La photographe Lise Gaudaire exposera aux Champs libres de Rennes du 4 octobre 2022 au 8 janvier 2023. Elle y présentera Les Oasis, le résultat d’une résidence à la Casa Velazquez en Espagne. Dans cette série, elle continue son exploration du dialogue entre l’humain et les paysages à partir de la recherche (illusoire ?) d’oasis en Andalousie.

Dans Les Oasis. « Je marche dans le lit de la rivière », Lise Gaudaire nous plonge dans la « côte tropicale » espagnole, petite bande de littoral, d’une centaine de kilomètres à peine, au sud de Grenade, située entre Almuñecar et La Rábita. Il y pousse une « végétation exotique exubérante », comme on peut lire sur des sites Internet de tourisme, grâce à un climat particulièrement clément qui a permis à la région de développer une agriculture intensive de fruits précieux : agrumes, avocats, mangues, etc. Pourtant, derrière cette image de carte postale, la réalité saute aux yeux de la photographe rennaise : dans cette « oasis », il n’y a plus d’eau, il ne pleut plus, et le lit de la rivière asséchée est devenu un chemin sur lequel on marche, dans une direction incertaine.

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Lise Gaudaire dans son atelier aux Ateliers du vent à Rennes.

L’observation du paysage habite depuis longtemps l’œuvre photographique de Lise Gaudaire. Âgée de 39 ans, la Rennaise, résidente des Ateliers du vent, est originaire de Gomené dans les Côtes-d’Armor, d’une famille d’agriculteurs. Elle intègre l’école des Beaux-Arts de Lorient, persuadée qu’elle ferait sa vie dans la peinture. La rencontre avec son professeur Daniel Challe, dont l’engagement politique la touche, la fera troquer son huile pour le bromure d’argent, ses pinceaux pour une chambre photographique. Et c’est pendant ses études qu’elle porte pour la première fois son objectif sur l’univers rural, les paysages, le monde agricole. « Aux Beaux-Arts, on nous a fait lire un bouquin théorique sur le paysage, Le Court Traité du paysage, d’Alain Roger. À un moment, il dit que les agriculteurs voient le paysage comme un lieu de travail et de production. J’ai trouvé ça réducteur. Mon père nous avait beaucoup éduqués à regarder la nature. J’ai eu envie de montrer ça, alors en 3e année, je l’ai suivi dans son quotidien au travail. »

Le paysage c’est l’aspect des lieux, c’est le coup d’œil, c’est une distance que l’on prend par rapport à sa vision quotidienne de l’espace. Le travail agricole étant le plus souvent incompatible avec cette disponibilité de temps et d’esprit, l’environnement est rarement « paysage » pour les agriculteurs.

Court Traité du paysage, Alain Roger

Sortie de l’école, Lise Gaudaire consacre deux séries à des portraits, Jérôme, Alex, Anaïs… et La Vingtaine. Ses photos, elle les réalise principalement à la chambre photographique, ces appareils des premières heures de la photographie et qu’on ne voit plus guère que dans les albums de Tintin ou de Lucky Luke. Pittoresque, l’appareil a l’avantage de produire un négatif grand format avec une excellente définition d’image qui permet de faire des agrandissements sans perdre de détails. Lise Gaudaire scanne ensuite les négatifs pour retoucher les clichés finaux sur logiciel, mêlant ainsi technologies moderne et ancienne. 

Ce que la photographe apprécie dans cette méthode est le rituel de la prise de vue. « On fait peu de clichés parce que c’est coûteux et long à installer, long à régler. On ne peut pas faire de photos sur le vif, il faut faire de vraies poses pour les portraits. Pendant les réglages, je ne suis pas tout le temps derrière l’appareil, mais à côté. Je tourne autour, je parle à la personne. Ça crée autre chose, une discussion importante pour moi », confie-t-elle. « Pour ma part, je suis sûre que je fais de meilleurs portraits en connaissant les gens. Il y a quelque chose d’assez intime dans ma façon de photographier. Je veux que mes portraits racontent leur sujet », continue-t-elle.

Lise Gaudaire
« Anouk », Paysans/Paysages, Lise Gaudaire, 2014.

Après ces deux séries, Lise Gaudaire revient à l’univers rural à l’occasion d’une résidence artistique à La Métive, en Creuse. « En repensant à cette lecture d’Alain Roger, j’ai voulu rencontrer des agriculteurs. On a parlé de travail bien sûr, mais le sujet était plutôt le paysage : ce qu’il représentait pour eux, comment ils le regardaient, est-ce qu’ils s’y promenaient », raconte la photographe. Mêlant portraits et paysages, la série de photos qui en découle, Paysans/Paysages s’inscrit dans la veine de la photographie documentaire, avec pour modèles des photographes comme celles et ceux réunis dans la Mission photographique de la DATAR, ou plus proche de nous, François Deladerrière ou la vidéaste Ariane Michel. Pour pousser davantage sa démarche sociologique, la photographe enregistre les promenades et discussions avec ses sujets, réalisant ainsi des portraits sonores qui concourent à une philosophie du paysage. « Dès qu’on s’empare d’un lieu, on le façonne », entend-on dire un agriculteur. Une phrase qui augure sans doute le projet suivant de Lise Gaudaire, Faiseurs de paysage, qui sera décliné en trois chapitres : « La Forêt », « Le Bocage », « La Rivière ».

Lise Gaudaire
Paysans/Paysages, Lise Gaudaire, 2014.

Le premier confinement étant passé par là, et avec lui le projet passe-temps Un semblant de quelque chose (« Du 17 mars au 10 mai 2020, chaque jour j’ai écrit et photographié »), l’écriture fait son apparition dans le travail photographique de Lise Gaudaire. « L’écriture qui restait dans mes cahiers en est enfin sortie. Je raconte ce que je fais, ce que je pense, les conversations que j’ai », explique-t-elle. L’objectif pour cette grande timide est d’assumer davantage son regard d’artiste, ce qu’elle a pu longtemps s’interdire dans la démarche documentaire qui était la sienne. De même, l’ambition esthétique de ses photos se fait plus prégnante dans ses derniers projets, notamment celui mené en Espagne lors de sa résidence à la Casa Velazquez. « J’ai fait des choix de lumière différents, du traitement d’images, je m’autorise à jouer avec les couleurs et les lumières, pour montrer ce que moi je vois du paysage », détaille-t-elle.

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Le projet Les Oasis naît lors d’une précédente résidence, à Pontmain en Mayenne. Lise Gaudaire y rencontre une agricultrice pionnière du biologique. « Je visite sa ferme, avec de grands arbres, des animaux partout, des insectes, tout est très vert. Elle me dit : “ici, c’est comme une oasis”. » Touchée par l’image, la photographe se met à y réfléchir : « si c’est une oasis, qu’est-ce qu’il y a autour ? Qui a le droit d’y rentrer ? Qui vit à l’extérieur ? Est-ce que c’est une notion si positive que ça ? » Pour sa candidature à la Casa Velazquez, elle se propose alors de partir en quête d’oasis en Espagne. 

Arrivée sur place, on lui conseille de se diriger vers la côte tropicale de l’Andalousie, région réputée très verte et où sont cultivés des fruits tropicaux. « Effectivement, c’est très vert. Mais un problème saute aux yeux : il n’y a plus d’eau, les rivières sont devenues des routes, de grands ponts enjambent des rivières qui n’existent plus. Je me suis dit que c’était là qu’il fallait chercher une oasis », raconte Lise Gaudaire. Les photos qu’elle prend sont alors le témoignage de cette recherche d’eau dans les paysages andalous. 

Lise Gaudaire
Les Oasis. « Je marche dans le lit de la rivière ». Lise Gaudaire

Le peu d’eau servant à arroser les plantations, cette recherche se confronte évidemment à l’agriculture intensive qui s’est développée dans la région, où les plantes méditerranéennes (chêne-liège, caroubier) ont été remplacées d’abord par la canne à sucre, puis par les amandiers, les agrumes, et finalement les avocatiers et les manguiers, selon un modèle de monoculture. Et si cette économie a sorti la région de la pauvreté, encore faut-il déterminer à quel prix. « Les proprios gagnent très bien leur vie, mais les ouvriers sont payés comme des ouvriers, c’est pas tellement vertueux. On peut imaginer d’autres choses », affirme Lise Gaudaire

Lise Gaudaire
« Les effacés ». Les Oasis. « Je marche dans le lit de la rivière ». Lise Gaudaire

Mais entre la mauvaise foi de certains qui arguent que non non, ça a toujours été comme ça, les discours anti-écologie d’autres, et le mirage de la désalinisation de l’eau de mer, difficile de trouver les voies de l’oasis. « Je viens du milieu agricole, avec un père qui a fait de l’agriculture conventionnelle, je connais les difficultés de ce travail pour les avoir vécues. Je ne veux pas taper sur les agriculteurs, mais à un moment donné il faut se réveiller : dans dix ans les gens ne pourront plus vivre dans cette région », s’insurge Lise Gaudaire.

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« Fernando », Les Oasis. « Je marche dans le lit de la rivière ». Lise Gaudaire

« J’ai quand même trouvé des oasis », nuance-t-elle. Outre les réserves naturelles qui, bien que réduites, permettent à la faune et la flore de prospérer, la principale oasis que Lise Gaudaire a trouvée sur la côte tropicale est une oasis figurée : Fernando, seul personnage de cette série, figure d’une oasis possible. Agriculteur ayant grandi dans la région, il s’interroge sur ce qu’il est possible d’y faire en respectant les réserves d’eau. Il s’est donc spécialisé dans la culture de la pitaya, le fameux fruit du dragon qui pousse sur des espèces de cactus demandant très peu d’eau. « Dans tout ce merdier, il y a quand même des petites choses qui se passent, des gens qui réfléchissent », se réjouit Lise Gaudaire.

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« L’Oasis ». Les Oasis. « Je marche dans le lit de la rivière ». Lise Gaudaire

L’exposition Les Oasis. « Je marche dans le lit de la rivière » s’étalera dans les escaliers de la bibliothèque des Champs libres du 4 octobre 2022 au 8 janvier 2023. Elle sera composée de 19 tirages photo, de dessins, et d’enregistrements audio des écrits de Lise Gaudaire tirés de son carnet de bord. Des réflexions et des observations qui aideront peut-être à ouvrir les yeux, s’il en est encore besoin, sur la façon dont nos choix de vie en tant que sociétés impactent notre planète et, plus proche de nous, nos paysages.

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Jean Gueguen
J'aime ma littérature télévisée, ma musique électronique, et ma culture festive !

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