Le Kiosque Citoyen reçoit à l’IGR, dans le cadre des conférences et débats qu’il organise, Alexandre Sumpf, maître de conférences à l’Université de Strasbourg. Thème : Etat bolchévique, paysannerie et propagande communistes dans les années 1920.

A travers l’étude de l’éducation politique – vaste projet de rééducation politique des adultes confié à l’Etat soviétique, pendant de l’agit-prop mené par le parti communiste – la conférence abordera plusieurs aspects fondamentaux de la formation du système soviétique. L’ouverture des archives soviétiques a permis à une nouvelle historiographie de se développer dans les années 1990. Alexandre Sumpf a accompli son programme de recherche doctorale au début des années 2000, travaillant dans plusieurs centres d’archives de rang national, mais aussi dans des institutions de rang régional et municipal, rarement visitées. Les sources mises à jour sont d’abord de nature administrative : projets, rapports, échanges entre acteurs de l’éducation politique à chaque échelle territoriale, enquêtes sur le terrain. Cet historien s’appuie également sur des documents privés publiés ou non (lettres ouvertes aux rédactions de journaux), voire personnels (correspondance, journaux intimes). Surtout, les formulaires (anonymes) d’enquête nous plongent dans le quotidien, les attentes, l’opinion et les représentations des agents de terrain de cette administration.
Alexandre Sumpf propose, au lieu d’une succession chronologique peu dynamique, un itinéraire du centre (Moscou) au local (le village) et de l’institutionnel (les structures) à l’individu (la mise en œuvre), en passant par les isbas-bibliothèques, clubs ruraux où exercent les izbatchi. On examinera ainsi les enjeux de l’implantation à la campagne d’un régime officiellement d’essence prolétarienne, en tout cas aux valeurs urbaines. Il s’agit d’une rencontre, en partie manquée, entre le nouveau pouvoir et la large majorité de la population, cette paysannerie, la plus éloignée à tous points de vue de lui. En partie seulement, car si l’on échange le point de vue des autorités centrales pour celui des acteurs locaux, et la notion de transfert (culturel et politique) pour celles d’assimilation, d’usage, de reformulation, se dégage l’une des voies de façonnement de la nouvelle couche soviétique de la campagne.
La conférence permettra de saisir l’ensemble des problèmes posés aux bolcheviks dont le projet est de révolutionner la société et de créer un « homme nouveau ». La concurrence entre instances éducatives d’Etat (éducateurs politiques) prônant une acculturation progressive des paysans, et instances partisanes (agitateurs et propagandistes) visant surtout la mobilisation à court terme représente un écueil majeur à la soviétisation de la société paysanne. Les incohérences d’une centralisation mise en œuvre trop rapidement et l’ambivalence du rapport des bolcheviks à la paysannerie expliquent aussi le fossé entre l’ambitieux projet élaboré au centre, les pratiques sur le terrain et les médiocres résultats obtenus. L’étude du réseau rural d’éducation politique met aussi en évidence les relations de pouvoir (politique, économique, culturel) en milieu rural et relativise la volonté de mettre en œuvre ce que la rhétorique de propagande prétend être capital pour le régime. En dépit d’une catégorisation minutieuse des « besoins culturels » supposés de la paysannerie, en fonction de la classe, de l’occupation, de la position familiale, les izbatchi peinent à satisfaire des exigences contradictoires et à créer le soutien au régime parmi ceux qu’ils sont censés desservir et acculturer. Le recrutement de ces agents locaux supposés constituer une « base sociologique » pour le régime à la campagne n’est pas maîtrisé par une institution qui ne puise qu’à regret dans le vivier paysan. La plupart ne sont que des amateurs, plus ou moins tolérés par les paysans. Leur formation, unifiée sur tout le territoire, assez théorique, fournit à peine les effectifs nécessaires, tant la demande en fonctionnaires fiables, instruits, compétents est forte dans l’ensemble de la nouvelle administration. Les principaux bénéficiaires de l’éducation politique sont en réalité les paysans qui, individuellement, en vertu de convictions ou de plans de carrière plus ou moins explicites et assumés, ont choisi de s’engager dans cette fonction assez marginale du système soviétique.

21 novembre,18h30, à l'Institut de Gestion de Rennes, 11, rue Jean Macé, 35700 Rennes, (Bus Lignes 1 & 9 , arrêt Brizeux).

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