En complément, l’installation In search of Concrete Music (2010) rappelle de manière moins critique la matérialité liée aux développements des technologies de l’information et de la communication. « C’est l’idée que l’industrie de l’économie, des nouvelles technologies nous proposent quelque chose qui est censée être de l’ordre de l’immatériel. On a tendance à penser que le numérique n’est pas physique alors qu’il génère des quantités phénoménales de déchets ».

Vernissage en présence de l’artiste le 29 mars 2018 à partir de 18h30.

Infos pratiques :

LE BON ACCUEIL
74, canal Saint-Martin
35700 Rennes
09 53 84 45 42
contact@bon-accueil.org

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