Trois ans après sa fable moderne intitulée Deux Moi, laquelle n’aura pas totalement convaincu le public, Cédric Klapisch revient avec un nouveau long-métrage qui complète une filmographie déjà conséquente et hétéroclite. Dans En corps, le cinéaste oublie la jeunesse en proie à la solitude, accro aux réseaux sociaux et repliée sur elle-même afin de se tourner vers l’art vivant et la danse.

Projet porté sur plusieurs années et résultant d’un souhait profond de Klapisch de créer un film sur le sujet, En Corps est le fruit de deux rencontres : Hofesh Shechter, danseur et chorégraphe israélien, et Florence Clerc, danseuse classique étoile à l’Opéra de Paris 1978 à 1992. Fort de ces conjonctions d’univers, le réalisateur crée un film où les danseurs jouent et les acteurs dansent. À travers un titre à double sens, il expose son projet : porter à l’écran le lien entre les corps et la répétition. Il convient de préciser : En Corps ne se destine pas uniquement à un public rôdé aux différentes notions constitutives de la discipline. Pour son quatorzième long-métrage, Klapisch étonne en nous proposant une véritable immersion dans le monde parfois cloisonné de la danse ; une réflexion sur nos corps et sur la manière de nous en servir.

Renouvelant sa collaboration scénaristique avec Santiago Amigorena, après notamment Deux Moi ou Ce qui nous lie, Klapisch nous relate la vie d’Élise Gautier (interprété par Marion Barbeau de l’Opéra de Paris), talentueuse danseuse de ballet de 26 ans confrontée à une chute grave durant une représentation. Immédiatement après l’incident, on lui apprend qu’elle ne pourra peut-être plus jamais danser. Le choc terrible encaissé, elle tente, entre Paris et la Bretagne, de se retrouver. Cette reconstruction va passer, par un heureux hasard, par la rencontre des membres d’une troupe de danse contemporaine.

Dès le début de son long-métrage, Klapisch brise les codes et expose sa propre vision de la danse. La séquence introductive, marquée par l’absence totale de parole (brisée par un caméo du réalisateur), se distingue par une esthétique léchée. La photographie, assurée par Alexis Kavyrchine (Adieu les cons) alterne entre lumières néons bleu et rouge, façon de décrire successivement la solitude et la colère ressenties par Élise. On assiste ensuite à une représentation de la Bayadère où la musique baroque lente se mêle à une caméra fixe et reculée laissant voir le corps et surtout les pieds d’appui de la danseuse.

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Cette importance du sol, du lien avec la terre se révèle par la suite centrale dans le film. Le générique très moderne usant d’effets spéciaux et porté par une musique rock se veut en totale contradiction avec les ballets de Bach, Minkus ou Monteverdi qui ouvrent le film, et coupe court aux préjugés probables du spectateur. Le classique, au-delà d’une discipline qu’on voudrait aseptisée et extrêmement codifiée, se meut en une expression corporelle complexe filmée au ralenti comme si les corps s’allongeaient, s’envolaient à l’écran. Subtilement, Klapisch énonce les contradictions et les deux mondes (classique et contemporain) qui s’affrontent dans l’esprit de son héroïne. L’on retiendra un plan tout en subtilité jouant entre ombre et lumière, crainte et espoir, lorsqu’Élise regarde à travers le rideau, espérant apercevoir ses proches.

Tout au long de l’œuvre, le lien entre le danseur et l’acteur est sublimé afin de créer un spectacle grandiose. La danse, cet art que l’on touche souvent du doigt, mais qui souvent nous échappe, est exposée dans toute sa complexité et sa générosité. Grâce au travail de montage remarquable d’Anne-Sophie Bion, reconnue pour son travail sur le film The Artist de Michel Hazanavicius (nommée pour le César du meilleur montage et l’Oscar du meilleur montage), En Corps se livre à des séquences au rythme effréné.

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Cette montée en puissance au cœur du film, lors des scènes à Réminiac en Bretagne, est marquée par la rencontre de la gastronomie et de la danse. Ces deux mondes semblent échanger dans une langue unique et fusionner grâce à une honnêteté commune, une volonté de partager. C’est là que la magie opère : la caméra du réalisateur, maligne, sait se fixer à des endroits clés et c’est toute la manière de filmer qui se retrouve métamorphosée par la danse contemporaine, tellurique et aux états de transe. Grâce à la caméra épaule dynamique, le spectateur est partie prenante de cette synergie du groupe, de l’énergie communicatrice de ces danseurs, à la manière d’un film documentaire.

C’est aussi par le biais de l’humour que Klapisch embarque le spectateur et l’invite à rejoindre cette communauté d’artistes. Cet humour passe par un casting 3 étoiles : François Civil, hilarant en kiné baba cool, intéressé par la médecine parallèle, Denis Podalydès, père sensible, perdu et marqué par la mort de sa femme ou encore Muriel Robin et Pïo Marmai, rivalisant de talent lors de scènes plus intimistes.

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Afin de parfaire l’immersion, la musique d’Hofesh Shechter et de Thomas Bangalter (Daft Punk), présente tout le temps, apporte par le rythme des percussions cette dimension bestiale du contemporain. Le rêve et la légèreté du classique sont balayés au profit du sauvage, du vivant. Dans En Corps, Klapisch évoque la liberté totale que peut atteindre l’humain à travers la danse et l’exigence. Élise, au début seule parmi une multitude de talents, retrouve peu à peu une famille par l’intermédiaire notamment de la figure maternelle de Muriel Robin, oscillant entre douceur et rugosité. Entourée de ces individus pétris de talent, l’héroïne se sent peu à peu retrouver sa vie, mais aussi son corps. En effet, c’est là le sens du long-métrage, le questionnement de Cédric Klapisch : comment, lorsque tout semble perdu, l’être humain peut faire preuve de résilience et se réapproprier son corps en tant que moyen d’expression. Entre classique et contemporain, les liens sont multiples et le film cherche à pointer du doigt cette continuité, cette absence d’opposition entre deux langages différents, mais au sens identique.

En Corps demeure dans l’esprit comme une convivialité, un partage, une communion de deux heures. En optant pour une narration plus simple afin de laisser les corps s’exprimer, le cinéaste signe un magnifique film de danse, mais plus que ça : une œuvre aboutie et profondément humaine. Marion Barbeau, pour sa première expérience d’actrice impressionne, émeut et parvient, grâce à une performance de haut vol, à rendre universelle cette quête de l’âge adulte, parfois synonyme de choix. En Corps constitue une déclaration d’amour à la danse dans toutes ses formes et permettra au plus grand nombre de découvrir le travail d’Hofesh Shechter grâce à des extraits de son œuvre Political Mother.

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Sortie : 2022
Durée : 120 minutes

Distribution
Marion Barbeau : Élise Gautier
Hofesh Shechter : Hofesh
Denis Podalydès : Henri Gautier, le père d’Élise
Muriel Robin : Josiane
Pio Marmaï : Loïc
François Civil : Yann
Souheila Yacoub : Sabrina
Mehdi Baki : Mehdi
Alexia Giordano : Anaïs4
Robinson Cassarino : Robinson
Marilou Aussilloux : Aria Gautier
Mathilde Warnier : Mélodie Gautier
Alain Guillo : Alban de Vouvray
Olivier Broche : Amaury
Louis Lancien : le pianiste
Zinedine Soualem : l’administrateur
Damien Chapelle : Julien
Germain Louvet : Jean-Philippe
Stéphane Debac : le photographe de mode
Jade Phan-Gia : Dr Tran
Léo Walk : un danseur de la battle
Muriel Zusperreguy : la mère d’Élise
Cédric Klapisch : le régisseur du ballet

Bande originale
Toute la musique est composée par Hofesh Shechter.

  1. The Open 2:14
  2. Chopping Water 2:33
  3. Sunrise 2:50
  4. Clubbing 2:18
  5. Lo Levad 1:50
  6. Moon Jam 3:54
  7. That Night in Brazil 1:36
  8. Tapwan 3:35
  9. Flashback 1:53
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