Jusqu’au 29 septembre 2019, la Maison des Cultures du Monde de Vitré invite à découvrir le travail photographique de l’artiste allemande Deidi von Schaewen et l’art ancestral des femmes peintres du Hazaribagh, dans le nord-est de l’Inde. Plongée dans une tradition aujourd’hui en péril.

expo vitré hazaribagh

Une exposition de photographies a récemment pris place dans la première salle, tout en longueur, de la Maison des Cultures du Monde, à Vitré. Les murs sont anoblis par des impressions photographiques aux formats sur-dimensionnés. On y voit des enfants devant une fresque, une mosaïque de portraits de femmes, ou encore une femme entrain de peindre la façade d’une maison. Dans les pièces adjacentes, la visite se poursuit et le public retrouve les mêmes motifs animaux et végétaux, sur des dessins encadrés cette fois.

En Inde, dans la région du Hazaribagh — au nord-est, dans l’État du Jharkhand — les maisons traditionnelles sont décorées d’immenses fresques aux motifs noir et blanc ou colorés. D’où viennent-elles ? Que signifient-elles ? Le travail photographique de Deidi von Schaewen apporte une réponse.

expo vitré hazaribagh
Style khovar

Des trottoirs, des échafaudages et des murs pour parler de la vie

Photographe d’architectures, graphiste, auteure pour les Éditions Taschen dès 1990… du haut de ses 78 ans, l’artiste berlinoise Deidi von Schaewen semble avoir vécu mille vies.

Après des études à l’École des Beaux-Arts de Berlin, elle abandonne la peinture au profit de la photographie, un choix décisif dans la suite de sa carrière artistique. « Dans les dix premiers rouleaux [de pellicules] était photographié un mur. Quand j’ai voulu retourner à cet endroit, il avait disparu, remplacé par un échafaudage ». Peut-être est-ce ce choc qui est à l’origine d’une obsession artistique qui perdure encore aujourd’hui. Son travail photographique, proche du reportage, met en scène des témoignages de nos civilisations urbaines et rurales sur le déclin : les murs dès 1961, les échafaudages (ou « architectures bâchées ») à partir de 1966, et les trottoirs depuis 1977.

Plus que l’architecture à proprement parler, Deidi von Schaewen semble observer, l’œil vissé derrière son objectif, le monde, la trace de l’homme sur les architectures et surtout, l’éphémère.

expo vitré hazaribagh

« Peut-être se souvient-elle, dans les rues de Berlin en ruines, où les murs éventrés laissaient voir l’intimité mise à nu par la guerre »

En 2009, la réalisation d’un livre de maisons peintes la conduit en Inde, et plus particulièrement à Hazaribagh, au nord-est du pays. Elle y découvre des maisons traditionnelles ornées de dessins figuratifs à l’effigie d’animaux et d’éléments de la nature. À l’origine de cet art, les femmes de la communauté adivasi qui peignent sur les murs extérieurs et intérieurs des habitations au gré des événements qui ponctuent la vie des habitants.

Véritable trésor pictural, l’origine de ces fresques singulières, d’apparence naïve, remonte à la préhistoire. Telles des livres d’histoires, elles racontent les mythes anciens, liés à la nature. Aussi bien décoratif que symbolique, chaque élément a sa signification et est exécuté lors de rites en lien avec les saisons.

expo vitré hazaribagh
Style khovar

À travers la représentation de l’espèce animale, végétale et minérale, deux styles principaux de peinture se dessinent. Le premier, le style khovar ou « la grotte nuptiale », est reconnaissable par sa palette de couleurs restreinte, exclusivement du noir et blanc, tacheté de pointes de couleurs rouge ou jaune. « Les époux passaient la première nuit de leur mariage dans une grotte remplie de peintures mésolithiques comme celles-ci » souligne Camille Golan — chargée de projets culturels et développement des publics. Inspiration première des peintures que l’on retrouve aujourd’hui sur les maisons.

Hautement symbolique, il est généralement réalisé de février à mai, selon la technique du sgraffite, un procédé de décoration murale. « Quand la terre noire [mélangée à du manganèse] est sèche, les peintres passent une seconde couche blanche [du mortier blanc à base de kaolin]. Elles travaillent la matière encore coulante et la grattent à l’aide de morceaux de peignes, ce qui crée l’effet » explique Deidi von Schaewen.

expo vitré hazaribagh
Style sohrai

Avec ses couleurs issues de pigments naturels – oxyde rouge, ocre, kaolin blanc, manganèse noir, le style sorhai célèbre l’abondance et la fertilité au gré des moissons. D’octobre à mi-novembre, il met en scène animaux terrestres et marins, oiseaux et végétaux.

Trois ans plus tard, alors qu’elle revient au village, Deidi von Schawen découvre que près de 50 % des peintures n’existent plus. Elle s’aperçoit alors que cette tradition ancestrale est menacée par la déforestation et une politique d’État qui invite les habitants à abandonner leurs maisons traditionnelles pour des plus modernes, en parpaing.

Ce triste constat la pousse à fonder l’association Femmes du Hazaribagh — soutenue par Bulu Imam, défenseur de l’environnement et de la culture adivasi, son fils Justin et sa femme, Alka — dans le but de promouvoir et soutenir le travail de ces femmes. « Une tradition ancienne de cette sorte doit être conservée. J’ai été photographe d’architecture donc je connais les problèmes et je sais de quoi je parle. On a alors décidé de vendre des photographies. Avec les 5000 € récoltés, on a pu acheter des pigments pour ces femmes ».

À partir des années 1990, les peintures sont retranscrites sur papier, un moyen de faire des recettes qui sont directement reversées à l’association pour l’achat de matériel et de pigments. L’exposition Femmes peintres du Hazaribagh met en écho le travail photographique de Deidi von Schaewen et celui pictural de toutes ces femmes de la communauté adivasi. Un savoir-faire artisanal trop méconnu que la Maison des cultures du Monde, centre français du patrimoine culturel immatériel, et Deidi von Schaewen, tentent de préserver. « Ce sont des populations très attachantes. Une qualité que l’on trouve énormément là-bas et trop peu ici », conclut la photographe berlinoise.

Exposition du 6 avril au 29 septembre 2019
Femmes peintres du Hazaribagh, Inde – Maison des Cultures du Monde, Vitré

Infos pratiques

Maison des Cultures du Monde – CFPCI Prieuré des Bénédictins
2 rue des Bénédictins
35500 Vitré

Entrée libre du mardi au dimanche de 14 h à 18 h

www.maisondesculturesdumonde.fr

Action culturelle autour de l’exposition

– Parcours enfant
– Visites guidées mensuelles
– Visites guidées sur demande pour les groupes

N’hésitez pas à contacter Camille Golan, chargée de projets culturels et développement des publics : 02 99 75 48 94 ou mediation@maisondesculturesdumonde.org

Association Femmes du Hazaribagh
ATT Deidi von Schaewen
12 rue Popincourt 75 001 Paris

deidivonschaemen@yahoo.com

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