Mettre en scène une œuvre aussi essentielle de la culture russe est assurément un véritable pari, et sans doute des plus risqués. Non seulement il faut se confronter au roman en vers écrit par un monstre sacré de la littérature, Alexandre Pouchkine, mais encore il faut faire rêver sur une musique profondément ancrée dans l’âme russe, celle de Piotr Ilich Tchaïkovski. Vaste programme, et pourtant indéniable succès, lundi 1er février à l’opéra de Rennes.

 

EUGÈNE ONÉGUINESi l’on analyse le spectacle donné pour cette première soirée, les différentes composantes sont source de satisfaction. Les acteurs de cette production de l’opéra de Lorraine reprise par Nantes-Angers opéra, méritent de sincères compliments.

Dès l’ouverture du rideau, on comprend qu’en terme de décor, c’est une forme de minimalisme qui a été retenue par la scénographe Elsa Pavanel. Douze imposants troncs d’arbres occupent la scène, les protagonistes circuleront dans cette forêt improvisée. Un peu juste ? Pas du tout, parfaitement suffisant, et les éclairages subtils de Marc Delamézière sauront avec adresse créer des espaces plus intimes et propices aux tendres aveux, comme aux échanges guerriers. La mise en scène d’Alain Garichot peut-être envisagée comme classique, mais elle est si plaisante, équilibrée et lumineuse qu’elle met en valeur toute l’histoire qui nous est racontée. Des idées simples y sont adroitement exploitées comme celle du voile tombant des cintres. Des feuilles de papier venues des mêmes hauteurs suggèrent de manière poétique l’accession à la folie de Eugène Onéguine. Tout concourt à porter le propos avec intelligence. L’œil est également flatté par les costumes de Claude Masson dont il est juste de dire qu’ils ne pouvaient être mieux. Là encore, pas d’extravagances ou d’incongruités, mais une adéquation parfaite avec les différents tableaux et il faut bien le souligner, un indiscutable bon goût, pas dénué d’un soupçon d’originalité. Les chorégraphies de Cookie Chiapalone concourent également à la cohérence, par leur simplicité et le charme qu’elles dégagent. Des rafraîchissantes danses d’une fête campagnarde, on passe au cotillon d’une société aristocratique avec le même plaisir.

EUGÈNE ONÉGUINE RennesOn peut le constater, le cadre de cet opéra est d’ores et déjà une réussite, mais la vraie question est musicale. Abordons donc ce thème crucial par les chœurs, comme à l’habitude dirigés par Gildas Pungier. Un seul mot : splendides. Le lecteur habituel de nos chroniques d’opéra pourrait penser que nous sommes de parti-pris, ne manquant jamais d’encenser le travail de M. Pungier. Que ceux qui doutent de notre objectivité se rendent à l’opéra de Rennes, leurs oreilles ne sauraient les tromper, une fois de plus, c’est du bel ouvrage. Critique peu habituelle, mais l’Orchestre Symphonique de Bretagne ne paraît pas au mieux de sa forme, il donne parfois l’impression d’être un peu abandonné à lui-même et à défaut d’être hors sujet, laisse sur certains passages une impression mitigée. Cette remarque vaut surtout pour le premier acte. Les deux suivants, plus énergiques, nous font retrouver la formation que nous connaissons, brillante et inspirée. Le temps d’adaptation avec Roland Kluttig, chef invité, n’a peut-être pas été suffisant pour créer une véritable osmose.

EUGÈNE ONÉGUINE opéraReste donc l’aspect vocal, pas vraiment aisé dans cette œuvre. Il y a peu de choses à dire des rôles « satellites », qui sont globalement satisfaisants. Zvetlana Lifar en madame Larina, comme Lucie Roche en Olga, ou même encore Marie-Noële Vidal en nourrice, toutes font le travail de manière satisfaisante. Chez les hommes, quelques plaisantes surprises avec notamment le Rennais Jean-Vincent Blot, dont le rôle encore modeste permet de démontrer de belles aptitudes. Impressionnant Johan Schinkler dans le rôle du prince Grémine. Sa voix comme sa présence scénique sont du meilleur aloi. Restent les rôles-titres. Tatiana, incarnée par Marie-Adeline Henry, a sans doute la part la plus difficile. Elle s’en tire avec un certain brio. Parfois emportée, à d’autres moments intimiste, elle démontre d’intéressantes qualités vocales. Tout petit bémol, sur les forte, elle ne tient pas tout à fait compte des dimensions réduites de notre opéra rennais et nous dispense les décibels avec générosité… Pour ces messieurs, les deux antagonistes, Lenski, Suren Maksutov et Eugène Onéguine, Armando Noguera, nous accorderont de très beaux moments, comme d’autres, plus contestables. Suren Matsutov, lors du premier acte, ne sera pas totalement convaincant, donnant l’impression EUGÈNE ONÉGUINE opéra Rennesd’atteindre assez rapidement les limites de ses capacités vocales. Il effacera ce premier sentiment mitigé à l’occasion du second acte, en donnant à son personnage une belle force dramatique. Armando Noguera, le baryton argentin livre la même impression, sa voix n’est pas toujours irréprochable ni toujours agréable. Son jeu de scène étonnant et son charisme confèrent pourtant au personnage d’Onéguine, une épaisseur particulière aussi fascinante qu’indispensable. Il nous fait vivre de manière intense la descente aux enfers de celui qui a laissé passer la chance de sa vie.

Le contraste est étonnant, entre le premier acte parfois un peu longuet, et les deux autres, au cours desquels l’intensité dramatique ne cesse de monter. À partir de ces instants, le public sera entraîné par une énergie puissante et grandissante qui l’entraînera jusqu’à un final en forme de paroxysme aussi brillant qu’inspiré.

Nous ne saurions que trop vous recommander d’aller vivre cette expérience russe puisque la chance vous en est donnée. Les connaisseurs recommandent toujours de ne pas aller à la première, mais de plutôt laisser les artistes apprivoiser le lieu où ils se produisent. C’est après ce premier moment qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes. Allez vous rendre compte par vous-mêmes, ce sera notre conseil.

EUGÈNE ONÉGUINE, Tchaïkovsky et Chilovski, Opéra de Rennes, jusqu’au 7 février

EUGÈNE ONÉGUINE

choeur et musiciens opéra de Rennes
Photos : Laurent Guizard

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