Bien entendu, lorsque l’on cite le nom de l’excellent chœur professionnel qu’est Mélisme(s), on ne peut s’empêcher de penser simultanément au chœur de l’opéra de Rennes, puisque, d’une certaine façon, les deux ensembles se confondent. C’était donc une manière de se produire à domicile que d’offrir un voyage à travers les mélodies de l’école de Vienne, à l’opéra, vendredi 23 février.

Véritable création de Gildas Pungier, Mélisme(s) est une réponse au souhait de l’ancien directeur de l’opéra qu’était Daniel Bizeray, lequel souhaitait monter le niveau du chœur de l’opéra, tout en portant un projet qui dépassait le cadre du lyrique, mais en créant également, un véritable chœur professionnel en Bretagne. Il fallait donc une structure qui offre la possibilité à ce nouvel ensemble d’évoluer hors les murs. Mélisme(s) entrera donc en lice pour son premier concert le 25 juillet 2003 au festival de Lannion.

Il va sans dire que l’effectif de cette époque, n’a pas de rapport avec l’actuel et il faudra attendre celui de Moncontour pour atteindre 16 chanteurs. En 2005, l’ensemble Matheus propose une version concert de La flûte enchantée au Quartz de Brest, et c’est avec Jean-Christophe Spinosi que le groupe atteint sa jauge actuelle de 24 participants lors d’un spectacle donné au théâtre des champs Élysées. Officiellement implanté dans les côtes d’Armor, et actuellement en résidence à Rennes, Mélisme(s) a une vie propre. Ses membres ont d’ailleurs le statut d’intermittents du spectacle et sont amenés à se produire dans d’autres cadres musicaux.

On reconnaîtra à ce groupe une véritable qualité, et pour ceux qui en gardent le souvenir pas si lointain, la prestation des chœurs de l’opéra, étincelante lors du Lohengrin de 2015, effacera totalement la déconvenue causée par le rôle titre. Ce n’est pas la seule occasion de briller qu’aura cet ensemble et comment ne pas penser à La Cenerentola, au Dialogues des carmélites, ou au mélodieux Cantique de Jean Racine incomparablement interprété par cet ensemble.

Tout cela est du au travail acharné et discret de Gildas Pungier, auquel ce modeste écrit a la prétention de vouloir rendre un hommage appuyé.

La ville de Lorient le voit naître le premier Août 1963.On peut dire qu’il a su synthétiser avec adresse les qualités principales, que peuvent offrir une mère Alsacienne et un père, Breton. Entre une certaine réserve qui n’exclut pas la cordialité, il dissimule une capacité de travail pharaonique et une rigueur presque teutonne dans l’exécution de sa tache.Avec deux parents enseignant, l’un le russe, l’autre l’Allemand, il domine pourtant mieux le solfège que les langues étrangères. A 7 ans il intègre l’école de musique de Lorient, à neuf ans, faute de pouvoir faire de la guitare, il entre en classe de clarinette.Viennent ensuite sept années de conservatoire à Versailles, moment privilégié, au cours duquel il reçoit l’enseignement du prix de Rome, Solange Ancona, elle même élève d’Olivier Messiaen. Passons rapidement sur la création d’une école de musique à Languidic, de douze années à enseigner à Lannion, pour arriver en 1994 où , comme un hold-up, son excellent travail sur L’enlèvement au sérail lui vaut, sans coup férir, la place de chef du chœur de l’opéra de Rennes. Voila le décor planté, et c’est l’école de Vienne qui sera pour cette soirée du 23 février, notre thème de découverte.

Johannes Brahms entame les hostilités avec des extraits des Deutsche volkslieder n°19 et 15, occasion pour les deux solistes, Violaine le Chenadec, soprano, et Etienne Chevalier, baryton, de se mettre en valeur en nous offrant une prestation digne d’intérêt. Comme l’annonce d’un opéra qui sera donné à Rennes en avril, c’est une œuvre d’Alexander von Zemlinsky qui nous enfoncera un peu plus dans cette esthétique particulière qu’est la musique de l’école de Vienne. Zemlinski n’est rien moins que le beau-frère d’Arnold Schoenberg, pour lequel il créera en 1924 Erwartung mais dont il s’éloignera pour des raisons personnelles et de technique sur le sérialisme. Fruhlingstaube, est une œuvre pour chœur mixte et orchestre à corde, inspirée par un poème de Ulhand. Cela reste parfaitement agréable à l’oreille et d’une fallacieuse légèreté, car une écoute attentive en révèle rapidement la profondeur. La première vraie confrontation viendra avec Friede auf Erden, c’est à dire paix sur la terre, de Schoenberg, qui s’affirme comme une œuvre charnière, certes pas encore dodécaphonique, mais plus tout à fait classique. La mélodie, mystérieuse et incantatoire monte en puissance jusqu’à un paroxysme vocal éblouissant. C’est absolument saisissant, pourtant tout le public ne suit pas et quelques récalcitrants peinent à aborder à ces rivages de l’atonalité. Mélisme(s) y est stupéfiant, on s’y sent lacéré et ébloui…une véritable expérience.

La seconde partie du concert verra un retour à Zemlinsky et au quatuor formé pour l’occasion par les élèves du pont supérieur avec Lucas Robin et Maud Chauvet au violon, Damien Henrion à l’alto, ainsi qu’Esther Borka au violoncelle, ils fournissent un travail appliqué et plaisant. Afin de ne pas être injuste, signalons le passage du contrebassiste Boris Cavaroc et au piano bien sur l’indispensable Colette Diard.

Après ces différents extraits et sans doute conscient d’avoir soumis son public à quelque chose d’inhabituel, Gildas Pungier avait programmé cette œuvre majeure qu’est l’adagietto de la cinquième symphonie de Gustav Malher, mais cette fois, pour voix. La transcription de Gérard Pesson, assez habile, utilise les différents registres pour imiter les instruments, comme les ténors reproduisant la partition des harpes, et tout cela fonctionne, c’est harmonieux et beau et nous entraîne dans une rêverie un peu onirique à laquelle se mêlent les images d’un film de Visconti.

Présent dans les travées d’un opéra duquel il ne pourra jamais vraiment s’éloigner, Alain Surrans, notre ancien directeur, a eu les paroles simples et exactes qui résument le travail de notre chef de chœur ; « c’est remarquable de qualité ». On ne saurait dire mieux.

Thierry Martin
thierry.martin [@] unidivers .fr

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